Comment expliquer n’importe quoi, n’importe comment ? C’est un peu ce qu’essaie de faire la pataphysique depuis plus d’un siècle. A l’occasion de l’adaptation d’Ubu Roi d’Alfred Jarry, père de la pataphysique, par la compagnie Nihilo Nihil salle Braun à Metz, Webullition revient pour vous sur cette science pas comme les autres.


La grande gidouille récompense les meilleurs pataphysiciens

Penser le monde autrement

La pataphysique, de l’aveu même de son gourou Alfred Jarry, c’est la science des solutions imaginaires. Ou comment par exemple expliquer Dieu à travers une série d’équations dont l’inconnue, le Tout-Puissant, serait égale à 0. Les pataphysiciens ont également développé une théorie alternative de la gravité, fascinante dans son absurdité. Ainsi tout corps en mouvement ne serait pas attiré par un centre de gravité. A l’inverse, ce phénomène s’expliquerait par une ascension du vide vers une périphérie. Ces savants fous sont même à l’origine de l’invention du plus insolite des alphabets : le braille plat, que ni les aveugles ni les voyants ne peuvent lire puisqu’il est invisible ! D’après Rémi Barbier, metteur en scène de l’adaptation d’Ubu Roi par la compagnie Nihilo Nihil : « La pataphysique s’intéresse à l’accident, c’est l’erreur de la nature qui fait loi. » Un concept qui permet de penser le monde autrement, un contrepied total à la science classique, comme l’est le théâtre de l’absurde de Jarry pour l’art dramatique conventionnel. « On prend les pataphysiciens pour des fous ! », s’exclame Barbier. « Je pense au contraire qu’il faut s’y intéresser », dit-il. « Cela permet aux gens de penser le monde autrement. La vie d’un pataphysicien n’est pas basée sur la norme, mais sur l’exception », conclut-il.

La pataphysique, une façon de détourner nos esprits de la pensée unique, s’apparente pour la plupart à une farce dénuée de toute logique. Une science irrationnelle, et pourtant ! Comme toute science, la pataphysique a ses maîtres, ses adeptes et ses théorèmes.

Gidouilles et phynances

La pataphysique, un état d’esprit, un mode d’existence tellement hors normes qu’il a son propre calendrier. 13 mois (douze de 28 jours et un de 29) marquent la vie du « pata-terrien ». Ainsi, le 26 janvier correspond dans cette logique étonnante au premier jour du mois de Gueules !

Français à la base, le concept a fait des émules partout dans le monde : Argentine, Italie, Tchécoslovaquie, Angleterre, Etats-Unis, Pays-Bas, les annexes internationales pullulent. De grands noms sont sortis diplômés de cet étrange collège : Boris Vian, Erik Satie et Joan Miro , pour ne citer qu’eux.

Un collège de pataphysique est ainsi créé en 1948, dirigé de mains de maîtres par ses provéditeurs et autres satrapes ! Les diplômes décernés sont les gidouilles, titres honorifiques en forme de spirale. Une récompense souvent flatteuse, mais parfois ironique. Ainsi l’ancienne astronaute Claudie Haigneré s’est vue décerner le prix de « gidouille la plus éloignée du système solaire » !

Fermé en 1975, le collège sera réhabilité en 2000 et n’a pas fermé ses portes depuis. Il a su s’adapter à notre époque et c’est tout naturellement que cet établissement pas comme les autres a son site Internet . Sur une page d’accueil minimaliste, au fond vert fluo hideux, on peut lire la présentation du collège, s’inscrire ou régler la phynance annuelle. Il est même possible d’entrer en contact avec le cyberdataire. Merdre alors ! Derrière cette théorie bon enfant se cache désormais un concept marketing bien rodé. Ce serait oublier la monstrueuse cupidité de l’icône du mouvement, l’infâme Père Ubu !

Cette conception unique de l’univers trouvera son illustration la plus drôlement évocatrice à travers le cultissime dessin animé Les Shadoks . Une étrange peuplade qui passe son temps à construire des machines inutiles qui ne fonctionnent pas. Étranges oiseaux eux aussi, les pataphysiciens de toutes époques s’efforcent d’expliquer ce qui ne sert à rien, allant même jusqu’à théoriser leur propre raison d’être. Par un amusant syllogisme, Luc Etienne, feu le régent de contrepet du Collège, parvient à nous livrer la définition la plus compréhensible de ce casse-tête spirituel : « Le vrai pataphysicien ne doit pas se prendre soi-même au sérieux. »