Dopage, surmédicalisation, dépression… A travers le documentaire « Sport : le revers de la médaille », Xavier Deleu et Yonathan Kellerman partent à la rencontre des sportifs touchés par les excès du sport et le surplus de l’effort physique. Mais qui sont les fautifs de ce fléau et quels sont les enjeux de ce sujet en lien avec le monde médiatique ? Plusieurs journalistes répondent, interrogés à l’occasion de la 17ème édition des Assises du journalisme à Tours.

Au début des années 2010, plus de 4500 footballeurs américains ont porté plainte contre la NFL, la ligue américaine de football, pour ne pas avoir les avoir protégés des répercussions sur la santé de leur pratique. Troubles du sommeil, dépression, maladie d’Alzheimer, maladie de Charcot, mort, les commotions cérébrales à répétition peuvent avoir des conséquences lourdes sur la santé d’un ancien sportif. Par exemple, Kyle Turley, retraité du circuit NFL, souffre de fortes migraines, de changements d’humeur, d’une dépression, d’un Alzheimer précoce et d’anxiété, entre autres. La ligue a indemnisé les 4500 sportifs à hauteur de 675 millions de dollars.

Ces rugbymen et boxeurs atteints de maladie neuro-dégénératives, ces athlètes dopés pendant plus de 20 ans ou encore ceux qui se suicident après leur carrière, la machine du sport les a broyé. Le sport représente aujourd’hui 3 % du commerce mondial et évolue dans une autre dimension depuis quelques décennies : le trop plein d’argent, de volontés de performance et de compétitions entraîne un surplus d’entraînements, d’effort physique et de pression. Le documentaire Sport : le revers de la médaille, réalisé par Xavier Deleu et Yonathan Kellerman et présenté aux Assises du journalisme à Tours, traite de ce problème que beaucoup de spécialistes pointent du doigt aujourd’hui.

Une prise de conscience nécessaire

Le rapport de la FIFPRO sur la congestion extrême des calendriers des footballeurs professionnels donne un aperçu significatif de la situation dans ce sport. Lors de la Coupe du Monde en décembre 2022, l’enchaînement des matchs en sélection nationale et ensuite en club a nettement impacté la santé des joueurs. 20 % des joueurs interrogés ont ressenti une fatigue mentale extrême à cette période et 44 % une fatigue physique extrême. Le temps de jeu des nouvelles stars du ballon rond a aussi complètement explosé : des joueurs comme Vinicius Jr ou Kylian Mbappé ont déjà joué deux fois plus de minutes sur le terrain que leurs compatriotes stars d’il y a 20 ans, au même âge. Les blessures et les contre-performances sont fréquentes et Pierre Galy, chef du département des sports de l’Agence France Presse, incite les journalistes à prendre conscience du problème : « Un joueur ne peut pas être performant du 1er janvier au 31 décembre. Les journalistes doivent accepter de ne pas avoir des surhommes et des sur-femmes à des niveaux de performance stratosphériques, ils sont humains avant tout. »

Cette prise de conscience est d’autant plus importante que ce sont les journalistes qui sont le plus à même de le savoir de part leur proximité avec les sportifs, comme le développe Hélène Lecomte, rédactrice en chef et directrice adjointe des sports de France Télévision : « Je côtoie des sportifs et sportives tous les jours donc je suis forcément plus au courant du problème. Je n’en aurais peut être pas conscience si je ne travaillais pas dans le milieu. J’ai côtoyé des sportifs qui se sont retrouvés dans des situations de burn-out. » Les journalistes précisent tout de même qu’il n’est pas toujours évident d’évoquer ces thématiques lors de comptes rendus bruts de match, il faut savoir prendre du recul. Clément Gavard, journaliste chez Sofoot, signale que leur travail implique de prendre en compte ce souci :« Lorsqu’un sportif se trouve en difficulté, c’est aussi notre job d’aller savoir s’il y une fatigue ou un pépin physique ».

