Sandrine Parmentier est écrivaine publique à vocation sociale. L’essentiel de son activité concerne les démarches administratives et l’accès au droit. La professionnelle de l’écriture aime profondément son métier dont elle nous livre une belle définition. Son activité multiforme est guidée par un fil rouge : celui de la langue au service des autres. Dès 2006 émerge en elle l’idée de lier l’écriture et le social. Elle crée son entreprise, Le Scribe Social, et se lance en tant qu’entrepreneuse en 2018 en Moselle.  

Quelle a été ta formation ?

A l’époque, la seule formation qui existait en France, état celle du Centre National d’Enseignement à Distance (CNED). C’est celle que j’ai suivie et elle existe toujours. Initialement, j’ai un master de français langue étrangère. J’ai enseigné pendant une dizaine d’années, avec des publics issus de la migration ou en situation d’analphabétisme. Ensuite, j’étais enseignante dans une école pour adultes handicapés. C’était déjà la médiation sociale, puisque c’était un public en difficulté par rapport à la langue ou la santé. Puis, pendant onze ans, j’étais éducatrice, spécialisée en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), soit avec des personnes en grande précarité, issues de la migration ou de la rue.

Quand es-tu devenue écrivaine publique ? 

Je trouve intéressant que tu l’aies mis au féminin. On rentre dans le vif du sujet de la langue. Les questions de genre sont importantes pour moi, s’il n’y avait que moi, les genres n’existeraient pas, et en même temps, c’est lié. Je me présente comme écrivain public, pas écrivaine, mais ça ne me pose aucun problème qu’on parle d’écrivaine publique. Je me suis officiellement lancée en 2018, en tant qu’entrepreneur. J’ai toujours voulu lier l’écriture et le social. 

Quelle est la définition du métier d’écrivain public ? 

C’est un prestataire et conseiller en écriture, qui rédige tout type d’écrits pour particuliers, collectivités ou entreprises. Selon son appétence, la personne peut proposer différentes prestations rédactionnelles : courriers, démarches administratives, ateliers d’écriture, accompagnement à l’écriture, correction… C’est très compliqué de trouver une définition de l’écrivain public. 

As-tu une définition plus personnelle de ton métier ? 

Pour moi, c’est l’écrit pour et avec les autres. C’est mettre la langue, les mots et l’écrit au service des gens, sous différentes formes. Moi, je rentre dans l’écrivain public à vocation sociale, avec des formes multiples d’intervention. Je me dénomme écrivain public uniquement pour la communication envers les gens. J’ai un problème avec les étiquettes, et mon activité est tellement multiforme, que parfois ça m’enferme de dire « je suis écrivain public ». 

Missions et activités

En quoi consiste ton métier ? 

Chez moi, ça prend des formes très diverses. Une des plus grosses parties de mon activité, c’est le travail avec des structures. Mais je peux aussi avoir des clients particuliers, des structures médico-sociales, ou des entreprises, pour de l’accompagnement et de l’aide aux démarches administratives. De plus, une partie de mon activité est essentiellement les démarches administratives et l’accès aux droits sous toutes ses formes. C’est une de mes missions premières : droits à la santé, droits aux remises de base, droits au logement, etc.Souvent, c’est tellement compliqué qu’on y renonce. Pour un écrivain public lambda, qui n’a pas un passé social, c’est plus difficile. 

Pourquoi est-ce plus difficile pour un écrivain public sans passé social ?

Dans les formations, on apprend à remplir des documents ou à rédiger la lettre demandée. Il n’y a pas d’appel téléphonique aux structures partenaires. Moi, dans mon passé professionnel, j’ai fait énormément de démarches administratives quand j’étais éducatrice spécialisée. En CHRS, on faisait un accompagnement total et global. C’est une part de mon ancien métier que j’ai rapportée dans mon nouveau. Ce n’est pas pour rien que j’ai créé mon activité : je ne pouvais plus travailler dans le social à cause des conditions de travail très difficiles.

Quel est le niveau d’accès à tes services ?

