Après de longs mois de locaux inanimés, Hisler a rouvert ses portes au public le jeudi 30 octobre 2025, entièrement réagencée. Concrètement, que s’est-il passé depuis l’incendie il y a un an ? Pour y voir plus clair, nous rencontrons Simone Hisler, patronne de la librairie messine.

Aussitôt passée la porte, on peut voir que les clients sont au rendez-vous. Tous sont très heureux de retrouver ce lieu, qui avait laissé un vide au centre ville.  En traversant la librairie pour se rendre à l’étage, se sont déjà trois d’entre eux qui interpellent Madame Hisler. Dans les paroles se retrouvent ces mots : « Merci d’avoir ouvert ». Une fois dans les bureaux à l’étage, l’odeur de fumée persistante exerce une piqûre de rappel de l’incendie passé. Attablée à un bureau jonché de dossiers, Simone Hisler nous raconte cette année mouvementée. 

Qu’est-ce que vous avez ressenti quand vous avez appris qu’il y avait eu l’incendie ? Comment ça s’est passé ?

Le feu a eu lieu dans la nuit du samedi 16 au dimanche 17 novembre 2024. J’étais ici, je dormais au-dessus. Je me suis réveillée, j’ai senti la fumée et puis je me suis précipitée à la fenêtre. J’ai vu des camions de pompiers dehors. Un des officiers m’a fait descendre par une grande échelle. C’est très impressionnant. Je ne sais même pas quelle heure il était. La seule chose à laquelle on pense, c’est se sauver. On m’a emmenée à la mairie où les autres habitants du quartier étaient déjà… J’étais la dernière. Le feu a continué à brûler tout le dimanche. Ils ont arrosé avec des lances la toiture qui s’était enflammée, et l’intérieur des appartements. Ils ont également déversé des milliers de tonnes de litres d’eau dans la cave. 

Et comment ça s’est passé pour la librairie ? Quelle démarche avez-vous dû faire ?

Dès le lundi à midi, on a organisé une réunion avec la famille, le comptable, l’expert comptable et un expert d’assuré qu’on m’a conseillée. Puis, on a attendu que le feu soit éteint et qu’on nous autorise à venir voir la partie à l’étage, dans laquelle il y a les bureaux. 

Il n’y a pas eu trop de dégâts ?

Cette partie-là n’avait été touchée que par la fumée. Mardi, on a évacué tous les ordinateurs puisqu’ici, c’est la mémoire de toutes nos librairies (Hisler possède cinq librairies et une autre activité en Alsace). Les serveurs n’ont pas été touchés, heureusement. Et on s’est installé à Bliiida avec la comptabilité, où on a travaillé. L’activité de fourniture de bureau a continué dans le dépôt à Woippy, qu’on avait déjà. Toute l’équipe y était. Elle continuait aussi la vente des livres pour les médiathèques, les bibliothèques, les commandes d’entreprises, et les commandes internet. Et puis huit jours après, début décembre, un bus transformé en librairie nous a permis de reprendre une activité. Il était installé au pied de la cathédrale Saint-Etienne, place Jean-Paul II. 

Et pour le personnel ?

Des employés travaillaient dans le bus certains jours mais étaient au chômage technique le reste du temps. Sur les 40 employés, il n’y avait qu’une dizaine de personnes au chômage technique. Le reste continuait de travailler avec les bibliothèques, les médiathèques, etc. Et ils continuaient surtout de s’informer de ce qui allait paraître. On ne doit pas devenir ignare parce qu’on ne travaille pas. Il y a des parutions tous les jours.

En attendant, quelles étaient les démarches pour la librairie ?

En février-mars, les assureurs sont entrés en action. Il a fallu qu’on envoie beaucoup d’informations aux différents assureurs (celui de l’activité, de l’immeuble, de l’appartement). Puis ils se sont occupés de nous fournir une entreprise qui a débarrassé les stocks. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce qu’on est obligé de faire pour les assurance.  Il faut qu’on leur donne des chiffres, des chiffres et des chiffres parce qu’on est assurés pour une certaine somme, sur une certaine durée. 

Une fois l’étape des assureurs passée, qu’est-ce qu’il s’est passé ?

La librairie a été vidée et nettoyée par une équipe. Ensuite, ce n’est pas nous qui avons géré, ce sont les assureurs. On dépendait de leurs décisions. Hisler BD a été nettoyée en premier, puisqu’il y a eu moins de dégâts, et réouvert au mois de mai. A ce moment-là, pour Hisler, nous étions en train d’obtenir l’autorisation d’effectuer les travaux par la mairie, les bâtiments de France et les pompiers, parce qu’il fallait que le bâtiment soit sûr et sécurisé. Donc ça, c’était une autre bataille, puis est venu le moment de faire des devis pour les travaux.  

Quand est-ce que les travaux ont pu commencer ? 

Les travaux ont commencé à la mi-juin. Mais il y a quand même eu des mois de délai pour que les assurances acceptent. C’est eux qui ont leur mot à dire dans beaucoup de choses. Or, il faut dire que le chômage technique, il n’est payé que pendant neuf mois. Sinon, après, les employé(e)s étaient au chômage. 

Comment les employés ont travaillé pour refournir la librairie ? 

A l’ouverture, pendant les travaux, les libraires ont travaillé sur les stocks pendant deux mois. Le rayon scolaire et l’universitaire a été descendu au rez-de-chaussée. Il fallait faire de la place. C’était le moment d’apurer les stocks. De toute manière, avec presque une année a passé, ce ne sont plus du tout les mêmes livres qu’on met en avant. C’est un gros travail : du temps sur l’ordinateur et au téléphone avec les représentants des maisons d’édition. Et ce n’est pas un seul fournisseur ! C’est 150, voire 200 maisons d’édition, les grandes et les petites. Chaque libraire, pour son rayon, a travaillé dur. 

