Brav’, rappeur originaire du Havre, est également infographiste, réalisateur et photographe. Membre fondateur du label indépendant Din Record, il a été l’acolyte de Tiers Monde au sein du groupe Bouchée Double. A l’occasion de la sortie de son dernier clip A l’Évidence dans lequel il fait participer son public, nous avons discuté par Skype interposé de son premier album solo Sous France, de ses passions et de ses inspirations.
Peux-tu d’abord nous présenter ton label Din Record?
C’est un label qui existe officiellement depuis 2004 mais la structure existe depuis bien avant. Proof, le producteur exclusif musical du label c’est mon grand frère. Il était dans le groupe Ness&Cités avec Sals’a. Il y a aussi Médine, qui appartenait à un groupe avec le frère de Sals’a. Tiers Monde et moi nous composions le groupe Bouchée Double. Il y a d’autres membres qui sont plus discrets aujourd’hui. Et ce collectif de MCs c’était La Boussole, au sein du Label Din Record. Ça devenait trop compliqué donc on a simplifié : on est Din Record. C’est un label très fraternel et amical : avec Médine on se connait depuis la maternelle, avec Tiers Monde depuis le collège. On faisait des réunions le mercredi après-midi, on payait cinq francs pour répéter dans le garage de ma sœur.
Notre label se veut « éthique ». En fait, je te l’avoue, je n’aime pas le rap conscient. Ça voudrait dire que les autres ne sont pas conscients de ce qu’ils font. C’est vrai qu’on réfléchit quand on écrit nos textes, mais moi je déconne beaucoup dans la vie. On a une éthique de se dire qu’on n’incite pas les gens à faire du mal. Pendant mon enfance la musique m’a beaucoup aidé à rester sage. J’écoutais des mecs comme IAM, Kerry James, ça m’a permis de ne pas virer dans des travers un peu bizarres. Après au sein de la famille on a tous des visions de la musique divergentes mais ça montre notre ouverture d’esprit.
Dans tes morceaux il y a pas mal de références cinématographiques et tu es également réalisateur. Qu’est-ce qui t’a mené vers la vidéo?
J’ai une structure qui s’appelle Horizon Design qui est une structure d’infographie. Je fais moi-même mes photos, mes covers, etc. J’étais l’infographiste de Din Record et j’ai voulu proposer mes services à d’autres personnes. J’ai commencé par la photo, puis l’infographie et enfin la vidéo. Je suis rentré dedans naturellement et je suis un grand cinéphile, alors j’aime bien écrire des scénarios comme j’écris des musiques.
Tu as réalisé un livre photo, La Lune Sans les étoiles, un récit photographiques de ton voyage en Palestine. Racontes-moi ce projet.
J’ai des amis de Dunkerque qui m’ont appelé, le label NaïLClan. Il y a un groupe au sein de ce label qui s’appelle GazaTeam, ce sont des palestiniens qui viennent de Gaza, qu’ils ont fui. Ils avaient le projet de sortir leur album et il y avait la possibilité de faire une tournée au Proche Orient. On m’a proposé de venir pour faire un petit documentaire sur eux au Liban. C’était un an avant la Palestine. Et comme ça s’était très bien passé ils m’ont proposé de faire une suite en les accompagnant en Palestine. On est obligé de passer par Israël pour y aller et quand tu t’appelles Wilfried Barrey (son nom civil, ndlr.) et que tu viens de France ça passe. Seulement pour des Palestiniens qui ont fui Gaza c’est impossible de retourner sur leurs terres. Du coup ils ont été bloqués en Allemagne et ont dû rentrer en France. On a dû meubler comme on pouvait tous les ateliers prévus. Et comme j’ai une mère très inquiète je faisais des photos la journée pour la rassurer [rires]. Comme c’était de belles photos je les ai partagé pour ceux qui n’avaient pas la chance de voyager.Un soir, en discutant avec le directeur de NaïLClan, on s’est dit qu’on pourrait faire une sorte de livre de voyage en photo et essayer de faire un projet participatif et de récupérer de l’argent pour l’association. Finalement le temps de rentrer en France et de mettre tout ça en ordre il y a eu malheureusement ce qu’il s’est passé il y a deux ans : le bombardement d’Israël sur Gaza. Finalement ce projet qui était censé être un soutien à une association palestinienne s’est retrouvé comme une œuvre qui était un vrai soutient à la Palestine. On a fait un partenariat avec une association de Gaza et les ventes de ce livres servent à les soutenir : un livre acheté c’est 100% des dons reversés pour des enfants à Gaza.
