Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, a pris une ordonnance pour que les procès puissent se poursuivre en visioconférence pendant la crise sanitaire. Mais les avocats s’opposent à cette mesure. Ils dénoncent une violation des droits de la défense.


Régis de Jorna, le président de la cour d’assises a tranché : le procès des attentats de janvier 2015 ne se poursuivra pas en visioconférence. Les avocats des deux parties sont soulagés. Suspendu depuis plus de trois semaines à cause des cas de Covid-19 parmi les accusés, le procès devait reprendre ce lundi 23 novembre. Mais le principal accusé Ali Roza Polat, poursuivi pour « complicité de crimes terroristes » a toujours des symptômes du Covid-19 et est absent à l’audience. «Il n’est pas encore en état de comparaître» , a annoncé le président de la cour, dès l’ouverture de l’audience.

Le procès aurait alors pu se poursuivre à distance, via visioconférence comme l’encourage une ordonnance prise par Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, le mercredi 18 novembre. L’ordonnance doit en effet « permettre le maintien de l’activité des juridictions tout en s’adaptant aux contraintes sanitaires et en évitant autant que possible les contacts physiques ». C’est-à-dire qu’elle encourage le recours aux visioconférences « qu’une fois l’instruction à l’audience terminée ». Le président de la cour d’assises avait justement mis fin à celle-ci le jeudi 29 octobre. L’ordonnance est donc applicable à ce procès.

« Un procès digne et sage »

Mais les avocats de la défense comme des parties civiles s’y opposent et ont défendu ce lundi 23 novembre leur position. Isabelle Coutant-Peyre, avocate de l’accusé principal dénonce la possibilité de « laisser un homme se faire juger dans son cachot à travers un écran ». Pour elle, l’ordonnance porte atteinte « à la séparation des pouvoirs ». Elle vise même directement le garde des Sceaux : « C’est un ministre qui a été avocat d’assises et qui ne sait même plus qu’un accusé doit être présent jusqu’à la fin ».
Du côté des avocats des parties civiles, ils demandent « un procès digne et sage ». D’autant que ce procès « est regardé dans le monde entier », comme le souligne l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka. Il ajoute : « Si on n’est pas à la hauteur des enjeux de ce procès on sera tous responsables d’un échec ». « Ça va bientôt faire six ans, une semaine de plus, une semaine de moins. Nous devons continuer d’être patients », souligne de son côté Jean Reinhart, avocat de la famille de Frédéric Boissieu, tué par les frères Kouachi. Face à ces oppositions, le président de la cour a alors décidé de reporter l’audience au lundi 30 novembre.

« La visioconférence est inenvisageable »

Mais cette proposition d’utiliser la visioconférence lors de procès s’est aussi invité au procès de Nicolas Sarkozy, dans l’affaire dite des écoutes. L’ancien chef de l’Etat est accusé d’avoir tenté d’obtenir, auprès de Gilbert Azibert, ancien magistrat de la Cour de cassation, des informations secrètes en marge de l’affaire Bettencourt.
Le procès s’est donc ouvert ce lundi 23 novembre. Mais il a aussitôt été suspendu puisque Gilbert Azibert, âgé de 73 ans n’était pas en état de comparaître. Une nouvelle expertise médicale a été demandée. En attendant, le procès est mis en pause.

Gilbert Azibert était avocat général dans une chambre civile de la Cour de cassation au moment des faits – Photo : Libération

Une des magistrats du Parquet national financier (PNF) a alors proposé l’option de la visioconférence. Mais pour Dominique Allegrini, avocat de Gilbert Azibert, « la visioconférence est inenvisageable pour un dossier comme celui-là ». De plus, le procès ne se tient pas aux assises et aucun prévenu n’a pour l’instant contracté le Covid-19. L’ordonnance n’est alors pas applicable à ce procès. « Je crois qu’il est temps d’arrêter les aménagements avec le code des procédures pénales, c’est ce qui garantit les libertés individuelles », a ajouté Dominique Allegrini, à la sortie de l’audience.


Margaux Plisson