A quoi ressemblerait Metz si elle n’avait pas croisé le chemin de Jean-Marie Pelt ? On ignore souvent ce que doit Metz à cet homme touche à tout. Maire-adjoint dans les années 70, il transforma Metz et lui donna son étiquette de ville jardin. Aujourd’hui, cinq ans après son décès, son message reste toujours d’actualité et résonne encore pour les preneurs de décision actuels.

Biologiste, pharmacien, écologue, professeur d’université, écrivain, conférencier, homme politique, homme de médias : Jean-Marie Pelt a multiplié les casquettes pour faire passer son message et transmettre ses connaissances. Devenu professeur de biologie à la faculté de pharmacie de Nancy en 1962, Jean-Marie Pelt s’est toujours passionné pour une écologie non seulement scientifique mais également une vision qui intègre l’homme.

Comme avec ses étudiants, Jean-Marie Pelt a toujours eu à cœur de transmettre son savoir et son goût de la nature au plus grand nombre. “C’était un formidable pédagogue. Il parlait avec des mots extrêmement simples de sujets pourtant complexes”, témoigne François Grosdidier, qui a souvent consulté l’homme de science lorsqu’il avait à prendre des décisions politiques. “Il avait une vision encyclopédiste et il pouvait passer d’une discipline à l’autre dans une vision complètement transversale”.

Jean-Marie Pelt fut également l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages de vulgarisation, parmi lesquels un de ses premiers livres, “L’homme renaturé” (Seuil, 1977), connu un grand succès. Récompensé notamment du prix des lectrices de Elle, Pelt attachait une grande importance à ce prix populaire. Considéré comme l’un des ouvrages les plus importants de sa bibliographie, il y couche sur papier sa vision de la relation de l’homme à la nature, qu’il tire des travaux opérés à Metz en tant que maire-adjoint. C’est alors une des premières synthèses sur l’écologie qui est publiée et qui se place dans le sillage du Club de Rome qui alertait sur les limites de la croissance. 

Également homme de médias, la voix de Jean-Marie Pelt était également connue du grand public grâce à l’émission “L’Aventure des plantes”, diffusée sur TF1 dans les années 80. A la radio également, Jean-Marie Pelt partageait son savoir dans diverses émissions comme celle de Denis Cheissoux, “CO2 mon amour”, dans laquelle il intervenait régulièrement à partir de 2001. 

Un premier engagement avec Schuman

L’engagement en politique de Jean-Marie Pelt remonte aux années 50. Originaire du pays des 3 frontières, il s’engage dans les jeunes du Mouvement républicain populaire (MRP), le parti de Robert Schuman, également originaire de la région. Il devient rapidement le secrétaire du père de l’Europe, dans sa maison de Scy-Chazelles près de Metz, jusqu’à sa disparition en 1963. 

C’est à ce moment, au début des années 60, qu’il rencontre Jean-Marie Rausch, alors novice en politique. Lors d’une réunion de la Table ronde, une association regroupant de nombreux notables de la région, les deux hommes lient une grande amitié : “Je ne le connaissais pas du tout. A la fin de la soirée, je me suis approché de lui pour bavarder parce que je m’intéressais à la politique. On a sympathisé tout de suite”, se souvient l’ancien maire de Metz Jean-Marie Rausch, aujourd’hui âgé  de 91 ans. “On a discuté jusqu’à ce qu’on nous mette à la porte à une heure du matin. Je lui ai alors proposé de le ramener et on a continué à discuter dans la voiture jusqu’à trois heures du matin”, raconte-t-il.

En 1970, alors que la succession à l’Hôtel de ville se pose, les deux hommes discutent de la suite : “Jean-Marie Pelt m’a vivement conseillé de me présenter car lui ne voulait pas y aller” se rappelle-t-il. “D’accord, mais pas sans toi”, accepte finalement Jean-Marie Rausch.

Jean-Marie Rausch (g.) et Jean-Marie Pelt (d.) dans les rues de Metz dans les années 70 (Photo : Archives municipales Metz / 43Fi88)

La fondation de l’Institut Européen d’Ecologie en 1971

Pendant la campagne municipale de 1971, les deux hommes se réunissaient tous les dimanches soirs avec Roger Klaine, prêtre de la paroisse Sainte-Marie, pour dîner et refaire le monde : “On avait toujours beaucoup de bouteilles sur la table. Un jour, je leur ai dit que quand je serai élu, la première chose que je ferai sera un Institut européen d’écologie”. Parole tenue. Élu maire de Metz en 1971, la première mesure de Jean-Marie Rausch fut de rénover l’ancien cloître des Récollets, en haut de la colline Sainte-Croix dans le centre historique de la ville, où s’étaient installés des moines franciscains au début du XIVe siècle et qui avait été laissé à l’abandon. 

