Abordée durant les assises du journalisme de Tours le 26 mars, la question de la femme dans les rédactions sportives suscitent toujours autant la polémique. Entre décrédibilisation et isolement, les journalistes osent maintenant en parler à cœur ouvert.

Lumière tamisée, projecteurs allumés, 19h30 à l’université de Tours, la soirée débat “Femmes, sport et médias” animée par Mejdaline Mhiri, rédactrice en cheffe du magazine Les sportives, démarre. Une soirée dédiée aux questions de la place des femmes dans les rédactions sportives qui commence par la prise de parole de… Deux hommes. Arnaud Giacometti, président de l’université de Tours présente leurs organismes et programmes sportifs, Jérôme Bouvier président de l’association Journalisme et citoyenneté, organisatrice de l’événement, présente les assises. Respiration. Les hommes partent, les femmes montent sur scène pour parler des femmes. Une soirée débat qui dure plus de deux heures. Deux heures durant lesquelles des thèmes comme le sexisme dans les rédactions et la naissance d’une sororité sont abordés, à travers des anecdotes personnelles des six journalistes, deux sportives et la présence de 500 personnes. 

11 % de temps de parole accordé aux femmes sur les plateaux sportifs  

La discussion est importante et encore plus quand on regarde les chiffres, qui alertent en 2024. Les grandes rédactions sportives ne sont pas encore des exemples d’égalité. Les femmes représentent 22 % des effectifs sur les plateaux des médias sportifs et donc seulement 11 % du temps de parole. Mais, dans ces chiffres, parus dans le dernier rapport de l’Arcom en mars 2023, apparaissent les présentatrices, les commentatrices et les consultantes et pas seulement les journalistes.

Des données forcément gonflées et à prendre avec prudence. En effet, il y a plus de femmes en plateau sur l’ensemble de la journée mais c’est l’inverse aux heures de forte audience, où les hommes leur sont préférés. Un autre phénomène important : les femmes ne commentent que très rarement les sports masculins (15 %) mais souvent des disciplines féminines (33 %) selon l’Arcom.  

Les problématiques viennent de plus haut selon Sandy Montañola, chercheuse en information et communication à Rennes. “Il y a de la concurrence dès les concours d’entrée et donc peu de place dans les formations et médias”. Tout cela dans un contexte de précarité du métier. Alors, lorsqu’une femme accède à un poste au sein des rédactions sportives, “elles n’osent pas prendre position” selon la chercheuse. Les choses ne pourront pas évoluer tant que les “effectifs féminins n’augmenteront pas à 30% au moins”.

“En plus elle a un cerveau”

“Être vieille et femme, ça fait un cumul de point négatif pour passer à la télé” se désole Laurence Pécault Rivolier, conseillère à l’Arcom. Le physique pour celles qui passent à l’écran serait codifié par certaines normes de beauté. “On m’a refusé des postes parce que je n’étais pas assez belle” rétorque Anne-Sophie de Kristoffy, conseillère sport pour le groupe TF1, et ancienne patineuse artistique triple championne de France. La profession a vu l’émergence de plusieurs Miss. Sophie Thalmann, Malika Ménard ou encore Laury Thilleman incarnent cette dérive esthétique entourant la profession. Dépourvues d’expériences et de formations dans ce milieu, elles apparaissent petit à petit sur les plateaux.

Les étudiantes du programme « Pas de jeux sans elles » à la finale de la Coupe du France de basket. Crédits photo : association « Femmes, journalistes de sport »

Les critères physiques sont aussi nécessaires pour la gente masculine ?  “Soyons honnêtes, les mecs sont laids à la télévision” ironise Marie Portolano. Le thème de la splendeur devant la caméra est toujours problématique. L’ancienne journaliste de la chaîne Canal+, suite à la diffusion de son documentaire “Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste” en 2021, a fait les frais de ce genre de remarques. Par sa prise de parole, elle témoigne, devant un public amusé, mais surtout interloqué. “J’ai eu un entretien d’embauche avec un patron d’une grande rédaction. Cela fait des années que j’espérais rencontrer cette personne. Il me confesse qu’il suivait ma carrière avec attention. Il m’évoque mon documentaire et s’exclame : “C’est génial, en plus, elle a un cerveau !” 