Aujourd’hui, les personnes les plus précaires – financièrement et pas que – sont celles qui ont le plus besoin de cet accompagnement et qui doivent solliciter le plus les administrations. C’est aussi souvent celles qui sont le plus en difficulté, notamment par rapport au numérique. Ça, c’est un volet important aujourd’hui. Or aujourd’hui dans les structures, il y a moins en moins de temps et de personnel pour ces missions. Ce qu’elles apprécient dans mon profil, c’est que je connais les publics, leurs difficultés et les démarches administratives

Ton activité est donc cruciale pour l’accès aux droits ? 

Oui. C’est une chose de remplir un dossier, et de savoir quelles conséquences cela a. Le métier, c’est aussi de l’orientation vers d’autres partenaires et des appels aux administrations (CPAM, sécurité sociale, CAF, CARSAT, caisses de retraite, impôts, bailleurs publics…). C’est un aspect particulier de mon activité, avec des volets qui dépassent l’écriture. 

Que fais-tu concrètement concernant l’accès au droit ?

Les écrivains publics qui font de l’accès aux droits peuvent faire des permanences. Tous les mardis, je fais une permanence d’accès au droit en tant qu’écrivain public à Forbach, missionnée par le centre communal d’action sociale de la mairie. J’oscille entre la mairie et deux centres sociaux. Les gens prennent rendez-vous auprès de la mairie, et je consacre une heure à chaque personne.

Écriture créative

Quelle est l’autre facette de ton métier ? 

Je peux également faire de l’écriture créative. Je peux être suis contactée et missionnée par une structure pour venir en complément – ou non, d’un personnel. Dans ces cas là, j’agis en tant que professionnel de l’écriture. Par exemple, j’ai été missionnée par le centre social de l’Agora pour un projet, ou par la médiathèque pour faire des ateliers d’écriture.

Un exemple de cet aspect là de ton métier ?

Il y a quelques mois, j’ai été missionnée par le centre social de l’Agora, à Metz, pour venir en complément de l’animatrice culturelle dans un projet appelé « Carnets de voyages ». Pendant six mois, à travers des sorties et des ateliers, l’idée était la réalisation de carnets de voyage. C’est une partie de mon activité qui mêle l’écriture de soi et l’écriture créative, puisque les carnets de voyage ont une forme d’expression qui est autre que l’écrit, qui peut être visuelle. Je laisse les gens libre, c’est le but.

C’est vraiment de l’écriture libre ? 

Oui, il n’y a pas de correction orthographique. Souvent, les gens pensent qu’on va être très pointilleux sur la langue dans nos interventions. Évidemment, dans l’accès au droit, on fait attention à la langue, sur ce qui va être percutant pour argumenter, et sur le soin apporté aux mots, à la syntaxe, à l’orthographe, etc. Dans les ateliers ou les missions comme carnets de voyage, c’est de l’écriture libre. Il est hors de question pour moi, sauf si les personnes me le demandent, de faire une correction de la langue. La reformulation appartient aux participants, et c’est très important que ça leur appartienne.

Quel est ton objectif à travers ces projets ?

Les personnes ont un schéma très classique de l’écriture, qui est l’écriture normée de l’école. Pour moi, le but dans ces activités là, c’est de libérer l’écriture et la créativité sous toutes ses formes, puisqu’on est tous créatifs et souvent, on n’en a pas conscience et on ne s’autorise pas. En plus, comme dans l’accès au droit, ce sont souvent des personnes qui ont du mal à écrire ou aux difficultés multiples de santé. 

Clients et visibilité

Quels sont tes clients ?

Ils sont multiples : structures médico-sociales, mairies, entreprises et particuliers. Parfois, certaines entreprises me contactent car elles n’ont pas de services RH ou d’assistants sociaux pour aider leurs salariés. 

Est-ce que les personnes qui ont besoin de tes services te trouvent facilement ?

C’est justement une des difficultés. La majorité est peu informée des dispositifs ou des professions qui peuvent exister. Dans certains pays, l’écrivain public est une figure nationale et c’est un métier très reconnu, parce qu’il n’y a pas ou peu de travailleurs sociaux. Les gens ont davantage le réflexe d’aller voir l’écrivain public pour faire des démarches. Je pense au pays du Maghreb, comme l’Algérie ou le Maroc. Là-bas, les écrivains publics ont pignon sur rue et sont très nombreux.