Tu fais souvent référence à des personnes comme l’Abbé Pierre ou Coluche. Pourquoi ce sont des références pour toi?
Tu sais quand j’étais petit dans ma famille on avait des colis alimentaires. Donc moi c’est Coluche qui m’a nourrit toute ma vie. Pour moi Noël c’est l’Abbé Pierre. C’est des références car ils ont été là pour moi, tout simplement. Ce n’est pas « tiens c’est des gens qui font du bien je vais les prendre », non ce sont des gens qui nous ont permis à moi et à ma famille de vivre donc c’est forcément des personnes que je respecte et que je respecterai à vie.
Comment te prépares-tu avant un concert ? Est-ce que tu as certain rituels ?
Non pas vraiment. J’ai mis en place un système de tournée en appartement. C’était les gens qui prenaient rendez-vous. Et finalement tu arrives, tu es déjà en concert. C’est direct. Je pensais avoir un peu le trac mais finalement ça se passe super bien et c’est super humain. J’ai plein de potes partout maintenant !
Comment t’est venue cette idée de concert en appartement ?
Au départ j’avais l’intention de faire des concerts sauvages. Mais il a quand même des contraintes au niveau de la mairie, des autorisations, etc. Et finalement je me suis dit que ce serait drôle de faire ça directement chez les gens. Ce qui devait être juste une expérience a fini en tournée, on a fait pratiquement vingt-cinq dates à travers toute la France. Mais je ne compte pas m’arrêter là. On va commencer à intégrer les concerts en salle, mais des petites salles de cents personnes par exemple.
Est-ce qu’il y a eu des galères ?
Même mes galères ça a été des bons souvenirs !
Et si on veut organiser un concert avec toi, comment ça se passe ?
Des évènements se créés sur Facebook, les gens se contactent et trouvent un appartement à mettre à disposition. Après il y a quand même des défraiements, ce n’est pas un concert gratuit malheureusement. Les gens ne payent que la location du matériel et le transport. Mais ce qui est intéressant ce n’est pas de m’appeler pour faire un concert à Toulon et je rentre chez moi au Havre. Ce qui est intéressant c’est de savoir que je suis en concert à Montpellier, mais toi tu habites à Perpignan, tu m’invites et finalement le prix s’équilibre car il y a moins de trajet. Je suis content de le faire, on s’enrichit humainement et ça nous donne de l’impulsion pour retourner en studio et faire d’autres projets.
Un artiste qui ne dérange pas, est un artiste inutile » – Intro
Le slogan de ton album est « Premier solo, dernière chance », pourquoi ?
Je n’y croyais pas du tout. Je suis quelqu’un qui appartient au label Din record depuis plus de dix ans. J’ai eu le temps de voir les rouages de ce métier. J’ai vu les coulisses, comment le Rap Game est structuré et finalement ça m’a un peu déçu de tout ça. J’arrivais à un âge ou je me disais « Putain les gars qui, aujourd’hui, réussissent à se démarquer dans la musique, ont l’âge de mes débuts! ». Et puis finalement les gens ne connaissent pas Brav’. J’ai eu Bouchée Double mais la génération du rap a changé et les gens ne me connaissent pas. Je ne suis pas un artiste qui risque de passer en radio, je ne suis pas mainstream. Je suis dans l’indépendance, aujourd’hui les gens ils s’en foutent de l’indépendance, ils veulent juste savoir combien de vues tu as fait sur Youtube. J’ai fait un album de pessimiste mais c’était dans mon envie de voir beaucoup plus loin et c’était une manière de faire un tapis comme au Poker. Pour le moment c’est un pari réussi ! C’est très enrichissant pour moi : j’ai repris le chemin du studio comme quand j’avais 15 ans, tu vois ? J’ai jamais autant écris !
https://youtu.be/bkrJFjD3Z_k?list=RD4Pv5dwV1Wec
Le morceau Dr.Marteens est très fort, qu’est-ce qui t’a inspiré pour l’écrire ?
