Un grand nombre d’armes de la Première Guerre Mondiale subsiste encore dans le sous-sol français. Les munitions chimiques en particulier se détériorent et deviennent de plus en plus instables. Pierre-Yves Channeaux, chef du centre de coordination sur les chargements chimiques de Suippes (C4) explique à l’occasion des commémorations du 11 novembre, les difficultés spécifiques du traitement des bombes chimiques.

La Première Guerre Mondiale a été marqué par l’utilisation intensive de l’artillerie, la bataille de Verdun, à elle seule a vu plus de 50 millions d’obus tirés tous camps confondus. Parmi ce déluge d’acier, certaines bombes n’ont pas explosé et sont toujours présentes dans la terre.

“Pour la plus grande partie on n’est pas capable de dire s’il s’agit d’armes chimiques ou non.” précise le démineur Pierre-Yves Channeaux. C’est la première difficulté que rencontrent les équipes spécialisées dans le déminage, lors de la découverte d’un engin explosif. Il faut attendre une radiographie de la munition pour les distinguer des armes conventionnelles. A partir de là, le centre de déminage arrive à repérer la composition des munitions.

“On radiographie des munitions pour trouver leur appartenance. On est capable de traverser 7 cm d’acier pour voir l’intérieur de la munition.” – Pierre-Yves Channeaux. Source : C4 Suippes

Les bombes chimiques, spécifiques à la Grande Guerre, se classent en deux grandes catégories : les toxiques liquides et les arsines. La première regroupe des produits comme du phosgène, du bromoacétone et de l’ypérite (gaz moutarde), responsables de brûlures chimiques ou d’effets suffocants. Ces liquides sont directement en contact avec l’obus, en opposition aux arsines, où le gaz est contenu dans une bouteille en verre. Des gaz non mortels de la famille des sternutatoires, qui provoquent des irritations respiratoires.

Source : C4 Suippes

Le traitement des armes chimiques

“Avant on pouvait les détruire en les mélangeant avec des munitions conventionnelles.” témoigne Pierre-Yves Channeaux. En 1997 est entrée en vigueur la convention de l’OIAC (organisation, qui a récemment reçu le prix Nobel de la Paix pour son action sur l’arsenal chimique de la Syrie). Les bombes chimiques ne sont plus détruites et sont stockées au centre de coordination sur les chargements chimiques de Suippes, dans la Marne. L’expert ajoute : “On doit les éliminer de manière propre pour la sécurité des personnes, il faut utiliser désormais des procédés industriels.”

C’est dans cette optique qu’une usine verra le jour dans l’Aube, à l’horizon 2016, le programme SECOIA. Pour détruire les armes chimiques, le site disposera d’une chambre détonique capable de résister aux explosions. “On va prendre les munitions chimiques, mettre un explosif dessus et les faire péter. Ça revient à ce qu’on faisait à l’air libre avant. La boule de feu qui va se créer va casser les molécules chimiques.” explique le chef du déminage. Les gaz de la chambre peuvent alors être traités efficacement sans risque pour l’environnement. Ce processus pourra se faire en série de manière industrielle.

Tant que le programme SECOIA n’est pas en service, les démineurs de Suippes peuvent désamorcer les bombes à l’aide d’une Unité Mobile de Démantèlement, qui utilise un autre procédé. Il consiste à percer la munition pour en extraire la substance toxique. Celui-ci sera ensuite détruit par d’autres produits comme l’hypochlorite de calcium, employé aussi comme désinfectant dans les piscines.

Le camion de 32 tonnes du programme SECOIA permet de déplacer de manière sécurisée les munitions stockées vers le site de destruction. Sources : C4 Suippes

Quelques données supplémentaires :

  • 12 500 demandes d’interventions par an
  • 310 démineurs en France
  • Entre 500 et 600 tonnes de munitions retrouvées par an (toutes guerres confondues)
  • 10 à 20 tonnes d’armes chimiques par an
  • 18 000 munitions en stock