Depuis plusieurs années, le taux de chômage en France n’a cessé de progresser. Certaines régions sont particulièrement touchées par le phénomène dont la Champagne-Ardenne et la Lorraine qui formeront avec l’Alsace la future grande région ACAL en 2016.

Face à la crise et au chômage, les trois régions qui formeront l’ACAL ou encore la région du Grand Est ne sont pas à égalité. Les chiffres respectifs du taux de chômage et du taux de pauvreté en Lorraine et Champagne-Ardenne démontrent leur faiblesse face à une Alsace sensiblement plus forte et plus riche.

Un chômage moindre en Alsace

Une étude des trois conseils économiques, sociaux et environnementaux des régions Lorraine (CESEL), Alsace et Champagne-Ardenne (CESER), démontre que l’emploi recule bien plus en Lorraine et en Champagne-Ardenne qu’en Alsace. En effet, entre 2007 et 2013, « l’emploi total » a reculé de 5,9% en Lorraine, 4,9% en Champagne-Ardenne et 1,9% pour l’Alsace. Au premier trimestre 2015, l’INSEE a relevé un taux de chômage de 10,5% en Lorraine, 11% en Champagne-Ardenne et 9,2% en Alsace, un chiffre sous la moyenne française de 10%.

D’après Olivier Favre, chargé d’études et de communication au CESER Alsace, plusieurs critères entrent en jeu pour expliquer cette différence notable : « L’Alsace, par son modèle industriel et la façon dont l’économie est organisée, ressemble plus à l’Allemagne qu’à un modèle français. Par ailleurs, l’Alsace a été moins impactée il y a quelques années que la Lorraine sur la mort de certaines industries comme la sidérurgie, la métallurgie qui a fait d’énormes dégât dans cette région. Il y a aussi l’apport de Strasbourg, ville européenne et étudiante. Plusieurs choses expliquent que l’Alsace ait été plus riche que les autres régions depuis 50 ans. » Il nuance néanmoins son propos puisque l’Alsace connaîtrait une sensible régression en terme d’emploi : « La différence entre l’Alsace et les autres régions s’amenuise. Les alsaciens voient que la particularité dont ils sont le plus fiers disparaître, ce qui alimente la crise identitaire dans la région, puisqu’elle disparaît en tant qu’entité administrative [du fait de la réforme territoriale.] »

Lorraine et Champagne-Ardenne : point de fuite de la pauvreté en ACAL

Les CESE des trois régions ont également démontré que la Lorraine et la Champagne-Ardenne font partie des régions en France où le taux de pauvreté est le plus important avec 14,7% pour la Lorraine classée 14è sur les 22 régions françaises et 15,5% pour la Champagne-Ardenne classée 17è. L’Alsace s’en sort bien mieux avec le 3è taux le plus faible en France soit 12,2%. L’unification prévue des régions a d’ailleurs posé certaines indignations d’ordre identitaire mais aussi liées aux craintes des Alsaciens de voir leur région tirer vers le bas par les deux autres.

Patrick Tassin, président du CESER de Champagne-Ardenne, revient sur ces doutes qui perdurent : « Ce qui va reculer c’est évidemment quand on va parler des moyennes du taux de chômage dans la région ACAL par exemple. Il sera probablement supérieur au chiffre du taux de chômage en Alsace actuellement. Mais la moyenne de la région ACAL n’aura pas d’incidence sur le territoire alsacien. » Finalement, les régions bénéficieront toujours de leurs atouts territoriaux, notamment les pays voisins à la Lorraine et l’Alsace qui induisent un flux important de travailleurs transfrontaliers.

Des zones d’emploi inégales au sein des régions

Pour comparer le taux de chômage au sein de la région ACAL, il faut s’appuyer aussi sur les données de chaque zone d’emploi. Celle-ci représente l’espace géographique à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent. L’INSEE a réalisé un découpage de 31 zones d’emploi au sein de l’ACAL en 2012.

Taux de chômage selon les zones d’emploi dans la région ACAL en 2015

 (Plus la zone d’emploi est de couleur foncée, plus son taux de chômage est important)

A voir la carte de plus près, on remarque qu’il y a une grande différence entre le taux de chômage des zones d’emploi se trouvant dans la frontière Belge et Luxembourgeoise, et celles partageant la frontière avec la Suisse. Dans les Ardennes par exemple, Charleville-Mézières « est une grosse zone d’emploi qui touche presque l’ensemble du département, pourtant il y a un taux de chômage parmi les plus forts », relève Patrick Tassin.

Plus on se rapproche de la zone frontalière de la Suisse et plus le taux de chômage diminue dans les zones d’emploi de la région, à quelques exceptions près, tels que Forbach. Du côté de Thionville, on est dans les zones d’emploi où le taux de chômage est plutôt faible. La zone d’emploi de Saint-Louis, quant à elle, enregistre l’un des plus faibles taux de chômage de la région.