J’ai mis énormément de temps à écrire ce morceaux. J’ai eu une personne de mon voisinage qui est devenue Skin alors qu’on a eu les mêmes codes, on est né dans le même quartier, on avait des familles pratiquement similaires, etc. Ce qui m’intéressait ce n’était pas de dire « voilà le mec il est devenu raciste ». Qu’est-ce qui est dangereux ? De se dire que tout le monde peut devenir extrémiste, ou alors de dire qu’il a raison ? C’est dangereux car on a banalisé le mal et ses dérives. Ce n’est pas forcément une personne qui naît raciste, c’est lui qui décide l’être. Pour ce morceau j’ai dû me renseigner quand même, car je voulais comprendre la culture SkinHead. Interpréter ce morceaux c’était entrer dans le rôle d’un personnage comme un acteur. Je voulais que ce morceau soit proche de la réalité mais je ne voulais pas de déposition à charge et incriminer la personne. J’aimerai faire plusieurs épisodes à la suite de ce morceau pour traiter de différentes facettes du racisme. Je crois que je suis à la meilleure place en tant que « français de souche » comme ils disent, pour traiter ce sujet. Car si j’avais été noir on aurait dit que je prenais parti. Si j’avais été arabe on aurait dit que j’incriminais les blancs. Et parce que je suis un blanc je me permets de le dire et d’aller très loin dans la destruction de cette immonde chose qu’est le racisme. C’est mon rejet le plus total les gens racistes, je ne les supporte pas parce que rien n’a fait que tu es raciste, c’est toi qui a décidé d’être raciste, donc c’est toi qui a décidé d’être con, tout simplement.
https://youtu.be/_7hZ-Q5ZXbw?list=RD4Pv5dwV1Wec
Tyler Durden, c’est parce qu’il y a une double face à Brav’ ?
Je crois que oui finalement. Tout l’album est bipolaire : le mec il rappe en même temps il chante, quand il chante un truc sentimental c’est le rejet du sentiment, etc. Et puis c’est un de mes personnages préférés : Tyler Durden c’est le fantasme d’un looser en fait. Il arrive car le mec il rêve de lui. Tyler Durden est libre et c’est magnifique.
A la fin de Sous France des chœurs chantent Smells Like Teen Spirit de Nirvana, pourquoi ce choix ?
Kurt Cobain c’était selon moi la personne la plus innovante dans sa musique. Il a quand même crée le Grunge et c’est un groupe phare pour moi. J’adore Nirvana. Le mec il était tellement vrai c’est incroyable. C’est le groupe que j’écoutais quand j’étais plus jeune, avec Guns’n’Roses, Metallica, etc. Dans le refrain de Sous France j’ai utilisé les mêmes accords que le refrain de Smell Like Teen Spirit. Je chante « Comment te sens-tu? tellement mal… » [chante] et Kurt Cobain lui chante « like teen spirit ». Ça se répond et je trouvait ça drôle et intéressant.
https://youtu.be/4Pv5dwV1Wec?list=RD4Pv5dwV1Wec
Le morceau Meïllia est pour ta fille. Pourtant quand on l’écoute la première fois on ne comprend pas tout de suite qu’il s’agit d’un père fou de sa fille…mais on pense d’abord à de la violence conjugale…
C’est exactement ce que je voulais faire. Je ne voulais pas qu’on comprenne à la première écoute que je parle de ma fille. L’idée était de raconter une histoire très dure et finalement quand tu comprends que je parle à ma fille ça s’adoucit. C’est surtout une chanson pour les pères car je crois que quand tu es père il a une violence dans l’amour que tu peux avoir pour ton enfant. Ce genre de twist c’est exactement ce que j’aime faire, c’est le côté très humain : tu t’attendais à quelque chose de ma part et la fin t’a fait changer d’avis. Je voulais laisser un morceau pour ma fille, en plus elle chante à la fin. La musique c’est la mémoire : quand elle sera plus grande elle aura ce souvenir avec moi.
Outreau conclu ton album. Pourquoi avoir choisi de parler de cette affaire en particulier ?
