Après plusieurs mois d’atermoiements, Ségolène Royal, ministre de l’écologie, et Alain Vidalies, secrétaire d’Etat aux Transports, ont annoncé l’abandon de l’Ecotaxe et la résiliation du contrat d’Ecomouv’. L’entreprise, qui dénonce une situation « ubuesque », était chargée de collecter l’impôt nouveau. Elle est désormais engagée dans des négociations avec le gouvernement afin d’obtenir une compensation financière. Une affaire complexe qui pourrait mener les deux parties devant la justice. Explications.

[toggle title= »Qu’est-ce que l’Ecotaxe ?« ]

L’écotaxe (pensée par le précédent gouvernement lors du Grenelle de l’Environnement) est un système de péage de transit pour les poids lourds. Il avait pour but de changer les mentalités en matière de transport et inciter les entreprises à utiliser des modes de transport alternatifs. Contrairement à ce que les participants au mouvement Bonnets rouges ont pu croire, les taxes récoltées n’avaient pas pour destination les poches de l’Etat. Elles devaient servir au financement d’infrastructures de transports alternatifs, fluviaux ou ferroviaires. [/toggle]

[toggle title= »Qu’est-ce que Ecomouv’ ?« ]

L’entreprise Ecomouv‘ est une entreprise qui a été créée spécifiquement pour mettre en place puis gérer la collecte de l’Ecotaxe. Installée sur l’ancienne base aérienne Metz-Frescaty, elle appartient au groupe italien Autostrade (70% du capital) et aux entreprises françaises Thales (11%), SNCF (10 %), SFR (6 %) et Steria (3 %). 210 personnes y travaillaient en contrat à durée indéterminée.
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Quel contrat liait l’Etat à Ecomouv’ ?

A la suite d’un appel d’offre, l’Etat a convenu avec Ecomouv’ d’un contrat de partenariat public-privé (PPP). Autrement dit, il « confie à une personne privée la réalisation d’un investissement et l’exploitation d’une activité de service public en contrepartie d’une rémunération », comme l’explique Philippe Cossalter, avocat et professeur de droit public.

En l’occurrence, Ecomouv’ devait toucher une rémunération fixe de 230 millions d’euros par an pendant onze ans (la durée du contrat). Selon Bercy, la taxe aurait, quant à elle, permis de récolter entre 500 et 800 millions par an. Une somme rétrocédée par Ecomouv’ à l’AFITF (Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France). Un organisme chargé de financer des infrastructures de transports alternatifs, fluviaux ou ferroviaires.

L’Etat pouvait-il légalement rompre le contrat ?

Oui. En France, une administration publique a le droit de rompre unilatéralement les termes d’un contrat passé avec une entreprise privée, pour un motif « d’intérêt général ». Un motif qu’il est très facile de légitimer et que l’Etat pourra aisément justifier en ce qui concerne Ecomouv’. Une prérogative extrêmement puissante donc mais qui a un revers : le partenaire privé doit être intégralement indemnisé du préjudice. Dans le cas présent, Ecomouv’ peut faire valoir l’ensemble des investissements déjà réalisés pour sa mission, comme le montage des portiques ou les salaires versés à ses 210 employés. Un total auquel s’ajouterait un montant encore indéterminé de loyers.

Quelles indemnités l’Etat devrait-il verser à Ecomouv’ ? Quelles sont les conséquences indirectes de cette rupture ?

infographie ecomouv

Sources : Ecomouv’, LeMonde.fr, Le Figaro, rapport du Sénat.

L’Etat peut-il s’exonérer de ces pénalités ?

Non, mais il peut tenter de les réduire. On sait d’ores et déjà que le gouvernement ne souhaite pas s’aligner sur les estimations d’Ecomouv’. « C’est un chiffre lancé dans la nature », a affirmé Ségolène Royal (ndlr : lorsque le gouvernement entendait encore défendre sa taxe, il s’était pourtant appuyé sur ce même chiffre). La Ministre de l’Ecologie s’est déjà dite prête à aller « au contentieux pour que les Français ne paient pas [la] facture ». Si l’Etat ne parvient pas à s’entendre avec l’entreprise, il peut user de deux recours :

  1. L’Etat pourrait dénoncer son propre contrat. « Il va dire que le contrat était illégal voire même anticonstitutionnel car il confie la perception d’un impôt à une société privée ! », explique Philippe Cossalter. Du bluff puisque le Conseil d’Etat a déjà confirmé la légalité de ce contrat en 2011. En 2014, une commission d’enquête sénatoriale était arrivée aux mêmes conclusions.
  2. L’Etat pourrait dénoncer une faute commise par Ecomouv’. Et là encore, ce ne serait pas chose aisée. L’Etat a réceptionné au printemps dernier des portiques ne souffrant d’aucune malfaçons. Seul argument qu’il puisse avancer pour réduire le montant des indemnités : le retard pris dans la livraison des portiques (initialement prévue en 2013).

Des arguments que l’entreprise ne manquera pas de contester. Avec trois reports de l’Ecotaxe en deux ans, Ecomouv’ a eu le temps d’envisager un éventuel retrait de l’Etat et préparer sa défense. Il y a un an, le vice-président de l’entreprise, Antoine Caput, déclarait dans les colonnes du Monde : « Le contrat comprend toutes les dispositions nécessaires […] pour faire face à toutes les hypothèses. L’Etat a le pouvoir [d’abandonner le projet], mais il devra alors en supporter les conséquences ».

Dans tous les cas, pour Me Philippe Cossalter, une action en justice mettrait en branle une procédure longue « de plusieurs années ». Même si cela reviendrait à un aveu d’échec politique pour le gouvernement et Ségolène Royal, « le mieux pour l’Etat serait de trouver un accord lors des négociations ». Car, selon l’avocat, « à la vue de tous ces éléments, l’Etat ne peut en aucune manière se désengager du remboursement des investissements d’Ecomouv' ». Et si jamais un juge administratif venait tout de même à faire preuve de bienveillance envers l’Etat, « ce serait gravissime car cela enverrait le signal aux entreprises que la France ne respecte pas ses engagements contractuels ». C’est sans doute ce constat qui a poussé la Ministre de l’écologie à calmer le jeu après ses déclarations fracassantes…

Que va t-il advenir des salariés et douaniers ?

Ecomouv’ liquidée, les salariés devraient être licenciés. La CGT Cheminot a proposé que l’Etat en reclasse une partie à la SNCF. Mais aucune obligation pour l’Etat. « Ce sont des salariés de droit privé, stipule Me Philippe Cossalter. Ecomouv’ aurait pu demander le reclassement si il y avait eu transfert d’entreprise à l’issue du contrat ». Les douaniers, en attente d’une nouvelle mission, sont eux-aussi incertains. Le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, a assuré que « tout sera fait » pour leur éviter une nouvelle mutation. Sans garanties pour le moment.