Fierté des transports messins, le Mettis est aujourd’hui rattrapé par la réalité. Entre des pannes et un vieillissement avancé, l’incarnation de la modernité locale est en danger. Dans une période marquée par des contraintes écologiques, l’avenir du symbole se présente dans une phase cruciale pour les années à venir.
En 2013, Metz célébrait fièrement son nouveau bus : le Mettis. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, avait même effectué le déplacement pour l’inauguration. Une mise en scène à la hauteur d’un projet ambitieux, pensé pour incarner la modernité des transports messins. Douze ans plus tard, comme un guide silencieux, il transporte chaque jour près de 50 000 passagers. Devant la gare, le Centre Pompidou ou la Foire Exposition, il appartient au décor. Les Messins l’aiment, les touristes le découvrent.
Mais c’est le rugissement de son moteur qui inquiète. Entre dysfonctionnements et accidents, la municipalité est plongée dans l’embarras. Faut-il continuer sur cette voie ou changer de direction ? Rien que pour l’année 2024, sur les trente Mettis du réseau, la métropole a recensé près de 1 100 problèmes, une hausse de 18% par rapport à 2021. « Des véhicules fatigués qui vont rouler jusqu’au ferraillage » indique Denis Marchetti, membre du groupe d’opposition de gauche au conseil municipal.
Avec des bus en maintenance, il a alors fallu mettre en place une solution de secours : des « faux Mettis ». Plus courts, moins capacitaires, parfois même sans couleur, ils circulent sur les mêmes trajets, identifiés seulement au flocage « Je suis un Mettis ». Officiellement, il s’agit de renforts de l’offre aux heures de pointe. Mais derrière les lignes, les difficultés se lisent clairement, surtout avec une flotte vieillissante : plus de douze ans d’ancienneté pour vingt-sept des Mettis.
En 2013, leur durée de vie était annoncée à dix-huit ans. Aujourd’hui, seuls les deux tiers sont écoulés, mais la métropole se questionne déjà. Au conseil métropolitain du 6 octobre 2025, la Chambre Régionale des Comptes Grand Est alerte sur « une fréquentation élevée mais un niveau de satisfaction qui fluctue » et un réseau qui a « très peu évolué depuis 2013 [suivant] un rythme de renouvellement insuffisant ». Des conséquences directement liée à une « absence d’investissement rigoureux dans la flotte » selon Xavier Bouvet, candidat à la mairie de Metz en 2020.
Un bus sans support
Derrière cette réussite, une collaboration solide s’établit entre la métropole et le constructeur belge Van Hool. Pour ce dernier, le Mettis devait alors devenir une vitrine technologique. En 2013, vingt-sept bus sont commandés, puis trois supplémentaires en 2020.
Lorsque Metz prépare sa future ligne C, en 2023, la confiance est renouvelée avec une nouvelle commande de quinze Mettis supplémentaires, pour près de 900 000 euros l’unité. Mais le retard s’accumule. Contrainte par le constructeur, la métropole décale le calendrier de sa future ligne C. Van Hool tente de rassurer, mais la tempête s’approche. Des querelles internes et une crise de succession ont finalement raison de la marque. Au mois d’avril 2024, le constructeur historique du Mettis dépose le bilan. Un symbole messin se retrouve soudain sans support.
Et au-delà des projets futurs, c’est la flotte actuelle qui se retrouve fragilisée. « Aujourd’hui, on constate une fatigue importante. Et sans Van Hool, comment va-t-elle être comblée ? » se demande Denis Marchetti. Certaines pièces, dites captives, sont protégées par le constructeur et ne peuvent être reproduites ailleurs. Sans elles – et surtout sans techniciens de Van Hool –, c’est l’entretien même du réseau messin qui se retrouve menacé. Sollicitée à de multiples reprises à propos de ces dysfonctionnements et l’avenir de la flotte, la collectivité n’a pas souhaité commenter la situation.
Un virage technique et écologique
La situation pourrait bien s’accélérer. Si les contraintes environnementales étaient encore secondaires à l’époque du lancement du Mettis, elles sont désormais au cœur des discussions. La loi Climat et Résilience, adoptée en 2021, impose des objectifs ambitieux à l’horizon 2050 pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les transports publics doivent revoir leur copie.
