Alors que son dernier film “J’accuse” est en salle depuis le 13 novembre, les contestations relancent la controverse entre ce qui est de l’homme fugitif et de l’artiste cinéaste. Une distinction est-elle vraiment possible ? Retour sur Roman Polanski, l’homme, ses œuvres et ses obsessions

La liste des accusations est longue. Roman Polanski, cinéaste franco-polonais, est un fugitif. Il est poursuivi par les Etats-Unis depuis une première affaire de viol datant de 1977 sur une jeune fille de 13 ans. Il avait alors 43 ans et n’a jamais purgé sa peine. Aujourd’hui âgé de 86 ans, accusé par 12 femmes d’agressions sexuelles en tout genre, l’artiste bénéficie toujours d’une reconnaissance internationale dans le milieu, bien que bouleversé, du Cinéma.

Cette année, il revient en force avec un tout nouveau film nominé par le Grand Prix de Venise : “J’accuse” tiré de l’Affaire Dreyfus. Sorti en salle le 13 novembre, l’oeuvre a reçu un tollé lors de son avant-première. Des militant(e)s sont venu(e)s brandir des pancartes avec inscrit “Polanski persécute les femmes”. Quelques féministes, personnalités publiques, le réprouvent sans condition. Certaines, appellent au boycott. Valentine Monnier, photographe française et nouvelle auto-estimée victime se révèle par un témoignage qui restera sans suite. La faute à la prescription des faits.

Où s’arrête la limite entre l’œuvre et l’artiste ? La fiction et la réalité ? Une réelle différence est-elle possible ? Sur ce débat, toujours plus actuel, chacun semble avoir son avis.

Une vie sous le registre de la tragédie

Roman Polanski, ou de son vrai nom Rajmund Roman Thierry Leibling, connaîtra une vie morcelée d’épreuves. Né à Paris avant la guerre de 1940, il change de nom, comme sa famille, pour devenir Roman Polanski. Un moyen de cacher son judaïsme. A 3 ans, il arrive en Pologne avec son père, sa mère, et sa sœur Annette. Lors de l’invasion allemande, le jeune garçon restera enfermé dans un ghetto de Cracovie tandis que sa famille sera déportée dans des camps. Sa mère mourra gazée à Auschwitz. Il prendra la fuite au moment de la dernière rafle et finira par retrouver après la guerre son père et sa sœur indemnes.

Le futur cinéaste fera ses premiers pas dans le spectacle en tant que scout. Ensuite, âgé de 13 ans, c’est par des spectacles radiophoniques à la Radio d’Etat polonaise, qu’il se prend d’amour pour le métier d’acteur. Plus âgé, il rate son bac et rentre dans l’Ecole des Beaux-Arts puis une École de cinéma. A sa dix-neuvième année, il joue dans un premier film : “Le Fils du Régiment”. A partir de là, l’acteur puis réalisateur connaît une nette ascension ponctuée de plusieurs distinctions.

Son calvaire est toutefois loin d’être terminé. Dans la nuit du 9 août 1969, l’homme absent pour le tournage d’un film, perd sa femme enceinte de huit mois et trois de ses amis. L’actrice, Sharon Tate, âgée de seulement 26 ans, est sauvagement assassinée par un groupe sataniste agissant sous l’ordre de Charles Manson. “J’ai subi un choc immesurable” confiera-t-il au micro d’Europe 1. Le commanditaire est aujourd’hui décédé alors qu’il se trouvait en prison à la suite de ce drame. Autant de faits qui expliquent l’homme, mais ne justifient en rien ce qu’il a commis.

L’empreinte de ses obsessions personnelles

Mon travail n’est pas une thérapie” a-t-il expliqué à un journaliste de Deadline. Pourtant, étrangement, parmi ses films, beaucoup font explicitement échos à sa vie. C’est le cas de “Le Pianiste”, l’histoire d’un homme, artiste et juif, qui joue de son art, le piano, pour se sauver des camps pendant la seconde guerre. Une œuvre de 2002 pour laquelle il a reçu une Palme d’or et l’Oscar du meilleur réalisateur. Il accumule désormais, toujours entrecoupés d’affaires de viol, 25 prix et 79 nominations de plusieurs festivals.

