Quels sont donc ces étranges cadrans installés au 12, en Fournirue à Metz ? Discrètement incrustés à l’angle de la rue de la Princerie, on distingue trois appareils de météo ! Un thermomètre, un indicateur de vent et, surtout, un baromètre, instrument d’un autre temps qui prédit la pluie et le beau temps. Que font-ils là ?

Baromètre d’Emile Remoissenet, au 12, en Fournirue à Metz

À première vue, la baromètre fait parti de la catégorie des « anéroïdes », dont l’invention est attribuée au français Lucien Vidie en 1843. Mis à part ça, tout ce que l’on a, c’est la signature du constructeur à l’intérieur du baromètre “Remoissenet Optique – Metz”. Pourtant à cette adresse, il n’y a pas d’opticien. C’est une boutique de vêtements pour les jeunes. Je décide alors de mener mon enquête sur le seul baromètre public de Metz, toujours en état de marche.

Sur les traces
d’Emile Remoissenet…

Première étape, j’entre dans la boutique du 12, en Fournirue en pensant trouver quelques réponses. Le vendeur ne peut pas vraiment me renseigner : “c’est vieux ça”. Il évoque une date antérieure à 1930. La boutique présente à cet emplacement depuis seulement 6 ans ne permet pas d’apporter de réponses concluantes. Je décide d’axer mes recherches ailleurs. Au 9, rue des Récollets.

D’après une première recherche Internet, c’est là-bas que vivait Emile Remoissenet. En remontant par la rue Taison, me voilà en à peine 5 minutes dans la rue en question. Numéro 5. Numéro 7. Et là un gros bâtiment. Devant le 9, je constate qu’il s’agit d’une école privée catholique, du niveau maternelle jusqu’au lycée. Sans conviction, je demande à la dame à l’accueil qui me répond, surprise : “ça ne me dit rien du tout”. Choux blanc. Il faut changer de méthode. Et pourquoi pas fouiller dans les archives de la ville, situées au 1er de la même rue ?

L’acte de décès en Allemand

Cours des archives municipales de Metz

Une fois franchies la grande cours et les voûtes qui mènent aux archives municipales, j’entre dans ce lieu méconnu du grand public, un peu intimidé. Avec l’aide de la chef de salle, je tombe enfin sur quelque chose de concret : l’acte de décès de “Emil Aoutin Remoissenet”. Je suis tout de même désorienté quand je vois l’écriture manuscrite, difficile à déchiffrer, et surtout en Allemand. Pourtant la Lorraine était bien allemande à cette époque, l’acte de décès certifiant la date du 9 juin 1900.

Hardi de ces premières trouvailles, je décide de faire un tour par l’office du tourisme. Il n’y a pour l’instant pas de visite en particulier autour de ce baromètre, mais Laurence, hôtesse d’accueil, se souvient de cette boutique d’optique qui était là “il y a plus de 10 ans” :

Je contacte également le Service Territorial de l’Architecture et du Patrimoine (STAP), situé au pied de la cathédrale Saint-Étienne. Après quelques recherches, leur dossier du 12, en Fournirue comporte “des rénovations de façade”, mais rien au sujet du baromètre. Même son de cloche au service régional de l’inventaire général de Nancy, ils n’ont pas plus d’informations à ce sujet.

Un acte de décès et quelques souvenirs de messins. C’est tout ce que l’on a pour l’instant au stade de l’enquête. C’est léger, beaucoup trop léger.

Internet, une mine d’or

Un peu à court d’infos, je décide d’explorer Internet dans les moindres détails. Outre une anecdote du journal local “Zeitung für Lothringen” du 25 décembre 1892, on retrouve des anciennes lunettes et autres baromètres à la vente, devenus des objets rares. Et même une facture, avec la signature originale de M. Remoissenet.

Mais c’est surtout grâce aux archives numérisées de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) que mon enquête avance. On retrouve un relevé de température, dans la rubrique faits-divers du journal « La Justice » du Jeudi 27 janvier 1881 :

A Metz, à deux heures de l’après-midi, le thermomètre de M. Remoissenet marquait encore 12 degrés.