Une mutation au ralenti

Ces réactions suscitent la crainte des journalistes, jeunes ou plus âgées, ne voulant pas être dénigrées par leurs collègues masculins. La confrontation envers un dirigeant peut être source de moqueries. “J’ai eu des remarques sexistes, des choses qu’on tolérait, à une certaine époque. Un jour, mon rédacteur en chef m’a convoqué pour me demander si j’étais une chienne. C’était une blague, en rapport avec le fait de fouiller pour obtenir de l’information. Mais je l’ai vu rire avec son adjoint derrière.” confie Myriam Alizon, ancienne grande reporter à l’Équipe, maintenant créatrice du magazine A fond, destinée à un public jeune. Les mentalités évoluent, mais à un train de sénateur. “Évidemment, il n’y a plus de main au cul, mais il y a toujours des petites réflexions, estime Marie Portolano. Cette génération sexagénaire, ils n’ont pas envie de changer et je le comprends, je ne vais pas arriver en leur disant de changer si ça fait 40 ans qu’ils pensent la même chose. Mais dans quelques années ça va être “salut les gars””. 

L’effet de meute explique aussi, sans pour autant l’excuser, certains débordements au sein de ces rédactions. Les journalistes, très souvent minoritaires face à leurs homologues masculins, doivent encaisser les réprimandes, et pas toujours en face-à-face. “On n’entend pas toujours ce qu’on dit sur nous, moi ça se passait bien, mais j’entendais des remarques négatives sur mes autres collègues. Donc je ne sais pas ce qui se disait dans mon dos.” témoigne Myriam Alizon. Ces femmes doivent donc s’imposer dans un milieu parfois hostile, “ils n’étaient pas sexistes parce que j’étais là. C’est le syndrome de je ne suis pas raciste mon labrador est noir. J’étais leur chien noir.” raconte Nathalie Iannetta, directrice des sports de Radio France. 

L’ancienne génération a-t-elle fait le maximum ?

La pionnière des journalistes de sport sur le grand écran enchaîne : “j’avais aucun intérêt à contester le système”. En plus de remarques sexistes, le système incombe aux femmes des rédactions de sauvegarder leur place à tout prix. “J’ai mis longtemps à réaliser qu’être la première mais seule ça me servait à rien” constate Nathalie Iannetta. La journaliste de 52 ans appartient à une “ancienne” génération qui n’avait “aucun intérêt à contester le système” continue-t-elle. Anne-Sophie de Kristoffy assume : “on a peut-être manqué de solidarité entre femmes”. Si on replace le contexte de l’époque, une femme par rédaction, seule, ne veut pas perdre la place pour laquelle elle s’est battue. Entre acceptation et peur de parler, les femmes journalistes de sport sont longtemps tues : “Nous nous battons contre un système dominateur. J’étais des leurs, totalement dans la domination”. 

Marie Portolano, de la génération suivante, reprend le micro pour reprendre son aînée : “ je te trouve quand même vachement dure avec vous parce que concrètement votre génération vous pouviez rien faire. vous étiez tellement isolées, c’était difficile d’arriver et de dire “bon alors je suis l’unique femmpe dans la rédaction écoutez moi bien tous on va changer les choses et vous allez en embaucher d’autres””. 

Dans ce duel pour savoir si l’ancienne génération a fait bouger les choses, Nathalie Iannetta n’en démord pas. “ Mais quel échec ! Mon dieu quel échec ! Pour notre génération à nous, comment ça se fait qu’en fait les questions comme celles de la matérnité n’ont pas réussi à s’arrêter à nous ? Bah parce que quand on vous rentre dans le crâne que vous êtes une exception et bah vous ne pouvez pas être un exemple. Et c’est là où la photocopieuse elle ne se met pas en route !”

Une association pour aider les jeunes journalistes 

A la sortie du documentaire “Je ne suis pas une salope, je suis journaliste”, Marie Portolano, Mejdaline Mhiri et Laurie Delhostal annonce la création d’une association : “Femmes journalistes de sport”. “La conséquence du documentaire, c’est qu’il y a eu un fort élan de sororité” analyse sa réalisatrice. “On ne se doutait pas de la répercussion du documentaire, se rappelle Mejdaline Mhiri. De six membres, on est passé à 250 aujourd’hui”. Les deux tiers des femmes journalistes françaises sont présentes au sein de leur association.

Leur objectif ? Aider les jeunes femmes à se lancer dans leur carrière au sein des rédactions sportives plus facilement. “C’est une espèce d’annuaire avec les contacts et les offres de stage des grandes rédactions, explique Marie Portolano, chacune des femmes ont une marraine qui la conseille”. Rassurer et s’entraider pour construire un nouvel espace de travail. “Quand on voit le documentaire, on a l’impression qu’il faut être très costaud pour faire ce métier, observe Myriam Alizon, j’espère que cela ne va pas faire peur aux étudiantes en journalisme.” Des places sont disponibles dans les rédactions. Reste à trouver des profils féminins. “N’importe quelle fille qui veut faire du foot, ils la prennent” assure l’ancienne journaliste de l’Equipe.

Thomas Alvarez, Myrthille Dussert et Madeleine Montoriol