Crédit photographie: France Télévision. 

A l’heure du centenaire du premier conflit mondial, une grande collecte de souvenirs de cet épisode désastreux est organisée par le gouvernement. Parmi les objets récoltés, des lettres. Principal trait d’union entre les soldats et leurs familles, ces correspondances sont des témoins essentiels qui humanise l’Histoire. Jean-Yves Le Naour, historien et auteur de « La Grande Guerre à travers la carte postale ancienne » revient sur les particularités de ces missives.

A quoi ressemblaient les correspondances des soldats pendant la première guerre mondiale ?

Ils écrivent généralement avec un petit crayon de papier qu’ils taillent au couteau. Leur encre s’épuise tandis que ce type de crayon peut être utilisé en toutes circonstances. Les lettres sont écrites sur des formats très divers. Les cartes postales sont utilisées pour des missions plus courtes.
Souvent, les soldats n’ont pas grand-chose à dire. Il ne se passe rien, la plupart du temps, on s’ennuie et donc une carte postale est une façon de dire juste un mot, de rassurer. Les soldats savent qu’à l’arrière, ils attendent du courrier, que fébrilement, ils attendent. Il ne faut pas laisser une journée sans donner des nouvelles à ses proches pour qu’ils ne pensent pas au pire. A l’arrière, on écrit également mais pour parler du quotidien ou en envoyant des colis, des dessins… Les correspondances sont un lien vital qui permet de tenir, de conserver le moral.

Quelles étaient les contraintes à respecter au niveau de l’écriture notamment à cause du système de censure mis en place en temps de guerre ?

En temps de guerre, il est important de ne pas dire où l’on se trouve. Si l’ennemi apprend dans quelle unité est le soldat et où il se trouve, les espions peuvent facilement suivre ses déplacements. C’est uniquement cette question de localité qui est interdite. Les lettres sont caviardées, c’est-à-dire passée au noir, si elles comportent cette notion de lieu. Mais la censure vise d’abord à faire un état des lieux du moral des soldats. Cela permet de savoir s’ils ont confiance en leur chef, s’ils sont prêts à attaquer. On lit les courriers pour avoir un point de vue sur l’état d’esprit de la troupe. Mais si le caviardage est trop important, les hommes n’auront plus confiance et ne se livreront plus. Ils sauront qu’ils sont surveillés. Ils doivent écrivent librement, dire ce qu’ils pensent.

Comment étaient gérées les correspondances des prisonniers ?

Il y a des conventions internationales à ce sujet et les prisonniers écrivent librement à leur famille. Alors évidement, ils ne doivent pas faire d’appréciations sur la guerre et aucune sur leur geôlier. On ne peut pas dire lorsqu’on est soldat allemand prisonnier des Français, que ces derniers, par exemple, ouvrent les colis et prennent les victuailles. On fait abstraction de ces actes mais on correspond avec sa famille, on reçoit ses colis. Tout fonctionne très bien sauf lorsque les prisonniers sont utilisés en France comme en Allemagne comme des otages. On suspend parfois des correspondances ou des colis durant les périodes de tension de la guerre. Lorsque l’on considère qu’il y a eu une violation du droit de la guerre. Par exemple, les Français ont retenu dans des bagnes africains, des prisonniers allemands. Cela a été dénoncé comme quelque chose d’horrible en Allemagne, ce qui a eu pour répercussion une suspension des correspondances afin de faire pression sur la France pour qu’elle rapatrie ces prisonniers qui vivaient dans les colonies camerounaises.

Pour votre livre, avez-vous lu des courriers originaux ?

J’ai eu entre les mains des lettres érotiques. Des correspondances d’un soldat avec sa femme qui s’adressaient des lettres tendres avant de virer vers l’érotisme. Ce sont des hommes et des femmes qui s’aiment et qui sont séparés pendant des mois, pendant plus d’un an même (les permissions se mettent en place à partir de l’été 1915). Avant que tout le monde soient partis en permission, il s’écoulera plus de six mois donc imaginez plus d’un an et demi de séparation. Ces lettres érotiques ont aussi été une façon de surmonter la frustration sexuelle. Mais il est plutôt rare de trouver des papiers comme ceux-ci. Étant donné l’éducation plutôt conservatrice de l’époque. Je suis tombé une fois sur un lapsus dans une lettre où un poilu écrivait « Ton homme qui ne sexe de penser à toi ». C’est parlant !

Quelle est la place de ces lettres dans le devoir de mémoire ?

Bien sûr que ces lettres sont importantes. Elles n’ont pas toujours été considérées comme des objets d’Histoire, comme des archives. On en trouve dans toutes les familles, dans tous les greniers, dans tous les tiroirs. C’est seulement à partir des années 70 avec la disparition des poilus que l’on a commencé à découvrir ces trésors et que l’on publie de plus en plus de journaux, de carnets de route, des lettres de soldats. On découvre qu’il y a une mine d’or qui est aujourd’hui une source pour comprendre la guerre. Mais pendant longtemps ce n’était pas considéré comme tel. Imaginez vos mails, dans cent ans, peut être qu’un historien récupérera des disques durs et travaillera sur vos échanges avec un sujet, un œil, un angle que vous ignorez. Ce que vous faites aujourd’hui, ce n’est pas de l’Histoire mais vous pouvez devenir producteur d’Histoire. Cela nous fait entrer dans un quotidien, dans l’affectif, dans le privé alors que bien souvent dans l’Histoire, la parole publique, administrative, militaire prédomine. Ici, vous pénétrez dans ce que les gens pensent et c’est une source irremplaçable.

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Crédit photographie: Bibliothèque nationale de France.