Par Nadège El Ghomari, Camille Malnory et Laurence Morandini

8 mars. Journée internationale de la femme, journée de lutte pour le droit des femmes ou encore journée des droits des femmes. On s’y perd un peu. La veille, au cloître des Récollets, l’association féministe Soroptimist organise la 3ème édition du salon « Talents de femmes ». Si mettre en avant le travail des femmes part d’une bonne intention, ce qu’on a vu et entendu nous a laissé sceptiques. Montrer des femmes qui confectionnent des vêtements et font des gâteaux, n’est-ce pas franchement un paradoxe qui entretient la vision très « femme ménagère des années 50 » ?

Suite à cet évènement, on s’est interrogées sur ce qu’était le féminisme, le combat des femmes et la journée de la femme. Alors, on a décidé de s’armer de notre clavier et de livrer un point de vue. Enfin, plutôt trois. Les nôtres.

Quel est ton féminisme ?

Laurence Je n’ai pas peur de le dire, pas peur des représailles de pseudos féministes qui se servent de leur corps comme toile à leurs slogans. Je parle bien entendu des Femen qui ternissent l’image de la femme que la publicité hypersexualise déjà bien assez. Je n’ai pas besoin d’avoir les seins à l’air pour clamer haut et fort mes revendications. Je fais partie de ceux et celles qui décrient le féminisme d’aujourd’hui. Je suis une nostalgique du “véritable” combat des femmes, celui pour le droit de vote, le droit à l’avortement, le droit de porter une mini-jupe. Parce-que oui, on aime montrer nos cuisses !
Je m’identifie davantage à des femmes comme Rosa la rouge, Simone de Beauvoir ou encore Olympe de Gouge.
Un parfum de supériorité plus que d’égalité. C’est ce qui flotte désormais dans les manifestations féministes en tout genre. Le féminisme est un combat dépassé. Le terme même de féminisme est galvaudé, vide de sens.
Bleu pour les garçons, rose pour les filles. Petites voitures versus poupées. Pourquoi assiste t-on depuis toujours à un code couleur ? A une socialisation différenciée ? Au nom de quoi ? Nous vivons dans une société étouffée  par les clichés et les idées reçues, dont le rapport de genre est figé. Pour ne pas dire cloisonné. Pour la petite anecdote, quand j’étais petite, je ne jurais que par les circuits de voitures, ça ne fait pour autant de moi  une lesbienne aujourd’hui.
Pourtant, la seule chose qui différencie un homme d’une femme, c’est incontestablement le sexe. Et ça aussi, on aime et on ne s’en cache pas.
Battre en brèche les idées étriquées, faire évoluer les mentalités et parvenir à une égalité hommes/ femmes à la maison comme au travail, oui, mais tomber dans l’extrêmisme, hors de question. Je suis consciente de la réalité, consciente que certaines choses ne tournent par rond, comme par exemple l’écart de salaire entre un homme et une femme, à compétences égales.

Nadège « Encore une putain de féministe ». Parfois j’entends ça dans la rue ou quand je discute tout simplement. Encore une putain de féministe. Ça veut dire quoi ? Depuis quand le féminisme est-il devenu une insulte ? Alors je finis par me dire que c’est sans doute parce qu’il y a des nanas qui courent les seins nus dans la rue en gueulant. Ou parce que certaines parlent d’émasculer tous les hommes de la planète. Mon féminisme à moi, c’est plutôt ces gamines dans cette pub qui montrent comment on sprinte ou comment on lance #Commeunefille. C’est montrer qu’il n’y a pas de « trucs pour les mecs ou de trucs pour les filles ». Que les hommes ne sont pas nos ennemis ultimes. Parfois, ils sont eux aussi victimes de sexisme. Ne pas pleurer. Ne pas jouer à la poupée. Ne pas être efféminé.
Oui il y a un problème quelque part. La différence entre le salaire d’un homme et celui d’une femme n’est pas logique. Le combat ne s’arrête pas là où nos aïeules ont brûlé leurs soutifs pour des droits qu’on ne voulait pas leur donner. Il est toujours là. Au coin d’une rue, au travail, au comptoir d’un bar… Mon féminisme, c’est la tolérance et l’égalité.

Camille Le mot “féminisme” fait peur. En même temps, je comprends. Mais aujourd’hui, ça ne veut pas dire grand chose “féminisme”. Il y a celles qui se foutent à poil et celles qui hurlent que “bientôt-on-aura-des-enfants-sans-les-hommes” et “de-toute-façon-un-homme-ça-sert-à-quoi ?” ça ne m’étonne pas vraiment qu’on ne sache plus où donner de la tête avec les féministes. Et puis, il faut dire qu’il y a celles qui se battent pour des trucs incompréhensibles : les garçons devraient porter des jupes comme ça on serait vraiment égaux…Ce n’est pas ça le féminisme.
Le féminisme c’est se battre pour l’égalité. Et ça va dans les deux sens. Je revendique les mêmes salaires que les hommes, le droit de coucher sans être traitée de « Marie couche toi là » et le droit de bricoler un moteur sans être traitée de lesbienne, c’est à dire “pas une vraie fille” dans le langage courant. Tout ça, je le fais pour moi. Mais je revendique aussi que les hommes pleurent, veulent avoir la garde de leurs enfants, et font de la danse en tutu. Tout ce qu’un “vrai” homme ne fait pas en somme !
Et puis, il y a mon combat pour toutes les femmes. Pour celles dont on se sert comme arme de guerre, celles qu’on viole dans les bus, qu’on brûle parce qu’elles vont à l’école. Celles là, je ne peux pas les laisser de côté.
Pour tout ça, on devrait peut être inventer un autre mot que “féminisme”. Un truc avec un peu moins de “femme” dedans pour qu’on parle plus d’égalité. Je ne suis pas féministe. Je suis juste quelqu’un qui essaye de ne pas porter d’oeillères.

