« Hoe ! Hoe ! Hoe ! » le Drag Show de Noël de la Queerdom s’est invité au Frac Lorraine pour célébrer les 40 ans de l’établissement. Les spectateurs étaient nombreux pour assister à une soirée endiablée sur le thème des fêtes hivernales.

Un lutin exploité par Amazon, une diablesse nostalgique ou un sapin de Noël qui se venge de son ex : il y en a eu pour tous les goûts au drag show gratuit organisé par le Fonds régional d’art contemporain de Metz. Période compliquée pour les personnes faisant partie de la communauté LGBT, cette soirée permet à tous de se rassembler dans un environnement « safe », festif et joyeux. Certain·e·s sont membres de la Queerdom, une association locale pour et par les personnes queer*1, d’autres drag font partie de la « House of Good Shit », également située à Metz.

Un air de fête dans les coulisses

18 heures : dernières répétitions pour Pluriel·le et Worm, pendant que les autres artistes se préparent. Sam, responsable des lumières, fixe les derniers arrangements avec les performeur·euses. « Est-ce que ça rend bien, là ? » s’inquiète Pluriel·le, habillé·e en diablotin. Ses collègues le·a rassurent immédiatement et le·a conseillent, tout en bienveillance.

Worm ajuste son maquillage dans le miroir entre deux messages – Photo : Loris Jecko

Dans les coulisses, le stress monte. On se maquille, coiffe, arrange son costume et y ajoute les derniers détails, sur des musiques de Noël. Clochettes, boules dorées, laine, tissus crochetés et autres grelots sont au rendez-vous pour ce show festif. Des lutins se baladent ici et là, une mère Noël à la barbe décorée enfile ses collants. Ici, on se serre les coudes. « Qui a de la laque ? » demande Cher Nobyl. « Attend, ton corset est mal attaché, je te le remets ! ». Dans le joyeux bazar de la salle, les perruques, palettes, rubans, faux-cils et pinceaux se mélangent. Les sourires sur les visages colorés s’accompagnent de blagues pour détendre l’atmosphère.

Cher Nobyl cherche à reproduire la forme d’une étoile avec ses cheveux pour le show – Photo : Loris Jecko

« J’aime beaucoup quand on se prépare tous ensemble avant les shows, c’est beaucoup d’entraide et de rigolade, puis après le show on se dit ‘’ça y est je l’ai fait !’’ », raconte Mylène Mi-coton, qui performe pour la troisième fois seulement. « Ce soir, j’ai prévu de montrer que les fêtes de Noël ce n’est pas toujours super cool, surtout quand on est queer*. Parfois, la famille n’accepte pas qui on est, alors ce n’est pas un moment agréable », explique l’artiste. Mylène s’adapte toujours au thème du show. Iel n’est pas une drag queen, ni un drag king, mais une drag créature. Bonnet rouge à oreilles de chat, chevelure blonde, moustache au crayon noir et nœud papillon sont de mise.

Mathou et les autres parlent, mangent et se détendent avant le show – Photo : Loris Jecko

À côté, un lutin à la peau verte attire l’attention. « Ce qui me passe par la tête, je le crée », déclare Mathou, aka Feu Folâtre, drag king monstre qui fait partie de la Queerdom. En effet, il y a plusieurs types de drag qui sont moins connus du grand public, à l’image du drag monstre/créature. « Ça me plaît d’inventer des histoires et de performer avec d’autres personnes ». Pour sa performance, iel a prévu de dénoncer la précarité que vivent les personnes LGBT+, mais aussi la pression familiale qui incite à cacher son identité pour « ne pas déranger » les normes. « Il faut écouter les personnes concernées et les accepter », rappelle Feu Folâtre. Pour ellui, le drag, ce n’est pas juste performer le genre, c’est aussi raconter des histoires, incarner des personnages hauts en couleurs et amuser la galerie. Son principal objectif, c’est de passer un bon moment en compagnie de ses adelphes.

It’s show time !

Le public commence à arriver dans l’entrée du Frac. On se presse dans la salle de préparation, le brouhaha arrive jusqu’aux oreilles des artistes. PEES, drag au style grotesque et monstrueux, est chargé d’accueillir les spectateur·ice·s du soir. Un rappel des règles s’impose : on respecte les personnes présentes, on ne touche pas les performeur·euse·s sans leur accord, et surtout : on s’amuse ! Pour un drag show, on se lâche. Le public est encouragé à crier, hurler, claquer des doigts, applaudir, et montrer son soutien sous toutes les formes. Tous les moyens sont bons pour soutenir les jeunes artistes et les aider à oublier leur trac.

Le public déambule dans tout le Frac en suivant les drôles de créatures stars de la soirée. D’abord, une danse s’impose entre lutins, puis une drag queen à barbe fait la lecture d’une drôle d’histoire : le conte de Saint-Nicolas revisité. Entre quelques réflexions humoristiques et claquements de doigts, c’est un véritable moment suspendu hors du temps. Pendu·e·s aux lèvres de Beardo la Zaubette, chacun écoute avec attention, en espérant que la fin de l’histoire n’arrive jamais. Une fillette aux moustaches de chat semble absorbée par l’histoire. Qui a dit que les drag queen faisaient peur aux enfants, déjà ? Entre les « oooh » attendris, et les « oh ! » de surprise, les rires et les sourires, l’histoire ne manque pas de faire réagir. Le premier numéro de la soirée est un franc succès.