Son premier long métrage, “Le couteau dans l’eau” et le huit clos de “Carnage” évoquent selon le critique Samuel Blumenfeld ce qu’il explique en quelques mots. “Un réalisateur dont l’expérience originelle est celle de l’enfermement [le ghetto] est devenu le cinéaste de l’enfermement”. Dans d’autres, comme “Rosemary’s Baby”, Roman Polanski aborde la folie et les rapports douloureux entre êtres humains. Dans le polar “Chinatown” il est question d’emprise, de pulsion, de viol, inceste et pédophilie. Il se jouera aussi de personnages stéréotypés dans des pastiches teintés d’humour noir avec “le Bal des vampires” .

Il voue un intérêt sans borne pour les personnages féminins. “La Vénus à la fourrure”,“Tess”, “Répulsion” en attestent. Il explique dans un article de Libération : “Pour choisir le sujet d’un film, je ne réfléchis pas. Je prends ce qui me plaît sur l’instant. Comme la nourriture. Comme les femmes”. Pour lui, la passion est sans limite. “Les passionnés se passionnent pour tout. Quelqu’un de passionné par le cinéma est presque forcément passionné par le sexe. Vous aurez du mal à trouver des cinéastes importants qui ne le soient pas”. Une affirmation quoique douteuse qui donnerait presque l’illusion que tout est parfaitement normal.

Peu adepte des films de Truffaut ou Godard, l’homme s’intéresse aux figures ambigües, aux complots paranoïaques et manipulations mentales. “D’après une histoire vraie” en est la représentation la plus flagrante. Ne pourrait-il pas être la forme contemporaine du “Madame Bovary c’est moi” de Gustave Flaubert ? Pour l’Express, le réalisateur écrit : “Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, la frontière entre le réel et l’imaginaire a toujours été désespérément brouillée”.

« Un monstre professionnel »

On a fait un cinéma qui n’existe plus” commence Jean-Dujardin sur RTL. L’acteur principal de “J’accuse” décrit “une production très exigeante, assez obsessionnelle, qui travaille ses cadres comme des tableaux”. Un caractère que Roman Polanski a toujours affiché. Chris Campion, comédien, dit dans une interview percevoir le réalisateur comme ‘un énorme monstre professionnel, très tendu et très concentré sur son travail”.

« C’est un type très difficile pour quelqu’un qui ne le connaît pas (….). C’est un homme avec qui il faut vraiment parler le même langage. Sinon, inutile de le combattre. Vous ne pouvez pas gagner contre lui” précise Alain Sarde, producteur de quelques uns de ses films, pour l’Express.

J’ai choisi tous ces sujets sans me poser trop de questions. C’est surtout instinctif” explique Roman Polanski à Claire Chazal pour « Entrée Libre« . Acharné, il ajoute: “J’aime quand le spectateur réfléchit après le film. Il est toujours plus facile de satisfaire le spectateur et qu’il oublie”. La présentatrice enchaîne alors sur sa vision des Etats-Unis, dont il est exilé, et le fait rebondir sur l’affaire Weinstein. Il répond : “Ce n’est plus le même pays que je connais. Cela me semble loin de ce que j’ai connu. Tout commentaire de ma part serait mal interprété”. Bien vu.

Pour le journal Libération, en 1999, Roman Polanski, en fuite, parle de l’Amérique avec ressentiment, avec un langage toujours aussi cru. “Elle m’a meurtri, mais maintenant elle se meurtrit toute seule avec son puritanisme. Cela me fait penser à un tableau de Dali, la Vierge autosodomisée par sa propre chasteté”.