Jean-Marie Pelt et Roger Klaine s’approprient le lieu et y fondent l’Institut européen d’écologie (IEE). Entièrement consacrée à l’écologie urbaine et humaine, la structure est un véritable OVNI. L’institut de recherche est rattaché à la toute jeune Université de Metz et réunit des chercheurs de plusieurs disciplines : des biologistes collaborent alors avec des chercheurs en sciences humaines sur des sujets totalement inédits.

“C’était une véritable ruche, avec des étudiants qui venaient du monde entier. Les cours dans les amphis étaient blindés”, se souvient Marie-Anne Isler Béguin, étudiante diplômée de l’IEE en 1977 et qui en a pris aujourd’hui la présidence à la suite du décès de Jean-Marie Pelt. “Pelt et Klaine m’ont conforté dans ma voie dans la protection de la nature et de l’environnement”, explique celle qui, par la suite, deviendra députée écologiste au Parlement européen. Les deux hommes se complétaient : Pelt enseignait la botanique et la physiologie végétale, Klaine était plutôt un penseur.

Dès 1971, le cloître de Récollets accueille les étudiants de l’Institut européen d’écologie. (Photo : Emile Kemmel)

En parallèle, Jean-Marie Pelt était devenu premier adjoint de Jean-Marie Rausch à la mairie et s’occupait principalement des questions d’urbanisme : “La ville était menacée par l’urbanisme dément des années 1960. Son patrimoine risquait d’être remplacé par des barres et des tours, à l’époque omniprésente”, explique-t-il en préface de la réédition de “L’homme renaturé” en 2015. Il y applique les réflexions développées à l’Institut européen d’écologie avec Roger Klaine : Metz devient le laboratoire de l’écologie urbaine et inspire de nombreuses autres villes en France.

Si avec le développement de l’Université, l’enseignement de l’écologie a quitté la colline Sainte-Croix, où se situe l’Institut, Pelt a continué à présider et animer des conférences à l’Institut européen d’écologie. François Grosdidier admet que cet Institut a perdu de son prestige : “Il n’avait plus le contenu universitaire et de formation. C’était surtout le support de sa propre action”. 

En 1983, Jean-Marie Pelt quitte son poste de premier adjoint avec le sentiment de devoir accompli mais ne s’éloigne pas pour autant de Jean-Marie Rausch qui reste maire jusqu’en 2008. Il se consacre alors pleinement à l’Institut européen d’écologie.

Metz, berceau de l’écologie urbaine

“L’écologie urbaine, c’est se demander comment construire une ville pour que les gens se sentent bien”, résume Franck Steffan, écologue et qui a écrit de nombreux livres avec Jean-Marie Pelt à partir des années 90. Pour Pelt, la ville du XXème siècle est une élaboration humaine trop éloignée du milieu naturel nécessaire à l’homme. A Metz, il s’affaire à faire entrer la nature dans la ville qu’il pense comme un écosystème vivant et connecté.

Il s’oppose alors à des projets d’urbanisme, comme celui qui prévoyait de raser la vieille ville. A la place, il propose la création de jardins, comme celui des Tanneurs, à proximité de l’Institut d’écologie. “Chaque fois qu’on me posait une question sur un aménagement, je demandais à Pelt. Je lui disais ‘Jean-Marie, ils veulent faire une entrée d’autoroute en centre-ville en venant par le Saint Symphorien, comment tu ferais ça ?’ Il a pris un papier et il a dessiné ce qu’on a fait là, ce qui a permis de créer le plan d’eau”, se remémore en détails Jean-Marie Rausch.

Une autre création que l’on doit à Pelt est le lac de Madine, situé à une cinquantaine de kilomètres de Metz. Ce lac artificiel offre à Metz une réserve en eau potable et a également permis la création de tout un écosystème : “On marchait très bien en osmose. Pelt donnait souvent une idée, et souvent je rebondissais dessus pour la compléter”, se souvient l’ancien maire qui a dû se battre pour que le projet de Pelt aboutisse.

Dans les années 70, Metz est devenue grâce à Jean-Marie Pelt une véritable “ville-jardin” : la commune est passée de 80 hectares d’espaces verts en 1970 à plus de 500 au début des années 2000. “On faisait aussi des grandes places de Metz des jardins pendant tout l’été. C’était des jardins très fleuris et très colorés que j’aimais beaucoup”, se souvient avec nostalgie l’ancien édile. Lorsque son successeur est arrivé et “n’a fait que du vert”, l’ancien maire admet “en avoir un peu souffert, même s’il ne l’a jamais dit”, souffle-t-il.