Au fil des recherches sur la base de données Gallica de la BNF, je découvre des indices. Des noms de scientifiques, qui ont connu de près ou de loin M. Remoissenet. Les recherches convergent vers un périodique, “Mémoires de l’Académie de Metz”. Sur l’index, on trouve cette inscription “Notice sur M. E.-A. Remoissenet, opticien-constructeur à Metz, p.121 à 129”. Il s’agit du volume de 1900-1901, correspondant à l’année de décès de notre homme. Coup de malchance, sur plus d’une centaine de volumes, ces années là n’ont pas été correctement indexées sur la base de données.

Les 9 pages de la seule biographie connue d’Emile Remoissenet

Je décide de retourner aux archives de Metz. Et là bingo ! Le volume de 1900-1901 est disponible. Exactement comme indiqué, à la page 121, on découvre l’histoire d’Emile Remoissenet, inventeur et talentueux opticien mais aussi homme de sciences, photographe, conseiller municipal…

[toggle title= »Découvrir la vie d’Emile Remoissenet, témoignage transmit par son contemporain M. Schuster »]Né à Longwy, le 29 avril 1838, Emile-Augustin Remoissenet a fait une partie de ses études à Metz avant d’étudier à l’Ecole des Arts et Métiers de Châlons en septembre 1853. Il retourna ensuite à Metz pour travailler chez son beau-frère M. Belliéni. Il se mit au courant de l’optique, de la confection d’instruments de mathématiques et notamment de topographie.

Il fit la rencontre du colonel Goulier, qui décida de collaborer avec lui, admiratif du talent du jeune opticien. Avec l’expérience acquise, Emile Remoissenet se mit alors à créer ses propres appareils. Il confectionna une “machine à diviser”. Inventa le “genou à coquilles”, un support stable destiné aux boussoles et qui fut rapidement appliqué aux anciennes boussoles de l’Ecole d’application.

En 1872, M. Belliéni quitte Metz et transfère ses ateliers à Nancy. C’est à ce moment là que M. Remoissenet fonde une maison à son propre nom à Metz. L’entreprise est prospère, aidée par sa femme qui s’occupait de “la tenue des livres et des écritures”. À la fin de l’année 1872, M. Remoissenet est élu à l’académie de Metz en tant que membre agrégé-artiste. Il en devient membre titulaire, 3 ans plus tard, le 25 février 1875. Emile Remoissenet était un homme qui se tenait au courant de toutes les nouveautés scientifiques “et c’est chez lui, si je ne me trompe, que nous avons vu fonctionner le premier téléphone établi à Metz.

Les écoles et établissements d’instructions lui envoyaient des appareils liés à la science physique ou mécanique, pour les faire réparer. Également habile photographe, il aimait les beaux-arts. “Il avait du goût” selon M. Schuster. Aux alentours des années 1885, il devint membre du Conseil Municipal “cédant, presque à regret, aux sollicitations pressantes de quelques amis”.

Le bonheur de l’homme s’arrêta lorsqu’il perdit ses deux fils à quelques années d’intervalles. M. Schuster évoque son état de santé “miné par les regrets et par une maladie interne” à laquelle il succomba le 8 juin 1900.[/toggle]

Au début un peu décevante, la recherche aux archives municipales a finalement été très prolifique pour l’enquête. Mais une question demeure. Qui assure aujourd’hui le fonctionnement du baromètre ?

Personne à priori” selon l’agence immobilière qui s’occupe de l’immeuble. Le baromètre d’Emile Remoissenet est un bel instrument météorologique du 19ème siècle en état de marche, mais pour combien de temps encore ?

 

Pour continuer l’enquête

Si vous vous sentez l’âme d’un historien et que vous souhaitez en savoir plus sur Emile Remoissenet et son baromètre, voici d’autres pistes à explorer aux archives de Metz :

  • Emile Remoissenet était aussi membre du conseil municipal, aux alentours des années 1885 d’après M. Schuster. Explorez les comptes-rendus libres d’accès des conseils municipaux.
  • Retrouvez les descendants d’Emile Remoissenet avec les actes de naissances et décès. Ses descendants pourront sans doute vous en dire plus sur l’histoire de cette boutique de Metz et de ce baromètre.

 

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