C’était le jeu de mot qui m’intéressait et c’est quand même une affaire française contemporaine dans laquelle il y a un peu tout mélangé : du mensonge, du viol, de la justice partiale, des gens qui souffrent, qui se sont laissés mourir de faim, etc. Ce n’est pas forcément un titre qui est dédié à cette affaire. Ce qui me fait mal c’est qu’il y a des personnes qui selon leur cadre de vie n’ont pas les mêmes moyens de se défendre.
« Même présentable / On aura l’air coupable /
Les fins heureuses chez nous sont rares / Comme un bon avocat »
– Outreau
Tu as fait participer tes spectateurs à ton dernier clip A L’Evidence. Cette idée t’est venue car nous sommes tous concernés par les paroles ?
Oui…Ça a été le morceau le mieux accueillit pendant les concerts et je me suis dit que c’était le vrai titre fédérateur, on est passé outre les paroles. Des morceaux comme Sunday Bloody Sunday de U2, IRA des Cramberries, ou Redemption Songs de Bob Marley sont des chansons avec un texte fort, mais les musiques sont belles, connues de tous et fédératrices.
Pourquoi le bonnet rouge est-il le symbole de l’album Sous-France ?
Je suis breton et normand. J’ai kiffé lorsque les bretons ont fait le mouvement des bonnets rouges et ont réussi à retirer la loi (mouvement de protestation en 2013 en réaction aux nombreux plans sociaux de l’agroalimentaire et aux mesures fiscales relatives à la pollution des véhicules de transport de marchandise. Ndlr). Ça a été un signe très distinctif. Renaud avait bien un bandana rouge, et bien voilà j’ai mon bonnet rouge. C’était mon clin d’œil à ma Bretagne. Mon père est marin, c’est un signe très important chez moi. Coustaud c’est quelqu’un que je respecte à mort, tu vois ? C’est un truc très ouvrier le bonnet !
Ton titre Post Scriptum que tu as écrit puis confié à Kery James, tu l’as joué au piano à la gare de Paris Saint Lazare. Pourquoi ? Est-ce un moyen de réaffirmer ta paternité sur ce texte ?
Pas vraiment car même quand j’ai écrit le titre de la vidéo j’ai mis « Brav interprète Kery James » et j’aurai pu dire « Brav interprète son texte donné à Kery James »[rires]. C’était utile de la faire juste parce que j’avais envie de reprendre un morceau d’un artiste en France qui soit connu. Et finalement je me suis rappelé de ce morceau que j’avais écrit et qui a plus de deux millions de vues sur internet. Que les gens sachent que c’est moi qui l’ai écrit ou pas, c’est pas ce que je souhaite le plus. Ça a été logique de choisir ce morceau-là.
https://youtu.be/PPSvKMWmO2I
Comment tu te situes dans le milieu du Hip Hop contemporain ?
En fait aujourd’hui je trouve que le rap est une musique très riche et qu’il y a encore des domaines du rap qu’on n’a pas exploité. En lui-même le rap est devenue une culture à part entière. Tu as du rap pour tout les genres de personnes et toutes les sensibilités. Moi je me situe un peu dans tout le monde. Je ne sais pas en fait, c’est difficile parce que je n’ai pas envie qu’on me mette dans une case. J’aime bien me renouveler. En tout cas moi j’aime bien les artistes qui m’amènent dans un délire et qui ne me contente pas de ce que je veux d’eux. Malheureusement la musique rap s’est un peu uniformisée. Mais bon voilà les autres ce qu’ils font c’est très bien, le problème c’est qu’il y a cette tendance à l’uniformisation qui me gêne, car j’aime bien quand quelqu’un prend des risques. Et moi je voudrai me permettre de prendre ces risques. Faire un feat avec Zazie ce serai magnifique par exemple [rires].
Bientôt un concert en Lorraine ?
On est en pause jusqu’au mois de février pour l’instant. Mais surement, oui, car on va refaire un tour de France, Belgique et Suisse. Mais en concert ou en appartement, c’est sur on viendra par chez toi. Mais le temps de tout mettre en route…comme on fait tout nous-même ça met plus de temps qu’une maison de disque !
https://youtu.be/sdprx5RQELM?list=RD4Pv5dwV1Wec
Propos recueillis le 2 décembre 2015 entre Le Havre et Metz par Fanny Ménéghin
Crédits photos : Wilfried Barray