Patrick Tassin l’explique par le fait que « le niveau du taux de chômage dépend aussi beaucoup de la situation socio-économique du territoire voisin. » Le président du CESER explique que s’il n’y avait pas le Luxembourg à côté de Thionville, le taux de chômage serait sans doute fort différent. « Il serait beaucoup plus fort que ce qu’il en est aujourd’hui parce qu’il y a l’apport du Luxembourg avec des travailleurs transfrontaliers qui passent la frontière quotidiennement et qui ne comptent pas parmi les chômeurs de France », ajoute-t-il.

45 % des frontaliers français dans la région ACAL

Le travail des frontaliers joue un rôle important dans l’absorption du chômage dans la région ACAL. La région profite du fait qu’elle dispose de zones d’emploi aux frontières de l’Allemagne, de la Belgique et de la Suisse. Selon le CESEL, il y a 45 000 travailleurs frontaliers dans la région ACAL, soit 45% du nombre de frontaliers en France. En 2011, la Lorraine comptait à elle seule 92 774 “navetteurs” (8,5% des actifs de la région), soit le plus grand nombre de la région ACAL. L’Alsace quant à elle dispose de 63 344 d’entre eux (7% des actifs) et la Champagne-Ardenne comprend 3 786 navetteurs (0,6% des actifs).

L’Alsace et la Lorraine, qui sont des régions industrielles, comprennent le nombre le plus important de travailleurs frontaliers dans la région. La Champagne-Ardenne quant à elle enregistre un nombre de frontaliers plutôt marginal. « La quantité de travailleurs frontaliers est très liée à la situation économique du territoire de l’autre côté de la frontière », explique Patrick Tassin. L’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg étant des territoires plus forts économiquement que la Wallonie frontalière de la Champagne-Ardenne. D’ailleurs, grâce à leurs grandes entreprises, leurs entités importantes et une économie qui prospère, l’Allemagne, la Suisse et le Luxembourg ont depuis longtemps attiré les Français à la recherche d’emploi de l’autre côté de la frontière.

« En Alsace, le travail frontalier nous sauve »

En Alsace par exemple, il y a une tradition d’ouverture sur le travail frontalier en Allemagne et en Suisse grâce à la langue. « Le travail frontalier nous sauve en quelque sorte, parce que sinon on aurait à peu près le même taux de chômage que dans les autres régions » révèle Olivier Favre. Même si l’Alsace est une région relativement riche de l’ACAL, elle a toutefois été impactée par la crise de 2008.

Les déboires économiques en Lorraine ont favorisé le travail frontalier

Selon l’INSEE, près de quatre Lorrains sur cinq travaillent au Luxembourg. Ils sont par contre 16,5% à travailler en Allemagne. « La Moselle a connu ces dernières décennies des problèmes au niveau économique. Il y a eu donc une forte obligation de trouver du travail ailleurs », explique Olivier Favre. La frontière Wallonne est moins attractive pour la Champagne-Ardenne.

Cette région d’ailleurs est fortement agricole, mais enregistre un taux de travailleurs frontaliers très marginal (0, 6% de la population active). Ils travaillent en général en Belgique, dans la partie wallonne du pays. Pour Olivier Favre, le nombre de frontalier est minime dans la région parce que « Il y a moins d’activités industrielles en Wallonie, qui est moins forte économiquement que la partie flamande de la Belgique. »

Chômage et démographie, des inégalités qui persistent

Données croisées (CESE)

Dans les 31 zones d’emploi délimitées par l’INSEE au sein de la future grande région ACAL, on peut également observer des inégalités démographiques. Toujours selon les données de l’INSEE recueillies entre 1999 et 2011, seulement 35% des zones d’emploi en ACAL ont gagné des habitants et des emplois à la fois contre 67% sur l’ensemble du territoire français.

Parmi les évolutions positives sur les ces deux indicateurs, on retrouve donc 11 zones d’emploi dont Strasbourg, Haguenau et Metz. Forbach est l’unique zone d’emploi ayant perdu des habitants mais gagné des emplois. Enfin 6 zones ont perdu à la fois de la population et de l’emploi dont Charleville-Mézières où le taux de chômage est l’un des plus forts de la région ACAL selon Patrick Tassin.

Des chiffres qui s’expliqueraient encore une fois par la proximité des pays frontaliers, notamment la Suisse pour des zones telles que Colmar ou Sélestat, et le Luxembourg avec une forte évolution de la population à Thionville. En Champagne-Ardenne, la population se regroupe principalement autour des grandes villes. On observe donc des inégalités fortes au sein même de la future région ACAL tant sur le taux de chômage que sur la démographie et le taux de pauvreté qui sont étroitement liés.