La nuit s’installe dans le ciel messin. Les badauds s’éveillent aux six coups marquant dix-huit heures, moment sacré qu’ils baptisent « Happy hour », intervalle de temps dissocié de la réalité, où dans les bars une pinte équivaut au prix d’un modeste demi. Mais ce soir, cette éphémère circonstance prend une toute autre saveur. Elle précède le match de football France/Espagne, prétexte idéal pour passer une soirée entre amis. Les plus habiles convergent déjà vers le Café Comédie, bar prisé des étudiants. Les minutes s’écoulant lentement avant la diffusion du match, les consommateurs de bières en profitent pour s’échauffer calmement, à leur manière. Les premiers sourires s’esquissent au fur et à mesure que les verres se remplissent, la convivialité s’installe.

Metz étant une ville étudiante conséquente, un vaste attroupement d’Erasmus espagnols est venu supporter leur équipe nationale. Les rires et les pronostics fusent avant le coup d’envoi, la plupart des supporters ibériques, se sachant en pays étranger, restent humbles et ne prédisent qu’une victoire « par trois ou cinq buts d’écart ». Le serveur avoue qu’il est lui même « pour le public le plus festif du bar ». « J’ai envie de donner un bon souvenir à ces étudiants étrangers en échange de leur bonne humeur » confie-t-il.

Brusquement, l’hymne espagnol retentit accompagné d’un véritable beuglement qui fait trembler murs et pintes. L’absence de paroles n’embarrasse pas la bonne humeur des étudiants, qui font montre de créativité et d’entrain pour soutenir leur pays, les « la, la, la, la la » se mêlent aux sifflets et aux applaudissements. Le match débute, le brouhaha hispanique couvre la voix du commentateur. Le ballon circule avec célérités entre les joueurs de la Roja, tout comme les verres de bières entre les aficionados du ballon rond.

Accoudés au comptoir les ivrognes se muent en philosophes. Leurs paroles sont soudainement couvertes par les exclamations tonitruantes des Espagnols. L’Espagne vient d’ouvrir le score par le biais de Sergio Ramos. Les supporters tricolores se rembrunissent et noient leur chagrin dans l’alcool. Le but refusé de Jérémy Menez quelques minutes plus tard accentue violemment leur passion pour la boisson au détriment du match. Dépités, les Mosellans se rabattent sur le pénalty arrêté par Hugo Lloris pour dénicher l’opportunité de trinquer avec ferveur .

La mi-temps est l’occasion idéale pour remplir les verres lestement vidés et aller « s’en griller une ». Entre deux bouffées de tabac, César, étudiant et arbitre espagnol, nous explique qu’il « adore l’ambiance du bar grâce aux Erasmus ». Écrasant tranquillement son mégot, il regagne le café avec sérénité, convaincu que son équipe va l’emporter.

Dès la reprise du match, les rivalités resurgissent bien qu’adoucies par les litres de liquide précédemment ingurgités.  Les plaisanteries et les quolibets s’enchevêtrent avec le tintement des verres et le raclement des chaises.  Le spectacle continue dans la même ambiance jusqu’au but de Giroud dans la dernière seconde. L’ensemble du bar exulte et se précipite sur leur verre pour célébrer ce miracle.

Après quelques minutes de dissertations et d’analyses alcoolisées la cohorte de supporters quitte le bar de manière plus ou moins chaotique. Les éclats de rires accompagnent les pâles volutes de fumée qui s’élèvent vers le ciel mosellan.