Le Mettis, autrefois symbole de modernité, se retrouve aujourd’hui dépassé. Son moteur hybride, combinant propulsion thermique et assistance électrique, n’est plus suffisant. Selon les seuils fixés pour 2030, il ne répondra plus aux exigences environnementales. Un dilemme s’impose alors : faut-il miser sur l’électrique ou sur l’hydrogène ?
Les deux options sont jugées crédibles, mais la métropole tranche en faveur de l’électrique en 2024, notamment dû à une absence de BHNS (Bus à Haut Niveau Supérieur) à hydrogène. Le plan de transition prévoit un renouvellement complet du parc messin dans les cinq prochaines années. KEOLIS, actionnaire à 25 % du réseau de transport, propose le remplacement des vingt-sept Mettis actuels par trente nouveaux e-Mettis entièrement électriques. En attendant leur arrivée, les véhicules existants bénéficieront d’une révision complète afin de limiter les pannes, déjà nombreuses.
Mais alors que la logique voudrait un virage unifié vers l’électrique, la décision surprend. Pour la future ligne C, elle maintient son projet initial : des bus à hydrogène, autrefois commandés à Van Hool. Le constructeur belge disparu, c’est à Solaris qu’est confié le nouveau projet. Fin septembre, le futur Mettis C est présenté à la Foire Internationale de Metz, mais c’est un choix qui questionne, notamment sur le plan financier. Selon Denis Marchetti, la stratégie manque de cohérence : « Soit on part dans une direction, soit dans l’autre. Maintenir l’hydrogène, c’est accepter des coûts supplémentaires et une logistique complexe, avec une énergie encore rare ».
Un choix qui divise donc. D’un côté, l’électrique incarne la stabilité et la continuité de la stratégie actuelle. De l’autre, l’hydrogène représente l’innovation, mais aussi l’incertitude. Entre ambition écologique et contraintes techniques, la métropole avance donc sur un équilibre fragile.
« Ce n’est plus tout à fait un Mettis »
Les réactions étaient partagées au Parc des Expositions lors de la présentation du nouveau bus.
« Il perd son originalité », glisse un visiteur. « Ce n’est plus tout à fait un Mettis », renchérit un autre. Le symbole messin perdrait-il un peu de son âme ? Car le Mettis, c’est avant tout une identité reconnaissable entre toutes, quatre couleurs et une silhouette particulière. Il se distinguait du reste du réseau, presque comme un emblème de la ville. Ce nouveau modèle rompt avec cet esprit. Sa forme plus standard rappelle celle des bus Lianes : efficace, certes, mais sans éclat particulier. Du côté de la mairie, on insiste sur sa valeur écologique. Le design s’efface au profit d’une motorisation plus verte.
Et pourtant, la métropole avait tenté de préserver son identité. En 2023, lors de la commande passée à Van Hool, il était encore question d’une version à hydrogène conservant la silhouette d’origine. Mais la faillite du constructeur a mis fin au projet, et aucun autre fabricant n’a souhaité reprendre ce modèle. François Grosdidier, président de l’Eurométropole de Metz, s’est malgré tout battu pour maintenir la piste hydrogène. « C’est le mode de locomotion le plus vertueux. C’est l’électrique sans les batteries , glissait-il en mars 2021 au micro de Tout-Metz à l’occasion de la présentation d’un bus hydrogène. Il s’agit maintenant de monter tout un écosystème viable » . Résultat : ce sont des bus plus classiques, moins distinctifs, qui font aujourd’hui leur apparition. Un projet cohérent pour Xavier Bouvet, qui insiste sur « la priorité de la fréquence des bus, plutôt que de l’image qu’ils renvoient ».
Peut-on alors sonner la mort du Mettis ? Pour la ligne C, oui. Mais pas pour les lignes A et B, où l’avenir pourrait s’appeler e-Mettis, la version électrique proposée par Keolis. Le projet n’en est encore qu’à l’étude, mais il porte un désir clair selon Denis Marchetti : celui de prolonger la vie du symbole messin. Tant d’investissements, tant d’années pour créer ce qui est devenu le fleuron du réseau… Ce serait dommage d’en faire un simple souvenir.