Le « J’accuse » accusé

Depuis des années, le réalisateur pourtant bel et bien accusé nie tout en bloc. “Je suis devenu un fugitif pour fuir l’injustice” . Il se dit persécuté par les médias et la justice. Il justifie ainsi son film :

L’histoire d’un homme accusé à tort est toujours fascinante. Tous les éléments sont réunis pour ça: des fausses accusations, de mauvaises procédures judiciaires, des juges corrompus et des réseaux sociaux qui condamnent avec le jugement. Faire un film comme celui-là m’aide beaucoup, je retrouve parfois des moments que j’ai moi-même vécu, je vois la même détermination à nier les faits et me condamner pour des choses que je n’ai pas faites. ”

Roman Polanski « Deadline« 

« Est-ce tenable, sous prétexte d’un film, sous couvert de l’histoire, d’entendre dire “J’accuse” par celui qui vous a marquée au fer, alors qu’il vous est interdit, à vous, victime, de l’accuser ? »

Valentine Monnier « Le Parisien »

Séparer l’homme de l’artiste? C’est un alibi”, tranche Adèle Haenel dans Médiapart. Le hashtag #BoycottPolanski explose sur les réseaux sociaux. Le Guardian s’interroge et publie : “Le cinéaste controversé peut-il faire des parallèles entre sa situation personnelle et ce compte-rendu solide de l’Affaire Dreyfus?”. D’autres, s’érigent contre un amalgame. L’actrice Catherine Deneuve, par exemple, estime “qu’il faut faire la différence entre le cinéaste et la personne”.  Une chose est certaine, le débat, comme à chaque affaire, s’installe dans le domaine public. Cette question, la justice l’a déjà tranchée en condamnant l’homme criminel, toujours en cavale.

Audrey MARGERIE

Quelques dates-clés:

– 1977 : Viol de Samantha Geimer, 13 ans, en marge d’une séance de photographie chez l’acteur Jack Nicholson à Hollywood. Procès, plaide non-coupable puis coupable pour un accord.

– 1978: Sachant qu’il risque la peine maximum de 50 ans, le réalisateur fuit. Il devient un fugitif, qu’il est toujours.

– 1993 : Dylan Farrow accuse Woody Allen de l’avoir agressée sexuellement quand elle avait 7 ans.

– 2003: Oscar pour “Le pianiste”

– 2010 : Charlotte Lewis, actrice, l’accuse de l’avoir “abusée sexuellement” lorsqu’elle avait 16 ans.

– 2014: César pour le film “La Vénus à la fourrure” et renonce à participer au festival Locarno pour éviter les polémiques.

– 2016 : Cour suprême polonaise refuse son extradition vers les Etats-Unis.

– 2017 : Affaire Weinstein et naissance du mouvement #Metoo. “Robin” accuse Roman Polanski d’agression sexuelle.

– 2017 : Invitation pour présider la 42ème Cérémonie des Césars par l’Académie des arts et techniques du cinéma. Roman Polanski refuse ce poste la veille de la cérémonie à cause d’une polémique qu’il juge “injustifiée” et “alimentée par des informations tout à fait erronées”.

– 2017 : Renate Langer, Marianne Bernard, Mallory Milett et cinq femmes anonymes accusent le réalisateur de viol sur le site imetpolanski.com.

– Août 2019 : “J’accuse” film de Roman Polanski, nominé à la 76ème édition de la Mostra de Venise. Il n’y a pas assisté mais reçoit le Grand Prix du jury de Venise.

– Novembre 2019 : Valentine Monnier, photographe française, accuse le réalisateur de l’avoir violée en 1975, alors qu’elle était âgée de 18 ans. Elle a le soutien de l’actrice française, Adèle Haenel, qui porte plainte contre le réalisateur Christophe Ruggia pour agressions sexuelles.

– 12 novembre : Première diffusion dans un cinéma à Paris du film “J’accuse” de Roman Polanski. Le 13 novembre est la sortie officielle en salles françaises. Appel à boycotter des féministes et naissance du hashtag #BoycottPolanski.

– 2019 : Ministre de la Culture, Franck Riester, propose la nomination d’un référent harcèlement sexuel sur les tournages pour faciliter les signalements.