Que représente la Journée Internationale de la Femme?

Laurence L’ONU francophone parle de “journée internationale de la femme”, le gouvernement de “journée des droits des femmes” et les militant-e-s de “journée de lutte pour les droits des femmes”. Le débat est sans fin, stérile. Ces journées consacrées à une cause déboussolent, cassent nos repères et nos valeurs. Car les valeurs s’éduquent au quotidien et non en l’espace de 24h. Cette journée clin d’oeil a perdu tout son sens, toute sa substance, dès lors que les femmes ont commencé à se poser en victimes.
Pire même, elle renforce les inégalités déja existantes entre hommes et femmes. Et ça, ça craint !

Nadège La journée des Droits des femmes, finalement, est-ce que ce n’est pas un tas de conneries ? Un événement contre-productif ? Un peu comme la Saint-Valentin, on ne sait plus à quoi ça sert et finalement tout le monde s’en fout. Au mieux, des hommes se plaignent et reprennent le symbole à leur sauce : « Et pourquoi pas un jour pour nous les hommes ? Nous on vous supporte toute l’année ! ». Tout ce blabla vide de sens, vide d’intelligence, vide de tout. Je n’aime pas l’idée qui consiste à réduire le combat de tant d’années à une journée. Un combat qui n’est même pas terminé. En fin de compte, ça conduit à quoi cette journée ? À réclamer du respect le temps de 24h ? À demander aux hommes de faire le ménage pour une fois ? Il y a du chemin à faire encore c’est sûr. Petit pas par petit pas. Alors peut-être que cette journée est utile. Peut-être pas. Mais je pense qu’il ne devrait pas y avoir une journée de la femme.
Un jour dans une vie. Un jour pour un combat. Ça sonne un peu triste non ?

Camille On ne va pas se le cacher, pour le citoyen lambda, la journée du droit des femmes c’est surtout un gros truc marketing genre “Journée de la femme : une boisson offerte”. Une vaste blague : “bon, je t’emmène au resto, c’est la journée de la femme.” Mais peut être qu’en France, on est un peu con là dessus. La journée du droit des femmes, ce n’est pas le jour du respect. ça, ça se travaille tous les jours. La journée du droit des femmes devrait être une vitrine pour qu’on donne la parole aux femmes du monde. Qu’on constate ce qu’on a accompli et ce qu’on doit encore mettre en oeuvre. Parce qu’il faut voir pour agir.

Pour toi, c’est quoi être une fille ?

Laurence C’est avoir un vagin ou ne pas avoir de pénis. Ni plus ni moins.

Nadège Personne de sexe féminin ? Une poitrine, un utérus le tout assemblés avec des bras et des jambes ? Si on suivait les stéréotypes on pourrait dire qu’une fille a des cheveux longs. Blonds, bruns, roux, peu importe. Qu’elle a des yeux et des cils à en faire pâlir Bambi. Qu’elle sent bon le jasmin ou les fruits des bois. Qu’elle se maquille un peu mais pas trop. Puis qu’elle porte des robes, des jupes, « des trucs de filles quoi ». On pourrait dire tout ça. Mais je pense qu’il n’y a tout simplement pas de définition. Une fille c’est tout à la fois. Elle boit de la bière et conduit des camions. Elle répare les voitures et aime manger gras. Elle fait ce qu’elle veut, s’habille comme elle veut, se comporte comme elle veut. Féminin ne devrait pas rimer avec « froufrous » et « superficiel ». Disons qu’une fille, c’est un être humain avant tout et que mettre une étiquette sur les genres, c’est poser des barrières. Et finalement, ça ne mène à rien.

Camille Il y a deux façons d’être une fille : être l’animal qui porte les enfants puisqu’on n’est pas chez les hippocampes et se sentir fille. Mais là, on s’attaque au genre et c’est extrêmement compliqué. Cependant, pour beaucoup, être une fille, c’est être Blanche-Neige. A ce stade, personnellement, je ne suis qu’à moitié une fille. Je préfère Mulan. Pour dire ce que c’est d’être femme, je vais citer un livre pour enfant: « Mademoiselle Zazie a t-elle un zizi ? » L’histoire d’un gamin qui se demande si sa copine Zazie n’a pas un zizi parce qu’elle aime bien jouer au foot, observer les insectes, grimper dans les arbres et elle dit ce qu’elle pense. Mais en fait non, Zazie elle a pas de zizi, elle a une zézette. Je n’ai rien à ajouter.