En France, c’est donc plus compliqué ?

Quand ils ne trouvent pas de solution, les gens vont au départ, aller voir la mairie ou les assistants sociaux de secteur. Comme ils ne peuvent pas répondre à la demande spécifique, ils vont donc les rediriger. C’est un jeu de ping-pong permanent, où les personnes sont souvent réorientées de structure en structure. Souvent, c’est de la réorientation vers des équipements publics qui font des permanences comme moi. Une fois arrivés chez un écrivain publique pour, par exemple, une lettre à caractère juridique, on va leur dire que non, on ne peut pas faire ça, car on n’est pas juriste. Dans ces métiers-là, il faut aussi être très vigilant à ne pas déborder sur les compétences qui ne sont pas les nôtres. Et ça, c’est la pratique aussi qui fait qu’on sait mettre les limites.

C’est donc très compliqué ?

Les personnes vont essayer plein de choses et parfois abandonnent, parce qu’elles n’ont pas trouvé la solution. Parfois, c’est malheureusement malsain et ça demande une énergie incroyable pour eux. Donc à un certain moment, ils renoncent à leurs droits. 

En France, le métier d’écrivain public est donc peu reconnu ?

C’est un métier de niche. En France pourtant, la demande est et a toujours été très importante, et les besoins sont croissants, ils explosent partout. Le nombre d’écrivains publics et de travailleurs sociaux n’est pas suffisant. Maintenant, il en existe quand même pas mal. 

Bénévolat et spécificités du métier

Est-ce que certaines personnes se font passer pour des écrivains publics ? 

Il existe une minorité de personnes qui se prétendent écrivains publics, tout simplement parce qu’elles maitrisent la langue. Par exemple, une professeure de français, qui maîtrise parfaitement la langue française, ne fait pas de fautes d’orthographes, sait argumenter, disserter et enseigner. Elle peut penser que que ça suffit pour être écrivain public à vocation sociale. A Metz, beaucoup proposent des services, mais ce sont des bénévoles qui n’ont pas toutes les compétences.

Il y a donc beaucoup de bénévoles qui portent l’étiquette d’écrivain public ?

La grande très grande majorité des personnes nommées écrivains publics en France ne le sont pas forcément, il y a beaucoup de bénévoles dans le secteur. Certains sont quasiment des professionnels et sont très performants, mais ne sont juste pas rémunérés. Je ne suis pas contre les bénévoles, en revanche, très clairement, on trouve tout type de profils de personnes qui interviennent sous couvert de l’étiquette « écrivain public ».  Ce sont des profils de personnes à la retraite, par exemple, ou avec une fibre d’altruisme, qui ont envie ou besoin d’aider les autres. C’est très bien mais malheureusement, c’est parfois contreproductif. 


Pourquoi cela peut-il poser problème ? 

Parce que c’est une chose que de savoir écrire, de maîtriser très bien la langue, l’orthographe, et que de connaître les démarches administratives, les structures, ce que les gens doivent faire, comment écrire la lettre pour que ça percute, etc. Ça, ça ne s’invente pas, c’est un vrai métier écrivain public, surtout pour l’accès au droit. C’est donc parfois contre productif car on peut très clairement mettre en difficulté ceux qu’on souhaite aider : je connais assez bien les démarches et le fonctionnement, pour pouvoir prévenir qu’il y a de fortes chances que ça ne marche pas. A l’inverse, les bénévoles, qui veulent tellement croire et aider la personne qu’ils ont en face d’eux, faussent souvent l’espoir des gens, et les font miroiter. Après, ils ne viennent plus voir ces écrivains publics. 

La mission dépasse-t-elle l’administratif ?

Oui. Il faut aussi pouvoir écouter. J’ai des réflexes de travailleur social, je sais gérer les émotions et écouter. Si on s’écroule devant moi, il n’y a pas de soucis. Le métier c’est aussi ça : gérer le face à face avec les difficultés des personnes. 

Difficultés et satisfactions

C’est un métier précaire ?

