Chauffeur Routier

Parmi ses collègues masculins, Sabrina, 1m64, de longs cheveux blonds et les yeux clairs sort du lot. Chauffeur routier depuis 6 ans cette jeune femme de 24 ans vit de sa passion.

Il est 17h30, la nuit est déjà tombée. Sabrina est à quai avec son camion prête à partir de Ludres. Baskets aux pieds, pull à l’effigie de ses clients, elle signe les derniers papiers avant d’insérer sa carte de routier dans une machine qui analyse sa conduite, le chronotachygraphe. La cabine est spacieuse et les guirlandes lumineuses créent une ambiance tamisée rouge et bleu. Aujourd’hui comme tous les autres jours de la semaine, elle va passer entre 8h et 10h dans son camion pour un total de 600 km. Sur la route, les paysages défilent et les phares des véhicules rythment le trajet. “Dans mon camion, j’ai l’impression que le temps va moins vite. J’aime apprécier la vie, prendre le temps”. Dans un monde où tout est en accéléré, où les gens se bousculent, Sabrina revendique cette envie d’être seule, “Il y a un esprit de liberté, parfois pendant 1h je ne parle pas, je pense et j’analyse mes pensées en profondeur”.

“DEPUIS MES 10 ANS JE DISAIS À TOUT LE MONDE QUE JE FERAIS LE MÊME MÉTIER QUE MON PÈRE.”

Après une pause pour faire le plein, les cheveux secoués par le vent, la nancéienne reprend son histoire. Son papa était chauffeur livreur, et les tours en camion sur ses genoux lui ont donné envie de faire ce métier. “Depuis mes 10 ans je disais à tout le monde que je ferais le même métier que mon père. Ça amusait beaucoup et je pense que personne ne me prenait au sérieux.” De nature discrète, cette jeune femme pétillante a dû faire sa place dans le métier et même à l’école. “L’école était plus dure que le métier. Pour me faire accepter, je me suis comportée un peu comme un garçon.” Elle raconte, avec émotion, sa première fois dans un camion “Je savais que je ne m’étais pas trompée, la route c’était bien mon truc”. À mi chemin, elle commence à parler avec nostalgie de sa relation avec son ex-camion, un Mercedes beige métallisé. “Il était tellement génial, j’ai vécu des choses incroyables avec lui. C’était à la fois mon ami, mon collègue, mon binôme”.

“JE SUIS FIÈRE DE FAIRE CE MÉTIER EN ÉTANT UNE FEMME”

Nous arrivons à Paris, les tremblements du nounours accroché au rétroviseur se calment et le bruit assourdissant de la cabine s’arrête enfin. Son “voisin de quai” Aziz, vient lui demander de l’aide pour réparer son phare. “Les chauffeurs sont bienveillants et à certains moments ça peut être un avantage d’être une femme”, explique t-elle en souriant. Discrètement, elle se confie sur l’unique incident de sa carrière. Un jour un de ses clients, un chef d’exploitation, lui a dit “Viens dans mon bureau, je te mettrai la fessée”. Il avait 40 ans et quand elle est revenue de sa tournée elle devait passer par son bureau, “J’appréhendais et il a seulement fait semblant de fermer la porte à clé derrière moi”. Après un repas improvisé dans l’habitacle du camion, son voisin de quai et les gardiens salués, c’est l’heure de redémarrer. Sur le chemin du retour, Sabrina insiste sur la capacité des femmes à faire ce métier : “Moi je pense que tous les métiers peuvent être fait par des femmes ou des hommes.” Chauffeur routier et non chauffeure, elle se considère comme une féministe mais pas extrémiste. Elle retrouvera son compagnon à 4h du matin, après avoir laissé son premier amour, son camion.

Orane Benoit