Pourquoi organiser des réunions en non-mixité raciale ou de genre ?  Cette pratique est-elle raciste et d’où vient-elle ?  L’UNEF est-elle la seule organisation à avoir adopté cette modalité de réunion ? Webullition fait le point avec les personnes concernées. 

« Organisez-vous des réunions où les blancs sont exclus Madame Luce ? ».  À cette question posée par Sonia Mabrouk sur Europe 1, la présidente de l’UNEF Mélanie Luce a répondu par l’affirmative, sans avoir eu la possibilité de s’expliquer en détail. Depuis, la question des réunions en non-mixité au sein du syndicat étudiant et plus généralement au sein d’organisations militantes fait grand bruit. Pour comprendre la polémique , il est nécessaire de comprendre l’origine et l’utilité des réunions en non-mixité pour les militant(e)s qui adoptent cette modalité d’organisation.

Un peu d’histoire

Ludivine Bantigny est historienne et maîtresse de conférence à l’université de Rouen. Spécialisée dans les mouvements sociaux, elle a elle-même participé à des réunions non-mixtes. Elle retrace l’histoire et les origines des cette modalité d’organisation, apparue dès le XIXe siècle.

(Photo d’Hervé Thouroude)

Vendredi dernier, Jean-Michel Blanquer prenait la parole pour alerter sur des «choses qui ressemblent au fascisme», faisant référence à l’organisation de réunions en non-mixité au sein du syndicat UNEF. Pourtant, les membres de l’organisation étudiante assurent poursuivre un but bien éloigné de ce que semble évoquer le ministre de l’éducation.

Ainsi, ces réunions en non-mixité n’auraient pour objectif que de permettre à des personnes victimes de discrimination de pouvoir échanger entre elles plus librement, sans avoir à craindre le jugement ou l’intervention d’une tierce personne qui ne comprendrait pas ce qu’elles subissent. Pas question ici d’encourager le communautarisme ou de prendre des décisions mais plutôt de créer, ponctuellement, un cadre favorable à la libération de la parole des victimes.

Si l’UNEF est aujourd’hui pointée du doigt, elle n’est pourtant pas la seule organisation à user de réunions en non-mixité pour lutter contre les discriminations.

Des militantes convaincues de l’utilité de la non-mixité

Juliette, 25 ans, habite à Luxembourg et travaille dans la finance. Lorsqu’elle n’est pas au boulot,  Juliette est membre d’un collectif, Collage féminicide Luxembourg, qui s’active à lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Les hommes ne sont pas admis dans le collectif. Elle explique le choix de la fondatrice de n’accepter que des femmes au sein du mouvement luxembourgeois.

Ana Gressier est vice-présidente de l’association Osez le féminisme 57. La jeune femme évoque ses participations aux réunions en non-mixité au sein de son collectif et explique pourquoi certaines actions de l’association se font exclusivement entre femmes.

Juliette Michel est étudiante en première année de psychologie à la Fac de lettres de Nancy. Militante au sein du syndicat Solidaires Étudiant-e-s, elle assure que les réunions en non mixité ont permis de régler des soucis internes à l’organisation.

Ces militantes ont trouvé dans les réunions en non-mixité de genre un endroit qui leur permet de pouvoir prendre la parole librement. Dans un pays où les féminicides ont encore provoqué 90 décès en 2020, il semble nécessaire pour ces femmes de s’organiser, de s’écouter et de se soutenir sans avoir à s’expliquer auprès des hommes. Loin des inquiétudes de certains politiques, ces militantes souhaitent seulement échanger et être visible au sein de l’espace public dans un climat bienveillant. Comme l’évoque Ana Gressier, “ces réunions peuvent donner un coup de pouce à celles qui en ont besoin.” Tout cela dans le seul but d’atteindre un jour l’égalité totale entre les hommes et les femmes. 

UNEF ET UNI : Deux organisations étudiantes opposées sur la question

Au sein des universités, tous les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’ondes. Bien que ces réunions interviennent seulement deux fois par an à l’UNEF, certaines organisations étudiantes ne manquent pas de dénoncer ces pratiques. 

Hania Hamidi est présidente de l’UNEF Lorraine et conseillère municipale de Tomblaine (54). La militante a participé à de nombreuses réunions féministes en non-mixité au sein du syndicat étudiant, mais aussi dans d’autres cadres. Elle admet avoir mis du temps à comprendre l’utilité de ce type de réunions mais réaffirme leur importance face à des critiques qui se font de plus en plus virulentes. 

Samuel Briand est responsable de l’UNI en Lorraine. Étudiant en fac de Droit à Nancy, il explique que, bien que l’UNI n’ait pas communiqué officiellement sur la question, la plupart des membres de l’organisation étudiantes sont, par principe, opposés aux réunions en non-mixité. Le jeune homme regrette «l’entre-soi» qui prévaut dans ce genre de réunions et dénonce des pratiques politiques d’un autre temps.

Christophe Castaner, chef de file des députés LREM, évoquait le 18 mars dernier un « clientélisme indigéniste exacerbé ». De son côté, Bruno Retailleau, sénateur LR, parlait, lui, de « provocation à la haine raciale ».

Pourtant, parmi tous les militants interrogés par Webullition, aucun n’avait jamais participé à une réunion «interdite aux blancs» ou à toute autre ethnie. Certains évoquaient plutôt, sans y avoir participé, des discussions réservées aux personnes victimes d’un certain type de discrimination, ici ethnique.

Il peut être légitime, alors, de s’interroger sur le bien fondé de telles accusations, proférées d’une part par le gouvernement, et d’autre part par la droite et l’extrême droite. Il peut être légitime aussi de s’interroger sur la manière dont cette polémique pourrait profiter à un gouvernement qui a vu l’UNEF s’opposer à la plupart des réformes qui touchaient l’université. Il peut être légitime, enfin, de se demander pourquoi les plateaux de télévision ne désemplissent pas d’hommes blancs lorsqu’ils s’agit de juger et critiquer la manière dont les personnes victimes de discrimination se défendent.

Leo MAZZARINI & Yann MOUGEOT