Les jardins fleuris face à la gare de Metz en 1995 (Photo : Archives municipales Metz)

Ailleurs dans la ville, c’est plutôt le gris du béton que l’on reproche. Bien que Metz reste une ville verte, très boisée et avec des espaces naturels, la logique organique de la ville s’est perdue selon Franck Steffan : “Dans le quartier Outre-Seille, on a construit des rues comme si c’était des boulevards. Ils ont fait des terre-pleins comme si c’était des grands boulevards parisiens mais en miniature. Il n’y a pas de magasin de proximité, rien”.

Il poursuit avec une anecdote sur Jean-Marie Pelt : “Quand il passait en voiture dans le quartier de l’Amphithéâtre alors qu’ils construisaient l’esplanade en béton, il se cachait les yeux pour ne pas pleurer. Selon lui, on détruisait la ville, l’esprit n’était plus là”, confie son ami Franck Steffan.

Des aménagements que Jean-Marie Rausch n’assume qu’à demi-mots : “J’étais d’accord pour qu’on fasse [le quartier de] l’Amphithéâtre. Pour ce qu’on ferait à côté du musée (le Centre-Pompidou-Metz, projet qu’il a initié dans son dernier mandat, NDLR), j’avais dit oui pour un peu de construction et des commerces, mais pas de cette taille là. J’avais mauvaise conscience mais je ne me suis pas battu parce que j’avais signé quand même l’accord”, concède-t-il aujourd’hui.

La postérité de Pelt à Metz

Lorsque Jean-Marie Pelt est décédé en 2015, la municipalité a décidé de lui rendre hommage en renommant le parc de la Seille du nom du botaniste. Une idée qui n’a pas plus à Franck Steffan : “Je l’appelle toujours le jardin de la Seille. Je suis témoin quand Jean-Marie Pelt m’a dit ‘Ils ont voulu mettre le nom du jardin de la Seille, Jean-Marie Pelt, t’as vu comme il est moche, je leur ai dit surtout pas, par contre quand je serai mort vous ferez ce que vous voulez’ ”, rapporte celui qui a écrit de nombreux ouvrages avec Pelt. Des propos que nuance Jean-Marie Rausch : “le parc de la Seille, c’était son idée, donc c’est normal que ce parc porte aujourd’hui son nom ”.

En 2015, la question sur le devenir de l’Institut européen d’écologie, création de Jean-Marie Pelt, s’est également posée. Après des débats en interne, le conseil d’administration a finalement décidé de poursuivre le travail initié par Pelt et qu’il a poursuivi jusqu’à la fin de sa vie.

Nommée à la présidence de l’institut, Marie-Anne Isler-Béguin assume ce non-héritage laissé par son créateur : “Il n’a pas laissé d’héritage pour l’institut. Lors du dernier conseil d’administration, on lui a demandé ce qu’il voulait qu’on fasse de l’institut s’il prenait sa retraite. Il ne nous a pas vraiment répondu, il nous a dit : “c’est à vous de choisir”. Un avis que ne partage pas non plus Franck Steffan : “Il a toujours dit : quand je suis mort, il faut fermer l’institut”. 

Jean-Marie Pelt laisse derrière lui un héritage scientifique, culturel et humain immense. A Metz, comme à Rodemack, sa ville natale, nombreux sont ceux qui veulent s’inscrire dans sa postérité. Cinq ans après sa mort, les divisions et tensions autour de l’œuvre de Pelt sont toujours palpables.

D’un côté, l’institut européen essaye tant bien que mal de se raccrocher à l’image de Pelt, en dépit d’un non-héritage. “On se sent dépositaire de cet héritage même s’il n’y a pas d’héritage en tant que tel. On se sent responsable aujourd’hui de continuer ce combat”, soutient la présidente de l’institut, Marie-Anne Isler-Béguin. Les actions de l’IEE se résument essentiellement à l’organisation d’un festival annuel consacré à la transition écologique depuis 2017. Ne détenant aucuns droits des travaux de Pelt, cet institut entend malgré tout “poursuivre le travail initié avec Pelt ».

D’un autre côté, le centre Jean-Marie Pelt, créé en 2010 à Rodemack, veut perpétuer, conserver, et diffuser l’œuvre de Pelt. Héritier de la plupart des droits d’auteur, le centre Jean-Marie Pelt prévoit de créer un musée à son effigie. Depuis 2015, l’association a vu se succéder plusieurs présidents dans un climat conflictuel au sein du conseil d’administration.

Cette opposition entre Metz et Rodemack n’a pas lieu d’être pour François Grosdidier, maire actuel de Metz et ancien président du centre Jean-Marie Pelt à Rodemack. “Un héritage intellectuel n’est pas localisé à un endroit précis. Rodemack c’est ses racines familiales. Son action publique et universitaire a été sur Metz. Il n’y a aucune concurrence. Les deux sont complémentaires”.

