Invité lors de la journée d’étude “Journalisme et Narration” de l’Université de Lorraine, Raphaël Baroni, narratologue suisse spécialisé de l’intrigue, a regretté « le manque de récits narratifs dans les articles journalistiques d’aujourd’hui. »
Face à une salle comble et attentive, Raphaël Baroni affirme d’un ton ferme : « les journaux se vendent mieux quand il y a un feuilleton.” Le narratologue met en avant l’exemple fondamental de l’élection présidentielle. Une élection permet aux médias d’avoir pendant plusieurs mois, des histoires à raconter au quotidien. C’est l’un des rares cas journalistiques où le récit est parfaitement structuré d’un point de vue narratif.
Comme il le souligne, un événement anodin ne scénarisera qu’une information et non une intrigue. Le journaliste se projettera éventuellement dans le temps, mais toujours dans la retenue, sans connaître le dénouement final. Il va vouloir donner l’information importante en priorité. Par exemple : « la BCE évoquera un dénouement la semaine prochaine » on spoile avant de raconter.
« Raphaël Baroni : Les journaux se vendent mieux quand il y a un feuilleton »
À l’inverse, une élection a toujours une issue finale. Elle alterne entre la tension, les revirements de situation et le bouquet final. À la manière d’un scénario hollywoodien, on plonge le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur dans un récit immersif. Il ne connaîtra que le résultat à la fin de ce feuilleton, tout en glissant au gré des minutes, des éléments de suspense. Plus l’histoire sera nébuleuse, plus elle incitera la personne à connaître son dénouement. Quand l’actualité se présente sous cet aspect, elle ressemble à une intrigue littéraire.
Récit informatif versus récit immersif
Il est donc important que l’intrigue ait la même portée que les faits. Beaucoup trop de journalistes ont d’après lui, une tendance à privilégier l’information avant de la raconter. Cela va rentrer alors dans le jeu “stylistique” de l’intrigue et du récit informatif. Pour expliquer son raisonnement, le narratologue de 48 ans a analysé un article du Monde sur les attentats de Paris en novembre 2015. Son titre : “une attaque complexe et inédite sur le sol français.” Il égrène : “la terminologie inédite correspond à l’événementialité et complexe à la typification. Le journaliste va typifier les événements du récit, tandis que le terme complexité fait écho à d’autres événements qui se sont passés ailleurs en France.”
Dans le cœur de l’article, Raphaël Baroni explique qu’une certaine analogie est faite. Les agresseurs sont comparés à plusieurs “kamikazes”, à un “commando-suicide.” Les victimes elles, sont comparées à “des cibles”, “à des gens à terre.” Le journaliste, à travers son récit, fait le distinguo entre les agresseurs et les victimes. Il emploie des termes bien spécifiques pour les différencier.
Une histoire, tragique soit-elle, est aussi le meilleur moyen pour captiver l’attention du lecteur. C’est le cas de l’article des Inrocks que nous présente ensuite Raphaël Baroni. On parle de récit immersif. Le journaliste attend la fin de son article pour donner une réponse à l’intrigue : “un de ses amis Mathieu, s’est caché sous les toits avec son neveu” le lecteur ne pouvait pas auparavant connaître son issue. Il devait attendre les dernières lignes pour l’obtenir. On suscite donc sa curiosité jusqu’au bout et on l’invite à lire l’intégralité du texte. Ces articles sont “peu nombreux” confie-t-il.
De fait, si la narration et le journalisme peuvent affaire alliance, leur couple ne semble pas réellement solide. Au grand dam de Raphaël Baroni.
Thomas Bernier