Est-ce que vous avez sollicité une aide financière de la mairie ?

Oui, nous l’avons sollicitée, mais nous n’avons pas eu d’aide. Il existe une loi qui s’appelle la loi Darcos, permettant aux communes et intercommunalités de donner des subventions à des libraires indépendants, pas des groupes comme la Fnac ou Cultura. J’ai envoyé la demande à la mairie de Metz il y a deux mois. Et je n’ai toujours pas de réponse. Ils ont pensé que s’ils donnent à un libraire, ils doivent donner à tous les libraires indépendants. Alors qu’en en réalité, non. En revanche, la mairie nous a beaucoup aidée pour d’autres choses. Par exemple, le maire a tout de suite été d’accord pour qu’on mette le bus en place. Il était à un endroit stratégique, une place merveilleuse. 

Avez-vous quand même bénéficié de soutiens financiers d’autres acteurs ? 

Oui, on a quand même eu plusieurs petites aides du conseil régional du Grand Est. Le Centre national du livre (CNRS) nous a aussi aidé. Ils nous ont fait don d’une subvention de 30 000 euros et un prêt à taux zéro de 70 000 euros. On les connaît, ce sont des gens avec lesquels on travaille. On économise 3-4 %. Surtout que les taux, actuellement, sont importants.

Comment se sont passés les travaux, une fois les assurances et le financement établi ?

Après, ça a été la course. On a fait appel à divers artisans mais on a eu beaucoup de complication : une pièce manquante pour la chaudière, ou encore les problèmes de stocks qui nous retardaient. Par exemple le rayon papeterie n’est pas encore rénové, la lumière non plus :  on a les lampes, mais on n’a pas les rails. Les délais compliquent les choses. 

En termes de coût, est-ce que vous vous en sortez ? 

J’ai quand même eu plusieurs fois très peur pour la trésorerie, parce que on ne peut pas sortir l’argent comme ça, s’il n’y a pas d’entrée. Mais on a réussi à passer le cap. On ne sait pas encore si tout est remboursé. S’il faut, on fera un crédit quelque part de 50 000 ou 100 000 euros. 

Sur le plan personnel, ça n’a pas été trop compliqué pour vous de gérer la charge mentale pendant un an ?

Je crois que je suis faite pour. Et on a le remerciement de la part des clients. Vous étiez en bas là et vous avez vu les gens. On a croisé trois personnes qui ont dit c’est beau, merci d’avoir ouvert. Je suis tellement touchée. Tous les soirs, on se dit que les gens sont tellement contents.

Et comment vous vous sentez, maintenant que ça a rouvert ?

C’est-à-dire que là, il reste quand même à courir après les assurances, après le chauffage, et après le personnel ! On cherche deux, trois caissiers pour la fin de l’année. On vient de recruter quelqu’un à la comptabilité. Donc le travail habituel continue et le travail habituel, heureusement, n’est pas toujours clos, sinon ce serait trop triste. 

Votre librairie a rouvert le jeudi 30 octobre. Pourquoi cette date ?

On n’avait pas de date bien précise. On attendait le feu vert de la commission de sécurité, qui avait eu lieu le jeudi 30 octobre, dans l’après-midi. Au moment où ils sont partis, il y avait des gens qui croyaient qu’on allait ouvrir. Ça faisait des jours que les gens ne tenaient plus. Alors, on a cédé !

Vous avez réagencé tout l’espace de la librairie. Est-ce que la clientèle est convaincue ?

Moi je suis surprise parce que généralement, les gens, même les clients, n’aiment pas le changement. Dès qu’on change quelque chose, ça ne plaît pas beaucoup. Et là, c’est pratiquement unanime, il y a très peu de critiques. Vraiment. Juste un vieux monsieur qui a dit qu’il fallait des fauteuils. Honnêtement, moi, je m’attendais à ce que les gens soient plus déboussolés que ça.

Après de longs mois de travail acharnés, le personnel d’Hisler témoigne de son expérience. 

L’activité ne s’est pas arrêtée pendant cette année de fermeture. En décembre, le bus installé place d’armes faisait office de petite boutique Hisler. Puis, il a fallu repenser l’entièreté du magasin. 

« Il y avait un esprit d’équipe »

Carmela, vendeuse chargée de l’universitaire et du scolaire, explique comment toute l’équipe a tenu :  « Avec le bus, on avait quand même un objectif en attendant la réouverture. On n’est pas restés sans travailler pendant un an. On tournait à tour de rôle dans le bus, il y avait un esprit d’équipe. Ça nous a permis de continuer même si on ne travaillait pas tous les jours. On continuait à prendre les commandes et on était en contact avec les clients, ce qui était plutôt agréable.

Une grosse charge de travail

Les mois se sont succédé. On a été là pour réfléchir, commander, réceptionner. On n’avait plus un seul livre. On a du tout recommander. Ça nous a occupé, le temps est passé vite. Mi-juin on a commencé à se focaliser sur la réouverture, la nouvelle implantation, les plans. Il fallait tout réagencer, réaménager. Puis la rentrée est arrivée.  

Un retour client qui fait du bien au cœur

Christine, amenée à être beaucoup en caisse en ce temps de réouverture, témoigne : « Le retour des clients, c’est quand même incroyable. Ils sont très chaleureux. Maintenant, ils me disent même, ‘ça doit vous saouler à force qu’on vous le dise, mais on est tellement heureux de vous retrouver, de revenir. C’est une satisfaction, je dirais, parce que ça a été une période difficile pour tout le monde ici. Et beaucoup de travail. Là, c’est la cerise sur le gâteau. Je suis fière de tout le boulot qu’on a fait.
 

Mya Brout