Accusé d’avoir transféré des affaires de Pelt à Metz au sein de l’IEE lorsqu’il était président de l’association rodemackoise, François Grosdidier s’en défend : “Les conditions de sécurité et les travaux n’étaient pas faits à Rodemack pour assurer la bonne conservation et l’accessibilité à ses affaires. On ne défend pas les reliques d’un saint”.

Franck Steffan, héritier des 18 livres qu’il a co-écrit avec Pelt, se considère comme le “fils spirituel” de Pelt. « J’ai été l’apprenti auprès d’un grand maître de l’écologie. Aux côtés de Jean-Marie Pelt j’ai beaucoup appris. Maintenant, il faut redistribuer les connaissances et les savoirs.” Franck Steffan se sent aujourd’hui responsable de « défendre l’œuvre de Pelt, et d’aller encore plus loin », nous assure celui qui a déjà écrit deux livres depuis le décès de Jean-Marie Pelt. 

Tous Peltistes ?

En 2020, la pensée de Jean-Marie Pelt résonne encore dans la vie politique messine, de tous les bords, même chez ceux qui ne l’ont pas connu. “Tant mieux si les grands hommes sont revendiqués par le plus grand nombre”, se réjouit François Grosdidier.

Pour le cinquième anniversaire de sa disparition, le 23 décembre dernier, le maire de Metz lui rendait hommage en se rendant sur sa tombe, dans son village d’Altroff. Déjà dans son programme lors des municipales, dans les pages consacrées à l’écologie, l’ancien sénateur s’affichait sur une photo aux côtés de Jean-Marie Pelt. “Je me sentais plus légitime que d’autres à m’en revendiquer. Il me reste à le démontrer par des actions”, explique-t-il.

François Grosdidier (d.) et Jean-Marie Pelt. (Photo : François Grosdidier)

On a fêté l’anniversaire du Général De Gaulle, tout le monde se revendique être gaulliste. Pelt, c’est pareil, tout le monde se revendique être Peltiste”, s’agace Franck Steffan, qui se présente comme le défenseur de l’œuvre de Jean-Marie Pelt. “Tous disent avoir le livre  “L’homme renaturé” sur leur table de chevet. J’y crois pas. Ou alors s’il l’ont lu, il faut relire”, poursuit-il.

Chez les nouvelles figures de l’écologie à Metz, Jean-Marie Pelt reste une référence encore d’actualité : “Ce n’est pas dépassé, explique Xavier Bouvet, candidat des Verts aux dernières élections municipales, mais c’est un ensemble de principes et de réflexions qu’il faut s’approprier et mettre à jour en permanence”. Selon l’élu d’opposition, si Jean-Marie Pelt a énormément fait avancer la ville de Metz en matière d’écologie urbaine, elle reste encore en retard sur beaucoup de points : “On voit bien qu’il y a un modèle de métropole jusqu’au début du XXIe siècle qui était en retard et qu’il n’y a pas eu des réalisations exemplaires dans un cadre de vie qui était loin d’être exemplaire, par exemple à cause d’un désinvestissement dans les transports en commun, par rapport aux centres commerciaux ou encore aux zones pavillonnaires, et donc il nous reste à faire”, analyse-t-il.

Autre figure de l’écologie, Julien Vick, membre d’Europe-écologie-Les-Verts jusqu’en 2015. Aujourd’hui sans étiquette, il a rejoint la nouvelle municipalité de François Grosdidier au poste d’adjoint au développement durable. Malgré ses 35 ans, il a un peu connu Jean-Marie Pelt via le Conseil d’administration de l’Institut européen d’écologie et lors de conférences : “J’étais toujours intéressé par ses conférences, qui étaient toujours noires de monde”, explique-t-il. “La pensée de Pelt est très actuelle. On voit ô combien il était précurseur à l’époque”. 

Dans son action au sein de la municipalité, Julien Vick ne se cache pas de vouloir reprendre les grands préceptes de Jean-Marie Pelt : “Un des préceptes de Jean-Marie Pelt sur la ville c’est d’établir des espaces qui doivent se répondre et avec une logique organique. Il faut relier les différents quartiers, voir la ville comme un grand corps qu’il faut renaturer”, explique-t-il. 

Jean-Marie Pelt laisse à Metz, à Rodemack et ailleurs, une richesse immatérielle immense, un état d’esprit novateur et des préceptes toujours actuels. La postérité de ses idées est bien plus importante que la postérité de son nom. Ses œuvres écrites comme audiovisuelles, ses conférences, ses recherches ou ses actions à la mairie de Metz s’inscrivent toutes en faveur de l’écologie humaniste.

Yann Besson & Emile Kemmel