Le manque de personnel spécialisé touche les services psychiatriques pour mineurs de plein fouet. Un rapport récent met en lumière les difficultés de la prise en charge des plus jeunes dans les hôpitaux, où les problèmes s’accumulent.


Non-respect de l’intimité et de la dignité, personnel mal formé et encadrement juridique délicat. Voilà ce qu’endurent des milliers de jeunes hospitalisés dans les établissements de santé mentale. Le rapport de Adeline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), soulève les difficultés de l’hospitalisation des enfants et des adolescents. Un constat basé sur l’étude d’une trentaine de services pédopsychiatriques en France.

La contrôleure souligne qu’en 2015, plus de 18 000 mineurs ont été admis en service psychiatrique. Le Sénat s’était déjà penché sur ces questions en début d’année. Il faisait alors état du manque d’observation sur les pratiques des hôpitaux.

Les obstacles à l’intimité

Le Dr Christophe Schmitt est responsable de l’information des centres hospitaliers (CH) de Jury et de Lorquin, en Moselle. Le psychiatre explique que dans ces deux hôpitaux, sont autorisés les “chambres individuelles et parfois les téléphones, pour qu’ils [les patients] aient une intimité et gardent contact avec leurs familles”. La surveillance des interactions qu’ont les jeunes avec leurs parents les prive d’une certaine intimité. Dans de nombreux hôpitaux, cette surveillance s’étend même aux appels et messages. Ils sont ainsi dépossédés d’un semblant de vie privée.

Le Dr Schmitt souligne qu’à Jury, “l’unité est spacieuse, les patients peuvent se déplacer”. Dans de nombreux services psychiatriques, les espaces d’accueil n’ont pas été pensés pour des enfants et des adolescents. Les sorties sont négligées, les jeunes étouffent et les espaces verts comme au CH de Jury se font rares. Christophe Schmitt vante les “activités thérapeutiques” qui y sont régulièrement organisées, en intérieur et en extérieur. “Ce n’est pas le cas dans tous les établissements”, ajoute-t-il.  

Les espaces verts du Centre Hospitalier de Jury.
Dix lits sont réservés aux plus jeunes au sein du Pôle “Psychiatrie Enfants et Adolescents”. Crédits : CH Jury

Le manque d’espace est dénoncé par le CGLPL. Certains mineurs sont confinés dans une petite chambre et même enfermés, quand une mise à l’écart est nécessaire. Une pratique qui accroît le mal-être des patients. Jocelyne Boury est cadre de santé à la Maison des Adolescents de Metz et dirige une équipe d’infirmières. Dans les hôpitaux de Moselle, l’isolement se fait dans des “chambres d’apaisements”, explique-t-elle. Des lieux pour “mettre les ados à l’abri d’eux-mêmes et des autres”, une solution privilégiée quand le personnel est débordé. “C’est plus facile que de passer du temps avec le patient”, admet cette cadre de santé.

Une spécialité délaissée

À la Maison des Adolescents de Metz, “on manque de médecins, les infirmiers sont en première ligne pour recevoir les jeunes”, observe Jocelyne Boury. Pourtant, les patients sont toujours plus nombreux. En 2014, il n’y avait que 15 pédopsychiatres pour 100 000 jeunes français de moins de 20 ans. La suppression du diplôme d’infirmier psychiatrique en 1992 a aussi eu des conséquences dramatiques sur les capacités de prise en charge. Depuis, le personnel se spécialise moins.

La Maison des Adolescents de Metz, où la décision d’hospitaliser un jeune est parfois prise, après des consultations avec un pédopsychiatre. Crédits : Clément Di Roma

Mieux vaut un médecin mal formé que pas de médecins du tout”, concède le Dr Schmitt, pour qui une formation à cette spécialité médicale reste indispensable. À chaque infirmier débutant à Jury, est réservé “une formation en interne et le parrainage d’un ancien”. Le praticien a remarqué que les infirmiers “n’y connaissent plus grand-chose sur la psychiatrie des patients mineurs en sortant des écoles”, depuis la réforme du diplôme en 1992.

Moins il y a de personnel formé, plus les places se font rares. Les unités pour mineurs ne sont pas présentes partout en France, “et les mélanger avec des adultes n’est pas une bonne chose […] ce sont des problèmes de places très fréquents”, continue Christophe Schmitt.

Les parents “pas forcément consultés

Les questions d’ordre juridique sont complexes. Il faut expliquer aux parents et au patient. Il est important de maîtriser ces notions”, déchiffre le Dr Schmitt. Pour ce médecin, associer les parents aux décisions de traitement est logique, “mais pas pour un personnel mal formé”.

Le CGLPL met en avant le manque d’implication des responsables légaux dans les décisions médicales. “On ne les consulte pas forcément pour d’autres décisions de soins”, réagit Yanne Pouliquen, chargé de communication pour la CGLPL. Les droits des enfants et des adolescents hospitalisés sont difficiles à appréhender pour les parents, pourtant souvent à l’origine de la demande d’hospitalisation. “C’est une question de quelle information est donnée aux responsables”, développe Yanne Pouliquen, soucieuse de la distance qu’ont certains parents avec les mesures prises par les médecins. 

Concernant certaines décisions, les patients devraient aussi avoir “la possibilité de contester s’ils le souhaitent. Cela leur donnerait une certaine autonomie dans une procédure qui les concernent”, suggère-t-elle. Le jeune doit être “acteur de sa thérapie”, soutient Jocelyne Boury. Elle précise que le traitement doit avant tout “aider les jeunes à aller mieux”.

Des recommandations bienvenues

L’idée c’était de récolter des données pour proposer des solutions”, explique Yanne Pouliquen. La contrôleure générale, Adeline Hazan, recommande que des mesures soient prises contre les dérives. Parmi elles, le développement d’activités thérapeutiques et l’agrandissement des pièces à vivre des mineurs. Ces progrès doivent passer par une meilleure formation du personnel et par une sensibilisation aux questions juridiques. Mais le cruel manque de médecins et d’infirmiers en pédopsychiatrie ne facilite pas les améliorations.

Au centre hospitalier de Jury, on reconnaît que des recommandations constructives “permettent toujours d’améliorer la qualité des soins” et de prévenir les dérives. Mais le Dr Schmitt ne se laisse pas convaincre par un rapport “incomplet”, qui ne mentionne pas certaines difficultés. Il évoque les lacunes dans la scolarité des jeunes hospitalisés. “On a du mal à travailler avec l’Education nationale”, conclut le psychiatre.  

 

par Clément Di Roma
Intervenants | Yanne Pouliquen, Christophe Schmitt, Jocelyne Boury
Photos | Clément Di Roma, CH Jury, Creative Commons