En France, 20% des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Leurs syndicats demandent l’application de mesures d’aides concrètes, alors que les institutions peinent à enrayer le problème. Un dialogue rompu, qu’il convient de renouer.

Depuis la tentative de suicide d’un étudiant lyonnais le 18 novembre, la question de la précarité étudiante a ravivé le débat public. De nombreux rassemblements ont eu lieu, devant les Crous et les universités, pour alerter sur cette situation de plus en plus difficile. Selon un rapport annuel de l’UNEF sur le coût de la vie étudiante, celui-ci ne cesse d’augmenter depuis 2009. Suivant un pic de 2,83% l’année dernière, l’inflation touche surtout les logements et les transports, selon ce même rapport. Et la revalorisation des bourses n’arrange rien.

Tous précaires

Le malaise des étudiants n’est ni un problème nouveau, ni un fait isolé. Ils sont en fait nombreux à déclarer devoir se restreindre pour vivre, même en travaillant. En témoigne Anaelle, étudiante en histoire à Lyon: à la suite de problèmes familiaux, elle a du quitter le domicile de ses parents et se débrouiller seule. Avec un petit boulot à 24 heures par semaine, elle a redoublé sa deuxième année de licence. Une situation peu surprenante, puisque selon un rapport de l’INSEE publié en 2009, les étudiants salariés à plus de 16 heures par semaine ont des taux de réussite inférieurs de 28,1% à ceux qui ne travaillent pas.

N’ayant pas le droit à la bourse, elle vit maintenant de son CDI de onze heures. Mais elle ne peut pas se permettre d’écarts : « J’ai toujours appris à faire attention ». Au quotidien, c’est une gymnastique mentale pour assurer les fins de mois et éviter « la dépense de trop ». « Je me retrouve à hésiter pour acheter une boîte de thé, ce n’est pas normal. On ne devrait pas avoir à se poser ces questions-là », rapporte l’étudiante.

Quelques chiffres:

– En 2016, selon un rapport de l’OVE (Observatoire de la vie étudiante), ils sont 50,8% de sondés à admettre devoir se restreindre pour vivre.

– Selon ce même rapport, 33,7% des étudiants boursiers et 30,3% de ceux qui ne la touchent pas déclaraient avoir eu un découvert à la banque au cours de l’année.

– Selon un rapport annuel de l’UNEF sur le coût de la vie étudiante, celui-ci ne cesse d’augmenter depuis 2009, avec un pic de 2,83% en 2019.

– Suivant l’inflation de 1,20 %, les bourses n’ont quant à elle été revalorisées que de 1,10%, créant un déficit dans le budget des étudiants.

– En France, 33% des étudiants ont accès aux bourses.

« On n’a aucune marge de manœuvre »

Pour Anaelle, le problème « n’est pas tant une question d’argent », mais surtout la sérénité qu’une bonne situation financière peut apporter. « Je sais que dans ma situation, je ne peux pas me permettre de redoubler une deuxième fois. Soit je réussis tout de front, soit je ne fais rien. On n’a aucune marge de manœuvre ». C’est aussi le constat de Gaëtan, étudiant en deuxième année de Master en direction d’étude culturelle à Dijon. Après un déménagement pour poursuivre son deuxième cursus, il n’avait pas réussi à retrouver son petit boulot en musée. Ce qui l’a contraint à trouver une solution, qui fut l’accompagnement à la personne. Aujourd’hui il « essaye de positiver », mais déplore une situation qui ne permet pas de « concrétiser sa vie ». « S’il n’y avait pas mes parents, cela ne serait pas possible de continuer. »

En France, l’aide de la famille représente en moyenne 37,9% des ressources mensuelles moyennes des étudiants. Des situations qui rendent parfois la prise d’indépendance difficile. Pour Guillaume, étudiant en Master de recherche en sociologie, c’est une grande phase d’incertitude: « On ne laisse pas le droit à l’erreur, alors que c’est censé être une période de formation et d’émancipation ». En terme d’aides allouées aux étudiants, notre pays est devancé par certains voisins européens. Comme la Suède qui compte 88% de boursiers, contre 37% en France. En plus d’octroyer des bourses plus facilement et à des taux plus élevés, les pays scandinaves dispensent aussi les étudiants de frais d’inscription, tandis que le minimum français pour le premier cycle en université est de 260 euros. Cette liberté financière représente pour beaucoup d’étudiants un réel moyen d’émancipation pendant leurs études. 

