vote le pen, une opposition entre villes et campagnes qui ne va pas de soi

Deux grilles d’analyse s’opposent pour expliquer la montée du vote Le Pen depuis des années : d’un côté un clivage entre villes et campagne, de l’autre une opposition entre riches et pauvres. Et si ces deux hypothèses, loin de s’opposer, se révélaient complémentaires ?

On entend ici ou là que le clivage entre le vote Le Pen et le vote Macron s’expliquerait par la division de la France entre périphéries et métropoles. Une interprétation trop simpliste pour le think tank Terra Nova, qui a publié en octobre 2017 une étude remettant ce postulat en cause. Selon ces chercheurs, l’analyse géographique ne saurait faire l’économie d’une analyse socio-économique, et inversement.

En mettant côte à côte votes FN et EM au second tour dans une sélection de villes du Grand Est, nous avons dégagé deux tendances. Si les résultats sont très dispersés pour les communes de moins de 100 habitants, l’écart entre les deux candidats s’accentue avec la taille des villes.

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Hervé Le Bras, démographe et directeur d’études à l’EHESS confirme cette tendance. «Dans une région donnée, plus le nombre d’habitants est important dans la commune, plus le vote FN est faible. Enfin dans les grandes villes, et même à Paris, il existe une nette différence entre les quartiers bourgeois et populaires».

Au delà des débats scientifiques, le Vice-Président en charge de la solidarité territoriale de la région Grand-Est Franck Leroy affirme être confronté de manière concrète à un sentiment d’abandon. «Mettez-vous à la place des habitants des territoires ruraux. Depuis des années, ils voient les métropoles grandir, capter l’attention des médias. Ils voient les universités et les grandes entreprises se développer. Eux n’ont plus de commerces ouverts, ils n’ont pas de réseau de téléphone portable, ils n’ont pas de réseau internet»

On peut l’observer par exemple dans le domaine de la santé. «Oui, on a des zones dites de déserts médicaux dans le Grand-Est» admet Véronique Guillotin, Vice-Présidente en charge de la santé du Grand-Est. On observe qu’il y a plus de médecins pour 1000 habitants dans les grands pôles urbains (région Alsace ou axe Nancy-Metz) que dans les zones périphériques telles que la Meuse ou l’Aube. «Au sein même des départements, c’est très hétérogène» admet celle qui fut elle-même médecin généraliste. «En Meurthe-et-Moselle la métropole nancéienne est mieux dotée que des zones comme Joeuf par exemple. […] La Meuse fait effectivement partie des départements plus en difficulté par rapport à la moyenne de tous les autres.»

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Le gouvernement d’Édouard Philippe a récemment annoncé un plan de lutte contre les déserts médicaux en promettant d’investir 400 millions d’euros pour les maisons de santé. Pour Véronique Guillotin, ces dernières s’avèrent nécessaires, mais ne constituent pas une solution pérenne pour autant. «Ce n’est pas ça qui va multiplier les médecins mais c’est plus adapté au type de vie que veulent les jeunes professionnels de la santé. On ne peut pas construire quatre murs et attendre que des gens viennent s’y installer.»

Les lieux de vote FN sont ceux qui captent le moins les ressources

Si la problématique de l’accessibilité aux soins est devenu au cours de ces derniers mois un débat public majeur, il existe d’autres services dont la répartition souffre encore de disparités. Dans une région connue pour être assez fortement touchée par le chômage, la présence ou non d’une agence pôle emploi à proximité peut aussi représenter un facteur d’abandon. On observe avec ce paramètre, ainsi qu’avec tous les autres, une répartition toujours quasi identique entre les départements. Le pôle alsacien et l’axe Nancy-Metz restent toujours dans une condition plus confortable que le reste de la région Grand-Est que l’on peut considérer comme plus rurale.

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Rien de plus normal pour Hervé Le Bras qui explique que le dynamisme est toujours venu des villes dites de «commandement» qui centralisent les universités, les sièges sociaux, les responsabilités. «De ce point de vue, Strasbourg est très bien située. Nancy et Metz le sont moins : pas ou plus de responsabilités régionales, universités moins connues, plus récentes».

Pour Frank Leroy il ne faut pas toujours voir dans ces disparités des inégalités de traitement, mais tout simplement des répartitions proportionnelles: «Lorsque vous avez d’un coté 300 000 voyageurs quotidiens et 50 000 de l’autre et bien vous êtes obligés de mettre les moyens là où il y a le plus d’usagers à satisfaire. Ce qui ne veux pas dire que l’on oublie les autres territoires.» 

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Inutile pour lui d’ouvrir des gares dans des zones où très peu d’habitants utiliseront les services, qui coûteraient alors trop cher par rapport à leur efficacité. «C’est vrai qu’il y a des territoires où les trains ne vont pas. Tout simplement parce que les trains ou les bus ne peuvent aller dans tous les villages, ne serait-ce que parce que dans certains secteurs les bus seraient vides.»

En ce qui concerne par exemple l’accès au transport, le Vice-Président pense que «l’avenir de la mobilité dans le monde rural passe très certainement par le covoiturage et l’autopartage». 

Dans certains domaines les citoyens seront donc peut être encouragés à se débrouiller. Et pour cause : aménager le territoire demande de l’argent. Or les dotations ne cessent de baisser : «L’État demande de plus en plus aux collectivités et leur donne en même temps de moins en moins de moyens pour le faire» affirme Frank Leroy, qui précise que cela date d’avant l’élection d’Emmanuel Macron.

«Les pouvoirs publics, particulièrement le pouvoir parisien n’ont pas une véritable conscience des disparités locales et régionales.» selon Hervé Le Bras. Pour lui l’État gère le territoire comme une zone homogène et uniforme alors qu’ il faudrait «une véritable décentralisation, non des charges, mais des décisions et donc du pouvoir réglementaire comme dans les Länder ou les États américains.»

Elie Guckert/Jean Vayssières/Cassandre Jallifier/Annabelle Valentin/Estelle Lévêque


Méthodologie

Nous avons choisi de faire la synthèse des analyses géographiques et socio-économiques en les abordant par le biais de l’accessibilité aux services publics. Pour ce faire, nous avons décidé de mesurer, en fonction des départements, plusieurs paramètres : la répartition des gares par habitants, ainsi que des agences pôle emploi et de l’accès aux soins. Nous avons collecté nos données en choisissant pour chaque départements les dix villes les plus peuplées, puis les dix villes les moins peuplées. Ces chiffres permettent d’observer des disparités d’accès aux services publics entre les zones périphériques et les métropoles ; il existe donc bien un clivage géographique. Cependant, il répond moins à une classification socio-économique qu’à une inégalité d’aménagement du territoire.