Depuis un an, la hausse des prix du carburant résulte de l’inflation du prix brut du pétrole. Mais si l’augmentation des prix à la pompe se fait davantage ressentir dans le Grand-Duché, c’est dû à son modèle administré et à ses faibles taxes. Le pays aux 610 000 habitants a néanmoins toujours proposé des tarifs bien plus attractifs que ses voisins. Explications.

Au Luxembourg, les distributeurs de carburants se voient privés du jeu de la concurrence. Et pour cause, c’est l’État qui fixe les prix du litre de carburant. « Ce n’est pas un tarif unique, c’est un prix maximum. Aucune station ne peut appliquer un prix plus élevé », explique Georges Lanners, conseiller chargé des produits pétroliers au sein du ministère de l’énergie du Luxembourg. Une exception européenne puisque les stations des autres États membres ont la main libre, à la seule condition que les gouvernements récupèrent les taxes préalablement définies. 

Le modèle administré luxembourgeois, une exception européenne

Les prix des carburants sont, au Luxembourg, fixés par l’administration. Notons que c’était également le cas de la France et d’autres pays européens, il y a encore quelques décennies. Ce modèle, dit administré, a été mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale, dans un contexte d’économie de pénurie. « Le Luxembourg est le seul pays européen ayant pérennisé cette méthode afin de maintenir toutes ses stations service », explique Yves Crozet, économiste français spécialiste de l’économie des transports. Le Grand-Duché a voulu, selon lui, « éviter ce qui a accompagné en France, la libéralisation, c’est-à-dire la disparition de la plupart des petites stations, laminées par la concurrence des grandes surfaces ». Aujourd’hui, la France compte, en effet, 11 000 stations services, contre 47 500 en 1975.

Selon le Groupement pétrolier luxembourgeois, le secteur pétrolier génère environ 2 milliards d’euros de revenus fiscaux par an au Luxembourg, soit 3% de son PIB. Situé au centre d’un axe majeur de transit, le Grand-Duché applique un prix du diesel très inférieur à ses voisins. Un réel avantage pour le flot de camions allemands, belges, français, ou encore néerlandais qui y passent. « Ils ont élaboré une politique de dumping fiscal sur le prix des carburants pour attirer les camions, et eux, ils récupèrent les taxes », soutient Yves Crozet. Le gouvernement luxembourgeois, à travers son conseiller en charge du secteur pétrolier, s’en défend : « Les camions ne viennent pas au Luxembourg pour acheter, ils passent simplement par là. Les carburants sont moins chers, donc ils en profitent. » Pour le mois de novembre 2021, cette petite escale au Grand-Duché fait bénéficier les usagers de la route d’un écart de plus de 10 centimes sur le litre du diesel. Concernant ce carburant, en France, le tableau des stations affiche en moyenne 1,591€ le litre contre 1,366€* maximum au Luxembourg (*selon les chiffres du ministère de l’économie).

Ce système de taxation faible est critiqué par l’économiste français : « Dès que vous avez une hausse des prix du pétrole, vous la prenez de plein fouet. » À contrario, cela se fait moins ressentir avec le système français : « comme les taxes sont élevées, la hausse des prix du brut ne se ressent pas beaucoup pour les usagers », affirme Yves Crozet.

Une concurrence déloyale ou la protection des consommateurs ?

Avec sa politique de faible taxe, le Luxembourg ne peut nier son avantage sur les ventes. À l’échelle européenne, il est pourtant difficile de réglementer la tendance à la baisse des taxes sur les carburants, à des fins concurrentielles. « Ce n’est pas les Luxembourgeois qu’il faut critiquer, mais les pays européens qui n’ont pas su leur imposer d’arrêter leur concurrence déloyale en faisant du dumping sur le prix du carburant », assène l’économiste Yves Crozet. Le ministère de l’énergie du Grand-Duché nie cette accusation. « Il n’y a pas de dumping fiscal sur le prix des carburants, c’est avant tout pour protéger les consommateurs », répond Georges Lanners, conseiller chargé des produits pétroliers.

Pour Yves Crozet, le modèle luxembourgeois n’est pas viable. L’économiste tend plutôt à valoriser le système des autres pays européens. « Le modèle du prix du carburant élevé est vertueux en ce qu’il insiste à faire des économies de carburant et à acheter des voitures avec des cylindrées de plus faible consommation », argue-t-il. La réponse de Georges Lanners est toute autre. Il voit dans le système du Grand-Duché un « outil de protection du consommateur, et non un outil fiscal. »

Le “tourisme à la pompe”, un  désastre environnemental

Rapportées au nombre d’habitants, les émissions de gaz à effet de serre produites au Luxembourg sont plus de 3 fois supérieures à celles générées en France. En 2020, on compte 4,1 tonnes de rejet de CO2 par habitant en France, contre 13,24 tonnes au Luxembourg. Cela s’explique en grande partie par l’afflux de camions et de frontaliers qui viennent faire leur plein au Luxembourg. Depuis 2015, l’approvisionnement des frontaliers représente en moyenne 77% des ventes de carburants dans le Grand-Duché. C’est un véritable « tourisme à la pompe », avec pas moins de 234 stations service dont plus de 60% installées aux frontières. Mais le conseiller chargé des produits pétroliers au sein du ministère de l’énergie du Luxembourg tente de relativiser : « À partir du moment où le client ne fait pas de détour, il ne produit pas d’émissions de C02 supplémentaires. »

Pour amoindrir les conséquences environnementales d’un tel système, le Luxembourg a décidé de réduire ses ventes de produits pétroliers, sans pour autant déséquilibrer les finances du pays. C’est le dilemme du Grand-Duché, qui se vante d’être un pays « vert » tout en polluant massivement. Depuis le début de l’année 2021, une taxe carbone a augmenté de 5 centimes d’euro par litre sur le prix de l’essence et du diesel. « Il s’agit d’envoyer un message clair sur les ambitions climatiques du Luxembourg », annonçait à ce titre Xavier Bettel, le Premier ministre du Luxembourg, dans son discours annuel sur l’état de la Nation. 

Le Luxembourg reste pour Yves Crozet loin « d’être vertueux sur l’environnement. Il l’est peut être parce qu’ils ont de l’argent et qu’ils ont pu développer des espaces verts ou des transports gratuits. Mais, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt ». « La forêt » ou la concurrence déloyale, le tourisme à la pompe et ses répercussions environnementales… 

Chloé Gaillard & Yann Besson