Aides sociales et autonomie

C’était l’une des revendications de l’UNEF dans son rapport de 2019. Celle d’une « allocation d’autonomie », accessible à tous les étudiants, soit une forme de salaire alloué pour les études. L’idée a déjà fait son chemin en Scandinavie, où le SUE (Salaire Universel Etudiant) existe sous différentes formes. Soit comme un « prêt » dont le remboursement est diminué en cas de réussite, soit dans un versement mensuel. Celui-ci ne tient en compte ni l’origine socio-économique des parents, ni la situation géographique de l’étudiant. Bien que ce système soit loin d’être infaillible, il permet d’avoir moins recours à la famille et donc de modérer les inégalités économiques. Cette idée est partagée par Lizon, présidente de la section locale de la FSE (Fédération Syndicale Etudiante) pour qui un salaire universel pour les étudiants permettrait « d’étudier plus sereinement » et d’enrayer le problème de sélection sociale.

Un système d’aides universelles a pourtant été discuté dans la France de l’après-guerre. Les revendications de l’UNEF et de sa Charte de Grenoble avaient abouti à l’instauration de la bourse sur critères sociaux en 1948. Dans son texte, le syndicat définissait l’étudiant comme « un jeune travailleur intellectuel » qui a « droit à une prévoyance sociale particulière dans le domaine physique, intellectuel et moral ». Pour Guillaume, un salaire universel ne serait pas forcément une solution pour le moment. Des « mesures d’équité » lui semblent plus réalistes. L’ébauche actuelle de statut social étudiant, porté par une rétribution publique sur critères sociaux, est cependant bien remise en cause pour ses nombreuses failles.

Les aides accessibles pour les étudiants:

– La Bourse sur critères sociaux (BCS) est attribuée aux étudiants de moins de 28 ans rencontrant des difficultés matérielles. Son montant maximal est de 6734 euros.

– L’aide au mérite concerne les étudiants de moins de 28 ans ayant obtenu mention « Très bien » au bac.

– L’aide d’urgence est accessible aux étudiants de moins de 35 ans rencontrant des difficultés financières ponctuelles. Elle est attribuée par le Crous après examen du dossier et peut être complétée d’un entretien avec une assistante sociale.

– L’aide à la mobilité pour l’inscription en Master 1 concerne les étudiants sans limite d’âge, qui ont terminé leur licence et souhaitent s’inscrire dans une autre région.

– Les modalités des aides plus spécifiques (concernant la mobilité internationale ou les concours de la fonction publique) sont détaillées sur le site officiel de l’administration française

Le cas des bourses: entre méconnaissances et faiblesses structurelles

Pour la présidente du Crous Lorraine, Agnès Bégué, qui souligne « des situations étudiantes d’extrême précarité », le problème réside davantage dans une “vraie méconnaissance” concernant les aides accordées. Sur le papier, elles sont pourtant multiples. Il y a par exemple l’allocation d’aide annuelle (ASAA) et certaines aides d’urgence ponctuelles (ASAP) destinées aux étudiants en grave difficulté sur une période donnée. Lors des discussions avec les syndicats étudiants, comprenant Fédélor, l’UNEF et UNI, le Crous régional est salué pour son accompagnement et ses « deux millions d’euros » investis à la cause.

Pourtant, si ces aides peuvent ponctuellement assister les plus précaires, il demeure le problème des « cas limites ». Ces jeunes dont les parents gagnent juste au-dessus de ce qui est fixé pour avoir accès aux bourses, mais dont la situation financière reste défavorable. Ils sont nombreux à le déplorer, comme Juliette, étudiante en sociologie. Son père, auto-entrepreneur, touche des salaires très variables au fil des mois. « Les critères de la bourse ne prennent pas en compte les dettes de nos parents », ajoute Lison, étudiante en psychologie à Metz.

Sur ce sujet aussi, la présidente du Crous l’assure : « Des négociations sont en cours au gouvernement pour revoir ces échelons ». Un manque de marge de manœuvre, il y en a aussi au sein de l’institution. Les directives gouvernementales d’attribution des bourses demeurent rigides et contredisent parfois les efforts fournis localement. Pour un boursier qui, comme l’étudiant lyonnais, redouble pour la 3ème fois son année, l’aide sociale est par exemple automatiquement retirée.

Danae Corte et Charlène Dosio