Un problème, plusieurs accusés

Pour bien comprendre le problème et peut-être à long terme trouver des solutions, il faut repartir à la source. Consommateurs, médias, grandes instances de sport, à quel niveau le phénomène a-t-il déraillé ? Le mot qui revient souvent dans la bouche des journalistes c’est l’argent, notamment pour Pierre Galy : « On est dans un système marchand donc les champions veulent gagner le maximum de titres et le maximum d’argent, donc ils doivent performer le plus souvent possible. » Patrick Piro, journaliste chez Politis, complète : « Le problème, c’est que les médias ont réussi à segmenter le marché et démultiplier les offres. Les milliards d’euros injectés dans le foot, le football américain ou le tennis par exemple ont complètement dynamiser le secteur. » L’argent affecte aussi le rapport entre sportif et spectateur, comme Hélène Lecomte le souligne : « Le sportif est considéré comme une superstar, il est très bien payé, donc il doit performé, comme si ils nous le devaient. » La journaliste pense effectivement que la bulle a explosé au niveau des réactions du public, principalement sur les réseaux sociaux où « chaque méforme, contre-performance et défaite résonnent terriblement sur Internet et créent une pression dingue. »

Malgré tout, Hélène Lecomte sait que le problème est multifactoriel et rejoint Clément Gavard qui pointe du doigt un système complet : « Je pense que c’est un ensemble. Les instances, notamment dans le foot, surchargent les joueurs pour des raisons financières et à côté de ça les consommateurs sont toujours de gros demandeurs ». Comme Patrick Piro, certains professionnels interrogés font porter le chapeau aux médias, même si Clément Gavard pense que les journalistes ne font que couvrir ce qu’il y a à couvrir, sans trop avoir le choix de prendre en compte le surplus. Le moins clément envers les forces médiatiques est Léandre Leber, journaliste à la Gazette Sports : « Avec l’essor d’Internet et des réseaux sociaux, les journalistes veulent attirer. Les mots n’ont plus de valeur dans le sport, tout est extraordinaire, incroyable, méga, alors que non ! On dénature l’information et la véracité de l’information parce qu’on ne veut pas qu’elle nous déçoive. Cela peut être nauséabond. »

Un changement à tous les niveaux

Même si cette logique de pointer du doigt les médias n’est pas suivie par tous les journalistes, pour certains, la solution peut provenir des médias. Par exemple, Clément Gavard de Sofoot a pris conscience de la responsabilité éthique de son métier et de l’influence qu’il peut avoir : « Il faut dénoncer l’existence de compétitions inutiles et ne pas plaider en faveur des calendriers infernaux. On a besoin de moments pour prendre du recul sur l’actualité et faire des sujets plus froids. » En écho à ce discours, Hélène Lecomte prône une éducation à ces problèmes auprès des journalistes mais aussi à l’ensemble des amateurs de sport : « Je pense qu’il faut faire de l’éducation face à ça. En tant que média, ça doit être un sujet. Le sport, ce n’est pas qu’un flop/top, il faut savoir raconter des histoires de sportif, comment ils vivent la pression, comment on se relève etc. Ce n’est plus le même monde, le sportif n’a plus le même statut, il n’a plus le même auditoire. L’éducation à la pression, à la performance ,dans la société, c’est primordial. »

Même si Patrick Piro assure qu’« on n’est pas prêt de voir le nombre de compétitions baisser car il y a beaucoup trop d’argent en je» et que « personne n’a d’intérêt à tuer la poule aux œufs d’or », les avis divergent sur la question de la fidélité du public si la quantité de compétitions sportives venait à diminuer de manière utopique pour la santé des sportifs. David Garcia, journaliste d’investigation indépendant, craint pour le football que le surnombre de matchs puisse écœurer les fans et que les compétitions aient moins de valeur. Du même sens, Hélène Lecomte estime que c’est une question d’habitude : « Les gens sont consommateurs de ce que l’on leur donne, donc à partir du moment où on change les règles de diffusion et d’organisation des compétitions, les gens suivent. C’est parce qu’il y a une surenchère que les gens se sont habitués à ce rythme-là. » Clément Gavard, à l’inverse, voit le consommateur de sport comme un gros demandeur de compétitions puisque « dès qu’il y a une période sans sport, c’est la panique ».

Tous les journalistes questionnés se rejoignent malgré tout sur le fait que les solutions les plus efficaces devraient être mises en place par les grandes instances sportives et au sein des clubs, équipes, directions… Clément Gavard invite tous les sportifs à élever la voix sur ces problèmes pour qu’il y ait du mouvement, du changement. Le chef du département Sport de l’AFP, Pierre Galy, ne nie pas que certains progrès ont déjà été observés et que certaines mesures ont vu le jour : « Au rugby, les groupes se sont élargis jusqu’à 40 joueurs pour qu’ils puissent tourner. Au foot, maintenant, on peut faire cinq remplacements par matchs contre trois avant. On ne peut pas dire que rien n’est fait».

La machine du sport mondial n’ayant pas l’air de ralentir, ces mesures seront sûrement insuffisantes à l’avenir pour assurer et préserver convenablement la santé physique et mentale des sportifs de haut niveau. Reste aux différents acteurs du milieu, du fan au président de fédération, de trouver les solutions durables.