Tacticien hors pair, colonialiste, homme visionnaire ou autoritaire, la figure de Napoléon a été tant commentée qu’il est difficile d’avoir une vision du personnage dénuée d’affect. A l’approche du bicentenaire de sa mort le 5 mai prochain, Jacques-Olivier Boudon et Thierry Lentz nous apportent leur expertise sur trois points entourant celui qui fut l’empereur des Français.

Le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte s’éteint sur l’île de Sainte Hélène où il était en exil forcé depuis quelques années. Deux-cents ans plus tard, l’année 2021 vient clore 50 années de commémorations autour des différents moments marquant de la vie de l’empereur des Français.

La figure de Napoléon suscite toujours autant d’intérêt et de débats lorsqu’il s’agit de passer au crible les actes de sa vie. Des controverses qui ont été ravivées avec l’annonce le 10 mars dernier d’une cérémonie officielle effectuée par Emmanuel Macron pour le bicentenaire de sa disparition.

Que commémorer de Napoléon en 2021?

La question de la nécessité des commémorations de la figure de Napoléon n’est pourtant pas nouvelle. Les critiques entourant la tenue des cérémonies du 5 mai prochain font penser qu’il est préférable pour les politiques d’éviter ce sujet.

Or il n’en est rien car en 2005 le président Jacques Chirac et son Premier ministre Dominique de Villepin ont été critiqués pour l’exact inverse. Les deux hommes avaient décidé de ne pas assister au bicentenaire de la bataille d’Austerlitz alors qu’en parallèle un bataillon de Saint-Cyriens et d’autres régiments militaires étaient présents.

Comme le rappelle Jacques-Olivier Boudon (professeur en histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne, spécialisé en histoire de la Révolution de l’Empire, et président de l’Institut Napoléon) la question du dirigeant a toujours été une source d’embarras pour les chefs d’Etats français.

Thierry Lentz (Directeur de la Fondation Napoléon et historien spécialisé dans la période du Consulat et de l’Empire) rappelle que de nombreux événements se tiendront pour ce bicentenaire. Ils permettront de rendre différents types d’hommages à celui qui a contribué à façonner les institutions en France. Dans toute la France, des colloques seront organisés pour les historiens et des expositions pour le grand public afin de commémorer la figure de Napoléon.

Cependant, le débat continue d’exister en France lorsqu’il s’agit de se référer à Napoléon. L’une des principales conséquences est un manque de référence à ce dirigeant dans notre sphère publique et médiatique. Face à des dirigeants comme le Général De Gaulle, Clémenceau ou encore Jean Jaurès, Napoléon semble être davantage ignoré tant dans les discours médiatiques que politiques.

Pourtant en France la figure de Napoléon Bonaparte reste en retrait alors qu’elle possède une large aura mondiale. Il est un homme « que le monde entier nous envie » indique Thierry Lentz après avoir cité les pays où la recherche sur sa vie est très active.  

Quelles critiques sont faites à Napoléon?

Cette méfiance en France dans la référence faite à Napoléon est peut être issue d’une contradiction issue de son mythe. Sa carrière de militaire commence durant la période Révolutionnaire et il est le créateur de nombreux fondements et institutions de notre pays (Banque de France, Code Civil, départements).

Mais comme l’explique Jacques-Olivier Boudon, il reste celui qui « a mis un terme à l’expérience révolutionnaire » en instaurant l’Empire. Ce nouveau régime qui suit la première République de 1792 est en totale contradiction avec l’esprit démocratique de la Révolution en raison de son autoritarisme et de sa réduction des libertés d’opinion et de la presse.

L’Empire s’oppose à nos valeurs démocratiques actuelles car il voit le jour suite au coup d’Etat du 18 Brumaire (9 novembre 1799) et dont Napoléon a fait partie. Pour Jacques-Olivier Boudon ces éléments expliqueraient le rapport compliqué entre les hommes politiques actuels et Bonaparte.

Encore célébré il y a cinquante ans comme symbole de la réussite de notre pays, l’empereur des Français semble aujourd’hui être davantage mis en avant pour ses travers. Cette vision d’un Napoléon anti-démocratique est pour Thierry Lentz symptomatique d’un manque de connaissance des faits et du contexte historique de cette période.

La critique d’un Napoléon colonialiste n’est pas nouvelle. Le débat porté avec l’apparition du mouvement Black Lives Matter sur la question des hommages rendus aux hommes historiques ayant participé à l’esclavage inclut évidemment le cas de Bonaparte.

En 1802, Napoléon rétablit l’esclavage en France qui avait été aboli en 1794 grâce à la Révolution Française. L’événement a été traité par les historiens, mais était jusque là relégué au second plan. C’est ce traitement en demie teinte qui a suscité les critiques d’une vision biaisée de Napoléon. Jacques-Olivier Boudon nous explique le contexte entourant cette période méconnue de l’histoire de France.

Les reproches faits à Napoléon ne s’arrêtent pas à ce simple sujet de la traite des Noirs. On peut aussi citer la misogynie par la place accordée à la femme dans le Code pénal et l’autoritarisme du Premier Empire avec son fort contrôle de la presse. Pourtant ces problématiques ne sont pas nouvelles et ont déjà constitué un champ de recherches pour les historiens spécialisés sur la période de la Révolution et de l’Empire.

Ces éléments connus des spécialistes étaient beaucoup plus confidentiels pour le grand public. La population garde une image d’Epinal de ce dirigeant issue de la légende qui l’entoure. Une vision idéalisée qui aura été écornée avec le temps.

Aujourd’hui le récit de l’infatigable conquérant, bâtisseur visionnaire de la France et génie militaire d’Austerlitz, de Wagram ou du Pont d’Arcole a la vie dure. Même les expositions comme celle qui se tiendra prochainement à la Villette à Paris veulent dresser un portrait plus réaliste de l’Empereur. La mythologie entourant Napoléon Bonaparte laisse davantage place au pragmatisme après 200 années de recherches effectuées par les historiens.

Le mythe Napoléonien en question

On disait de lui qu’il dormait 4 heures par nuit, et avait une formidable intuition sur les champs de batailles en plus de pouvoir presque tout faire assis sur son cheval. Napoléon est un des rares hommes historiques français à avoir une aussi grande renommée à travers le monde. Du Japon aux Etats-Unis en passant par la Russie et l’Egypte, il évoque pour Jacques-Olivier Boudon un mythe: celui du premier self-made man.

L’histoire autour de Napoléon s’est progressivement muée en une légende entretenue d’abord par les artistes qui l’ont mis en valeur. De Delacroix à Barrès en passant par Balzac, la figure de Napoléon a très vite dépassée l’homme qu’il était pour devenir une référence historique et culturelle commune en Europe. Le romantisme du XIXème siècle s’était nourri en France du regret face à la période du Premier Empire et de l’épopée Napoléonienne. De cette période a été tirée une certaine vision fantasmée des éléments, qui aura contribué à façonner le mythe de Napoléon.

Mais la légende qui entoure la personne de Napoléon se heurte aux réalités de notre XXIème siècle. Face aux changements sociétaux et aux nouvelles revendications qui émergent, certaines problématiques historiques autrefois secondaires arrivent sur le devant de la scène. Ces débats nécessiteront, des recherches et des analyses pour prouver la réalité des faits. Mais ils ne pourront jamais s’exercer par l’oubli de celles et ceux qui ont marqué l’Histoire.

Arthur Hoeltzel