La pénurie de médicament constatée l’hiver dernier en France est à nouveau présente cette année. Les pharmaciens constatent les manques de certains antibiotiques, anticancéreux ou encore antihistaminiques, et tentent de faire face en proposant des équivalents à leurs clients.   

« Il n’y a pas une ordonnance qu’on peut exécuter correctement. Il y a toujours deux lignes qui manquent. Il faut dire à la personne de revenir demain ou après-demain. C’est intenable », soupire Taofik Saïdi, pharmacien à la Rochelle. Si l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) n’a pas encore communiqué les chiffres de 2023, 3 700 ruptures ou risques de ruptures de médicaments ont été signalés l’année dernière. Antibiotiques, anticancéreux, ou encore antihistaminique, la liste des manques se rallonge cette année encore. L’amoxicilline et les corticoïdes, absents les plus remarqués de l’hiver dernier, le sont également cette année. « La période hivernale avec beaucoup de demandes conduit aussi à des ruptures », explique Caroline Gotte, préparatrice pour le groupe La Fayette à Metz. 

Le grand manque de cette année : l’insuline. Le traitement pour le diabète est certifié remède miracle pour perdre du poids sur les réseaux sociaux. Une tendance TikTok qui a introduit sur le marché une nouvelle forme de clientèle. L’Ozempic, un antidiabétique, n’est plus seulement acheté par des personnes suivant un traitement mais aussi par celles faisant un régime. Selon Caroline Gotte, cette tendance creuse encore un peu plus les quantités d’antidiabétiques dans les stocks des pharmacies.

Sur TikTok notamment, nombreux sont les influenceurs à vanter les mérites de l’Ozempic pour perdre du poids.

Face à ces manques, les pharmaciens ne sont pas plus informés que leurs clients. Xavier (qui n’a pas souhaité communiquer son nom), pharmacien à Metz, explique : « Nous quand il y a des ruptures, on a aucune information, on sait juste quand ça revient ». « On a aucune visibilité sur les pénuries à venir », ajoute Caroline Gotte. En plus du manque d’information, Taofik Saïdi se plaint d’un manque de visibilité : « c’est un problème dont on devrait parler plus. Le problème des médicaments c’est pas parce qu’on est pharmacien qu’on est touché directement. C’est monsieur tout le monde qui est touché. »

Une pénurie qui ne date pas d’hier

La pénurie de médicaments en France est difficilement identifiable par les professionnels du secteur. « On n’a pas de visibilité sur pourquoi c’est en rupture. À un moment, c’étaient les excipients qui étaient en rupture, après c’étaient les cartons et emballages, on ne sait jamais pourquoi et combien de temps ça va durer surtout », note Caroline Gotte. La France a « une dépendance quasi complète à l’étranger », observe pour sa part Taofik Saïdi. L’Inde et la Chine notamment produisent les principes actifs des médicaments. La pénurie a été particulièrement visible lors de la crise du Covid avec l’arrêt de nombreuses usines et des exportations vers l’Europe. Mais ce n’est pas le seul cas. En 2017, la Chine avait fait le choix de couper l’électricité dans certaines zones industrielles, afin de lutter contre les émissions polluantes, et avait ainsi stoppé une grande partie de sa production pharmaceutique. Conséquences dans le monde entier : une pénurie généralisée d’amoxicilline. En France, c’est notamment à partir de cette année-là que les professionnels ont observé une hausse des signalements des ruptures de stock (538 médicaments signalés en rupture ou risque de ruptures en 2017 contre 871 en 2018 selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé).

« On a un autre problème, c’est qu’en France les médicaments ne sont pas chers », souligne le Rochelais. Nombreux sont les professionnels et observateurs du marché pharmaceutique qui dénoncent depuis plusieurs années le fait que les « vieux » médicaments soient le plus souvent en pénurie. Comme les brevets ne coûtent plus rien, ce n’est pas rentable pour les entreprises de continuer à les produire. « En France les prix sont négociés par la Sécurité Sociale et sont tellement bas que certains labos vont privilégier d’autres marchés dans d’autres pays », poursuit Xavier.

« Quand on ne trouve pas de solution c’est la désolation, on ne peut rien faire »

Pour lui, les tensions sont de plus en plus présentes. À la fois entre les clients et les pharmaciens : « C’est vrai que ça peut tendre un peu les clients de devoir faire plusieurs pharmacies pour trouver une boîte de médicaments ». Mais aussi entre les pharmaciens et les laboratoires. « J’ai une amie qui travaille chez Biogaran : il y a un pharmacien qui l’appelle régulièrement pour des dépannages et le pharmacien est devenu un peu violent envers eux. » 

Caroline Gotte, préparatrice pour le groupe La Fayette à Metz.

Face à ces ruptures, les pharmaciens essaient de trouver des solutions, souvent en contournant les manques. « On a beaucoup de références qui sont en rupture, l’avantage c’est qu’on a la possibilité de changer de marques pour les génériques notamment », explique Caroline Gotte avant de soupirer : « on essaye de trouver des alternatives mais c’est pas nécessairement évident ». Cette solution demande un temps supplémentaire aux professionnels. « C’est une surcharge qui ne faisait pas partie de notre lot quotidien, qui nous coûte beaucoup de temps », se confie Taofik Saïdi. Le pharmacien raconte également une autre méthode tout autant chronophage : « pour certains traitements bien spécifiques on essaye de passer outre, le grossiste qui nous livre, de faire une demande directe au laboratoire pour qu’on soit livré. Et tout ça ça commence à nous demander énormément de temps par jour. »

Le groupe pharmaceutique Novo Nordisk, leader mondial des traitements contre le diabète va investir 2,1 milliards d’euros en France et ainsi créer plus de 500 emplois. Une première dans les objectifs de réindustrialisation voulus par Emmanuel Macron.

Myrthille Dussert & Madeleine Montoriol