Financièrement, si tu n’es pas diversifié dans tes actions et tes missions, c’est compliqué. C’est assez rare que les gens s’installent, parce que ça peut être compliqué de vivre.

La vocation sociale attire-t-elle beaucoup ?

J’ai plein d’exemples de professionnels, qui ont crée leur activité et qui voulaient tous, pour une grande majorité, aller sur ce volet de vocation sociale. Beaucoup en reviennent parce qu’il y a de nombreuses difficultés et il n’y a pas ou peu de financement, c’est donc très compliqué d’en vivre. Il y a également une méconnaissance des démarches quand ils sont face aux gens

Quel est l’aspect le plus dur dans ton métier ?

Comme tout métier, ce n’est pas toujours simple. Les journées sont longues et nécessitent une écoute active et une concentration permanente. Il faut bien écouter les besoins, avoir les bonnes questions, garder patience. Il faut accueillir les émotions, les besoins des autres. Parfois, c’est compliqué, je reste une humaine qui suis touchée par les situations, les propos, etc. Et puis, au niveau physique et psychique, ça peut être très compliqué.

Et dans l’entreprenariat ? 

Je peux rarement prévoir le lendemain. C’est un choix de vie qui est parfois difficile. En plus, le corps de métier n’est qu’une partie de l’activité. A côté, il y a la comptabilité, la communication, la représentation. Il faut tout gérer de A à Z. Enfin, comme tout entrepreneur, c’est compliqué, surtout lorsque l’on vend du service. Dans mon métier, c’est d’autant plus dur puisque mon public de cœur, que j’affectionne et avec lequel je veux continuer à travailler, n’a pas les moyens. Et les structures porteuses qui accompagnent ces personnes-là et qui font appel à moi, n’ont jamais vraiment eu de financement. Aujourd’hui, c’est catastrophique. L’année prochaine, je ne sais pas ce que je deviendrai professionnellement. 

C’est donc un métier de passion ?

C’est un métier de passion pour moi. Je ne peux pas travailler autrement. J’ai besoin d’être alignée avec qui je suis, tout le temps. Et tous les professionnels qui veulent s’installer ou qui le sont, sont dans les métiers passion. 

Une de tes plus belles satisfactions ? 

Récemment, le vernissage à la médiathèque de l’Agora, exposant des carnets de voyage réalisés par des femmes du centre social. Cette action-là coche toutes les cases. C’est complètement aligné avec ce que je veux faire. L’émotion est encore là. Le plus important de ce type d’action, c’est l’aventure humaine. Ce sont des gens qui sont ensemble, qui se rencontrent, et qui se rencontrent aussi eux-mêmes

Quel était l’objectif de ce projet ? 

L’objectif était de redécouvrir son lieu de vie sous un angle nouveau. Le carnet de voyage permet de se penser en voyageur dans son environnement.  Chacun d’entre nous, quand on vit à un endroit, regarde moins autour de soi, et avec la routine, on ne voit plus. Il y avait l’idée de percevoir les choses différemment, d’ouvrir à la curiosité et à une forme d’émerveillement.

L’écriture au quotidien

Quelle place occupe l’écriture dans ta vie ?

C’est mon quotidien. Professionnel, mais pas seulement. J’écris tout le temps. J’ai un besoin d’éclaircir les idées sur le papier. J’ai aussi des écrits personnels. J’écris essentiellement avec le stylo, mais je tape aussi beaucoup sur ordinateur. Cela reste de l’écriture, même si le geste n’est pas le même. Les vertues de l’écriture, c’est aussi ce que je veux faire passer dans mon activité. Maintenant, j’ai une question pour toi : connais-tu Victor Hugo ? 

Victor Hugo, dans sa pratique de l’écriture, parlait des « copeaux ». Il fonctionnait comme ça, et moi aussi. Chez moi c’est un calvaire. J’ai un crayon, je prends ce que j’ai sous la main, j’écris. J’ai plein de copaux, et parfois je ne sais pas ce que ça veut dire quand je le reprends après. C’est juste l’idée sur le moment. Je suis dans l’écriture permanente. Depuis que je sais écrire, il ne se passe pas un jour sans que j’écrive ne serait-ce qu’un mot.  

Mya Brout