Dans un contexte climatique qui s’aggrave d’année en année, les vignerons européens de la Moselle se retrouvent confrontés à un environnement imprévisible. Face à ces bouleversements, ils sont obligés de s’adapter, mais aussi de trouver des moyens de coopération au-delà des frontières pour préserver la filière.
Sous le ciel changeant de la vallée de la Moselle, les saisons ne se succèdent plus comme avant. Chaque année, le constat, implacable, se répète et s’amplifie : le changement climatique bouleverse les schémas, et les vignes en sont des témoins de premier plan. Les viticulteurs avancent de façon presque aveugle sous le poids de conditions toujours plus imprévisibles.
Ève Maurice, responsable du domaine Les Béliers d’Ancy-Dornot, en Moselle, se range parmi eux. Sur les coteaux messins, elle veille avec soin sur ses cinq hectares de vignes. Ses plantations profitent d’un cadre privilégié, à la lisière de la forêt du parc naturel régional de Lorraine. Le site offre une immersion totale dans la nature, où la passion du métier flotte dans l’air.
C’est au cœur de ce havre de verdure que la vigneronne a repris le flambeau familial en 2008, affrontant depuis les transformations que subit le monde viticole.
Des phénomènes toujours plus contraignants
Selon l’ancéenne, « il y a cinq-six ans, on ne pensait pas que cela changerait aussi vite. Les grands accidents sont toujours plus forts et imprévisibles. » Et ces épisodes compliqués sont variés.
L’un des pires ennemis des vignes est la pluie, lorsqu’elle se déverse à l’excès. Les fortes intempéries favorisent l’émergence de maladies, cryptogamiques notamment, ou la pourriture des cellules végétales. « Depuis que les vignes sont sensibles à ces maladies, on a des années qui peuvent être très difficiles et ce sont les années pluvieuses », précise Angélica Oury, vigneronne à la tête du domaine Oury-Schreiber, à Marieulles, en Moselle.
Mais l’excès inverse n’épargne pas davantage les ceps, bien au contraire. La chaleur excessive les brûle, littéralement.
La liste des menaces demeure longue : champignons, humidité, insectes… Autant d’adversaires, exacerbés par les facteurs climatiques, nuisibles aux plantations auxquels les producteurs doivent faire face. Ils essayent de préserver une culture que le temps malmène autant qu’il façonne.
L’adaptation comme mot d’ordre
« Aujourd’hui, pour être bon vigneron, il faut complètement s’adapter, estime Angélica Oury. On ne peut pas créer un schéma que l’on va copier chaque année, c’est impossible. »
Pour la propriétaire du domaine de neuf hectares situés au Sud de Metz, certaines actions apparaissent comme des solutions pour anticiper au mieux, à l’image du travail des sols. Face aux orages, avoir des sols enherbés, en juste équilibre avec les vignes, permet d’éviter que la terre ne ravine. « Il y a une gestion du sol à avoir, c’est important. On va tout mettre en œuvre pour éviter en amont les maladies. »
À une centaine de kilomètres au Nord, chez Anna Reimann du domaine Cantzheim, dans la Sarre, en Allemagne, le bilan est similaire : « c’est une chose différente chaque année. »
S’adapter, c’est donc travailler, produire et réfléchir différemment. Au domaine Cep d’Or, à Hëttermillen, au Luxembourg, des vignes ont été plantées au cours des dernières années. Cette décision est le fruit de mûres réflexions. Car la vigne est une plante pérenne, « que l’on plante pour 30-40 ans », précise Lisa Vesque.
Coopérer pour avancer
Pour les aider dans leurs réflexions, certains domaines de la vallée mosellane bénéficient de l’aide de Terroir Moselle, une initiative transfrontalière des acteurs européens de la Moselle en France, au Luxembourg et en Allemagne. Créé en 2015, ce Groupement Européen d’Intérêt Économique (GEIE) a pour but de renforcer la coopération des acteurs de la région. Pour Ségolène Charvet, gérante de Terroir Moselle, « notre rôle dans le projet, c’est de favoriser les échanges. »
L’objectif affiché est donc simple, mais fondamental : soutenir la viticulture dans les trois pays. C’est alors que l’aspect environnemental arrive. Bien que cette préoccupation ne figure pas à l’origine dans les statuts du groupement, elle a su s’imposer d’elle-même. Comme le précise Ségolène Charvet, « on travaille sur les sujets qui intéressent les vignerons. » Dans ce contexte, il apparaissait évident d’orienter certaines actions sur ces problématiques.
Cela peut prendre la forme de conférences, de formations ou encore d’interventions d’experts. « C’était vraiment un besoin et ça répondait à la nécessité de partager, parce que tout le monde n’est pas égal face à l’accès à l’information. »
La collaboration s’impose ainsi comme une voie d’avenir avec un groupement à l’écoute des demandes pour assurer la meilleure coopération possible et essayer de trouver des solutions pour braver ces épisodes climatiques.
2025, une éclaircie dans un ciel chargé
Malgré ce constat, 2025 est une bonne année, avec « un millésime qui fait plaisir à travailler » pour Ève Maurice. Mais comme le rappelle avec justesse la viticultrice, « le positif ne prend pas le dessus sur le négatif pour autant. » Car il faut, pour mesurer la réalité du métier, élargir plus largement la perspective. « Sur cinq ans, il y a trois années avec des petits rendements qui ne couvrent pas les charges », souligne-t-elle.
Face à l’imprévisibilité du changement climatique, nul ne peut deviner de quoi seront faites les années à venir. Mais l’espoir vit. Il s’agira désormais de trouver de nouvelles façons de faire avancer la viticulture pour le bien des acteurs viticoles, de la biodiversité, de la culture… et des consommateurs.