A quoi fait vraiment référence le terme poilu ? Pourquoi le devoir de mémoire reste un acte important ?A l’occasion du 11 novembre et du centenaire à venir, François Cochet, Historien spécialiste de la captivité de guerre, de l’expérience combattante et de la mémoire des guerres, répond aux questions que vous vous posez encore sur la « der des der ».

 

François Cochet, Historien spécialiste des conflits.

En quoi la première guerre mondiale a-t-elle changé radicalement la manière de faire la guerre ?

Elle la change de plusieurs manières mais pour un temps donné. Guerre industrielle et guerre de masse, elle met en œuvre toutes les capacités humaines et productives de l’époque. A bien des égards, la Grande Guerre est le résultat de l’ensemble du XIXe siècle marqué par l’industrialisation et par la montée en puissance des armées de masse. Pourtant ce bouleversement est provisoire. Aujourd’hui, les guerres obéissent à des modalités de combat qui n’ont plus rien à voir avec celles de la Grande Guerre.

D’où provient le terme « poilu » ? Pourquoi ?

Contrairement à ce que le public croit souvent, le terme « poilu » ne doit rien au système pileux des soldats qui n’auraient plus le temps de se raser. C’est là une vision développée par les médias de l’époque. En revanche, le terme est attesté dès avant la guerre et appartient à l’argot militaire. Il est synonyme de «soldat courageux » et signifie surtout un soldat très … viril.

Tous les poilus sont aujourd’hui décédés, quelle trace reste-t-il dans la mémoire humaine de cette guerre sanglante ?

N’est-ce pas le métier des historiens que de continuer de travailler sur ces questions une fois que les témoins ont disparu ? Le témoin n’est pas le seul à pouvoir dire les choses du passé, fort heureusement, sinon, comment pourrait-on encore parler de l’histoire de l’Antiquité ?

Que pensez-vous des gens qui ignorent que le 11 novembre correspond à l’armistice de la 1ère GM ? Trouvez-vous cela normal ?

Votre question se situe à la fois sur un champ cognitif et sur un champ moral. Mon métier ne consiste pas à me situer sur ce registre. Je déplore que les connaissances moyennes soient très clairement orientées à la baisse.

Selon vous, en quoi le devoir de mémoire reste un acte important ?

Je préfère de loin parler de devoir d’histoire. Le devoir de mémoire est un concept inventé par le milieu politique et les médias, qui présentent peu d’intérêt. Il n’est possible de commémorer un événement que s’il a été expliqué et contextualisé. Tout le reste n’est que confusion.

Qu’est-ce que vous avez pensé des manifestations en marge de la commémoration du 11 novembre ?

Rien à voir avec l’histoire. Cela dit simplement l’exaspération d’une partie de plus en plus notable de l’opinion publique face à certaines évolutions politiques et sociétales très actuelles. C’est simplement un alibi.

Êtes-vous d’accord avec les propos de Thibault De Châlons (largement repris par les médias) qui s’adresse à ces manifestants ? Qu’en avez-vous pensé ?

Ce qui m’intéresserait, c’est de savoir comment les caméras ont été opportunément présentes pour enregistrer les réactions de ce monsieur. La présence des caméras doit faire l’objet d’une réflexion critique de la part des médias. Déjà lors de la guerre de l’ex-Yougoslavie, les Serbes bombardaient Sarajevo aux heures des journaux télévisés. Il faudrait que les médias s’interrogent sur leur propre rôle.

Le centenaire de la fin de la guerre approche, que devrait mettre en place le gouvernement pour cet événement particulier ?

Le centenaire est lancé depuis plusieurs mois. Tous les éditeurs ont lancé un nombre incalculables d’ouvrages par effet d’aubaine. Le président de la République a annoncé le programme officiel des commémorations le 7 novembre 2013 à l’Elysée. En tant que membre du Conseil Scientifique de la Mission du centenaire, j’y étais. Des tonnes de manifestations sont prévues dans ce cadre. Nous avons (au Conseil Scientifique) reçu 1266 demandes de labellisations, venues de tous les départements de France et d’Outre-mer.

 

Propos recueillis par Anaïs Gall et Flavien Vaireaux.