Louis Schwartz a 85 ans, mais ne les fait pas. Ce Lorrain de toujours a l’oeil vif et le contact facile. Il a 11 ans quand, le 1er septembre 1939, les troupes d’Hitler envahissent la Pologne et délenchent la Seconde Guerre Mondiale ; 12 ans quand la région est annexée au IIIème Reich. Portrait d’une enfance dans une autre Lorraine. 

Véritable mémoire locale à lui tout seul, Louis Schwartz a su garder un esprit affûté sur lequel le temps ne paraît pas avoir de prise. Son rayon à lui, c’est le passé. Non content d’en savoir plus qu’il n’en faut sur la Moselle d’hier, il en est le témoin vivant. Les lieux qu’il évoque sont familiers, les évènements beaucoup moins. Presque irréels, pour nous, ancrés que nous sommes dans la réalité de 2013. Son enfance à lui, c’est celle de la monstruosité ordinaire. Ordinaire pour lui, si extraordinaire pour nous qui, plus d’un demi-siècle plus tard, ne pouvons qu’imaginer. Au mois d’Août 1942, les jeunes mosellans sont contraints d’adhérer aux Jeunesses Hitlériennes. Clef de voûte de la propagande nazie, l’organisation paramilitaire a pour objectif de modeler l’esprit de la jeunesse afin de s’en assurer le contrôle. Le but, en faire des soldats fanatiques dévoués corps et âme à la cause du Fürher. La terrible machine est si bien rodée que, quelques années plus tard, lorsque l’Armée Rouge tiendra Berlin en tenaille, les derniers combattants allemands encore debout seront des enfants issus des Hitler-Jugend. Louis et ses camarades n’ont pas le choix : refuser d’intégrer l’organisation, c’est s’exposer soi même et sa famille à des perspectives plus sombres encore. En un temps où la délation est érigée en modèle de citoyenneté, méfiance et prudence sont les maîtres mots. Désormais membre de l’association Histoire Locale de la ville de Hagondange, le retraité connaît son sujet. Quand il évoque son enfance, un souvenir lui vient en tête. Celui d’un voisin, qui ne l’aimait pas.

Pour écouter le souvenir de Louis, cliquez sur le lecteur.

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Le danger, justement, est partout. Indicible et mouvant, l’ennemi a alors plusieurs visages. Il y a ces soldats en uniforme, bien sûr, qui aboient des ordres en allemand que Louis ne comprend pas toujours et devant lesquels il a appris à faire profil bas. Il y a ces connaissances aussi, autrefois visages rassurants, qui ont choisi de pactiser avec l’ennemi. Différencier le loup de l’agneau n’est alors pas chose aisée. La moindre dénonciation, pour des faits véridiques ou imaginaires, peut vous valoir un billet direct pour Drancy. Du pain béni pour tous ceux qui en profitent pour régler des comptes personnels. Ces événements constituent la réalité dans laquelle le jeune Louis doit trouver sa place, comme ses trois frères aînés. Le plus jeune va se voir enrôlé de force dans les troupes allemandes. L’autre, grâce à son métier, d’ajusteur de matrices, prisé en temps de guerre, va éviter l’armée. Ce dernier s’éprend d’une prisonnière de guerre ukrainienne. Louis se rappelle du soir où son frère est revenu pour cacher celle qui, plus tard, deviendrait sa belle-soeur.

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Le plus jeune de ses frères, lui, a été intégré contre son gré au sein des forces allemandes. À la faveur d’une permission, il choisit de déserter, accompagné d’un ami. Ils font ensuite appel à un passeur pour tenter de gagner la zone libre. Entreprise périlleuse : les Allemands, sous l’égide de la terrible Gestapo, n’hésitent pas à fusiller celles et ceux qui tentent illégalement de passer la frontière. Ces traces du passé familial, Louis, lui, les a encore bien en tête plus de soixante ans plus tard. Pourtant, la famille Schwartz, peut encore s’estimer chanceuse. C’est tout du moins l’avis de Louis. Pour nous, il se souvient.

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Quand quelques jours plus tard les Allemands ordonnent aux Lorrains de tout quitter pour partir vers l’Allemagne servir ce qu’il reste de l’effort de guerre nazi, la famille Schwartz prend la route et laisse tout, ou presque. Avec eux, cachés par des couvertures, une réfugiée ukrainienne et un cousin déserteur. Les Américains avancent et Berlin le sait. Louis, lui, se demande simplement où ils vont bien pouvoir passer la nuit. La bienveillance d’un paysan et l’arrivée inopinée des Alliés leur permettront d’échapper au sort qui leur était réservé par les allemands.

Un scénario de film pour nous, un souvenir d’adolescence pour lui.

L’armistice, c’est par la radio que Louis l’a appris, un certain 8 mai 1945. Il se souvient des drapeaux tricolores et des cris de joies, principalement. La guerre terminée, le jeune homme grandit sans quitter la Lorraine. Il se marie et sera père par trois fois. Travailleur honnête en usine à Hagondange où il occupait un poste d’électricien, Louis profite aujourd’hui d’une retraite bien méritée. Il joue à présent les collecteurs d’informations pour son association d’amoureux d’histoire locale. De cette époque où la Lorraine était une autre, il garde une forte impression. Du haut de ses 85 printemps, il en dresse le bilan avec nous.

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Aujourd’hui cependant, Louis semble heureux.