Des performances endiablées qui plaisent

Après avoir traversé le Frac de long en large, tout le monde se retrouve dans la salle de spectacle et prend place devant la scène. Pees anime la première partie de soirée, et annonce les différent·e·s artistes. Avant chaque passage, on annonce les « trigger warning », c’est-à-dire les mentions de thèmes qui pourraient choquer l’audience. Chaque performance s’accompagne d’une ou plusieurs musiques. Les artistes chantent en synchronisation labiale tout en dansant et occupant l’espace. Mylène Mi-coton déballe ses cadeaux avant de se faire elle-même emballer dans du papier. Feu Folâtre, le lutin d’Amazon, travaille à la chaîne, mais lorsque son père l’appelle pour lui demander de ne pas être trop excentrique à Noël, c’est la goutte de trop. Iel déchire le papier et décide de boire un verre de vin seul·e, en embrassant pleinement son identité. Cher Nobyl arbore une robe sapin et une perruque en forme d’étoile. Elle fait sa fête à son ex et ne manque pas de critiquer ouvertement la religion qui peut être synonyme de répression pour les personnes queer. La foule est en délire, le seul moment où le public hue, c’est lorsqu’on annonce le dernier passage avant la pause.

Mylène Mi-Coton dénonce sur scène les fêtes de Noël subies – Photo : Loris Jecko
Cher Nobyl offre un spectacle inquiétant et mouvementé au public – Photo : Loris Jecko

Clément, pour qui c’est une première, avoue ne pas être familier avec le milieu queer. Invité par des ami·e·s, il est impressionné par le show. « Entendre les applaudissements et voir tout ce soutien qu’il peut y avoir pendant les prestations, je trouve ça vraiment émouvant, beau et très poétique », explique-t-il. « Lorsqu’il y a un message politique derrière, c’est d’autant plus surprenant et impactant ». Une chose est sûre, il reviendra. Même avis pour Loïne, habituée des spectacles de la Queerdom. « J’adore les shows, je viens aussi pour soutenir mes ami·e·s », raconte-t-elle. Fan de l’esthétique « monstre et glauque », PEES et Cher Nobyl sont parmi ses artistes favorit·e·s.

Twinky Winky en diva clownesque – Photo : Loris Jecko
Pluriel·le incarne un diable romantique – Photo : Loris Jecko

Twinky Winky offre au public une performance de danse qui va sans rappeler le personnage Cruella d’Enfer avec son manteau exubérant et son rouge à lèvres prononcé. La lumière vire du rouge vif au vert fluo, en passant par le bleu et le jaune. Les effets stroboscopiques rythment les pas des artistes. Quand vient le tour de Worm, on laisse l’aspect inquiétant de côté pour embrasser une ambiance douce et loufoque. Voilà qu’elle lance des vers en peluche colorés à travers la salle. Le show se termine sur une note joyeuse, et chacun repart accompagné d’un petit vers duveteux.

Le Frac, un « safe space2 »*

« Décider avec qui on va travailler ça permet de donner du sens à ce que j’imagine être l’art et la culture », explique Clara Brandt, chargée de la programmation culturelle et des partenariats du Frac. Le plus difficile lors de ce genre de soirée, c’est de s’assurer que tout le monde soit en sécurité et se sente bien. Question d’autant plus importante lors d’évènements queer qui comprend un public plus touché par les discriminations et les violences au quotidien. « Avec la com, on aborde déjà les thèmes et le public est prévenu, mais on n’est jamais à l’abri car il suffit d’une personne malveillante pour mettre à mal la soirée. Faire un discours de préparation, prévenir les gens sur les gestes à suivre et ceux à ne pas faire, c’est important. On sensibilise, on insiste sur la tolérance 0 et le public est tout de suite mis dans l’ambiance ». Pour la soirée, elle avait quelques inquiétudes vis-à-vis de la gestion des personnes, « finalement tout s’est extrêmement bien déroulé et il y avait du monde », conclut-elle.

Pour ce dernier show de l’année, la communauté queer était au rendez-vous dans une ambiance festive, bienveillante et déjantée. Le public gardera un bon souvenir de l’évènement, qui a permis de faire découvrir l’univers du drag aux néophytes et de mettre en valeur les artistes locaux.

Pluriel·le dénonce le tiraillement entre son identité et la religion – Photo : Loris Jecko
  1. Queer* = bizarre, étrange, terme anglais qui était utilisé à l’encontre de la communauté LGBT+ en tant qu’insulte, repris par ses membres comme revendication de la différence assumée ↩︎
  2. Safe space* = espace sécurisé dans lequel les personnes ne risquent pas de subir des discriminations ou des violences physiques/verbales ↩︎