Evoquée depuis 2019, la rénovation du quartier Bellecroix à Metz est prête à démarrer. 12 millions d'euros pour « donner un nouvel essor » au secteur. Problématique classique accolée à la rénovation des quartiers populaires, le spectre de la gentrification plane au-dessus de Bellecroix. Un phénomène qui inquiète les locataires, pas prêts à abandonner leur chez-eux.

Metz Immo est une série de reportages réalisée dans le cadre d’un atelier enquête/data sur les données immobilières du ministère des Finances. Ceci est le troisième épisode.

Si l’on consulte les plaquettes des agences immobilières, le quartier de Bellecroix, établi à deux pas de la Porte des Allemands, à l’Est de Metz, semble être un vrai Eldorado. Jeune, dynamique, avec un grand nombre de commerces et situé en plein milieu d’un véritable poumon vert, le quartier coche toutes les cases. Pour les habitants, leur quartier est bien moins rose. Eugène, 62 ans, en ballade avec son chien en bas de son bâtiment, rue du 18 juin n’en peut plus : « ça fait cinq ans que je demande à changer de bloc et toujours pas de réponse. »

Et pour cause, dès l’entrée, les escaliers donnent le ton : tout est décrépi, les murs sont troués et les couloirs empestent. L’immeuble est si vide que les derniers locataires restants étendent même le linge sur le palier. « Tout part en ruine, y’a rien qui change. Y’en a qui urinent dans les escaliers, les entrées tout ça, c’est de pire en pire. » poursuit Eugène, ulcéré.

Un lifting plus que nécessaire

La peur que son quartier devienne désert, Patricia Arnold, l’appréhende encore plus que les autres. En charge du quartier, elle n’a jamais vécu ailleurs. « Quand j’ai connu Bellecroix, il y avait beaucoup de verdure, peu d’habitations, maintenant, ils ont fait des tours. […] Je souhaite que Bellecroix retrouve son identité », explique l’adjointe au maire.

Metz et l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) ont donc mis 12,1 millions d’euros sur la table pour donner une seconde vie à Bellecroix. L’objectif, désenclaver le quartier en démolissant une barre entière de logements sociaux et d’en réhabiliter une partie (46 logements). Quant au centre commercial, surnommé « la Verrue » par les habitants, il sera détruit et remplacé par des petits immeubles avec commerces au rez-de-chaussée.

« c’est resté à l’abandon, c’est insalubre, quand j’ai visité le centre commercial, j’avais honte de voir ça. » Patricia Arnold

L’adjointe reconnaît aussi à demi-mots vouloir réduire la part de logements sociaux dans le quartier « 95 % de logements sociaux, c’est énorme ! De toute façon, des gens vont être expropriés, ils devront aller ailleurs, donc est-ce qu’ils vont y rester ? » Mais pourront-ils seulement revenir à Bellecroix ? Jean-Luc Labouebe qui y habite depuis deux ans est loin d’en être sûr. « La crainte qu’il y a eue, c’est au niveau des occupants vu que ça va être réhabilité donc il y aura une augmentation des loyers, des charges, etc. La plupart des locataires sont partis et ils ne reviendront pas. », explique-t-il.

La mairie a une réponse mathématique implacable à opposer à ces craintes de gentrification. « Je ne saurais pas vous dire si ça va coûter plus cher, disons que si on avait un F5 et que l’on va dans un F2, le prix sera pratiquement identique », tente Patricia Arnold.

Des locataires forcés à faire une croix sur « leur » quartier

Pour les expropriés, ce déménagement forcé est un peu la douche froide, comme nous le raconte Seher Dogan qui vit avec toute sa famille dans l’immeuble. « Quand on a emménagé il y a deux ans, on ne savait pas que ça allait être démoli ou quoi que ce soit. On était un peu dégoûté. On l’a su une fois que l’on était dedans par nos voisins ». La mairie n’a pas encore trouvé de toit à tous ses locataires qui attendent sans pouvoir réellement se projeter. « On est en attente pour qu’on nous trouve un logement. Ça fait un an et on attend toujours », poursuit la jeune femme.

Quand on demande à Hocine Kabbouch ce qu’il va faire, sa réponse est cinglante. « Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? On attend la réponse et puis c’est tout ». Attaché à son quartier, Hocine ne voit pas d’un bon œil ce déménagement forcé. Dès la fin des travaux, il compte bien se réinstaller ici, quel qu’en soit le prix. « Je reste », conclue-t-il dans un sourire crispé avec un regard qui ne cache rien de sa détermination.

Anna Mazzer-Pirodon et Elias Muhlstein