Emma Becker

Rencontrée à la libraire « La Cour des grands » à Metz, l’écrivaine fait la promotion de son roman « La Maison ». Le 16 octobre, elle revient sur expérience de prostituée dans un bordel de Berlin.

A l’écoute, le langage fluide et décomplexé, elle parle sans crainte ni gêne. Un pull, un jean, des baskets et les cheveux détachés, l’image rompt avec celle d’une tentatrice. La conversation se fait naturellement comme une banale entrevue dans un café. Emma Becker, jeune femme d’une trentaine d’années, est sereine sur sa chaise, confiante. Elle parcourt la salle d’un regard franc. La petite librairie est comble. L’ancienne prostituée tient hommes et femmes suspendus à ses lèvres. Elle parle avec simplicité d’une réalité vécue pendant presque deux ans qu’elle partage aujourd’hui. “Bordel”, “pute”. Les termes sont crus. Mais dénués de vulgarité. Un discours brut et tendre sur une maison close dont elle garde beaucoup de souvenirs.

« Désirée et désirable »

Il est difficile d’imaginer qu’une femme puisse se prostituer par désir. Pourtant, c’est le choix qu’a fait Emma Becker. Parmi ses raisons, “le fantasme d’être désirée et désirable”, une envie de comprendre et d’écrire autrement sur le sujet. Loin d’un “patriarcat subi”, elle s’émancipe des standards de corps féminins véhiculés par les réseaux sociaux. 

Toutes avaient la possibilité de se sentir désirables. J’ai trouvé un apaisement dans cette communauté de femmes” se confie-t-elle. L’expérience lui a permis une “prise de pouvoir sur une sexualité et un corps qui appartenait avant aux hommes et à la société“. La jeune femme précise cependant qu’il y a “des milliers de façons d’être une femme“. Emma Becker n’a pas la prétention de parler au nom de toutes les autres prostituées, mais seulement de son parcours. 

« Une ambiance de travailleuses »

Qu’on le veuille ou non, il y a des femmes qui le veulent, et qui en sont fières”. Les oublier, serait une manière d’ “infantiliser ces femmes“. Se prostituer est aussi “un métier de service“, ou un “échange de bons procédés“. La maison close dans laquelle elle travaillait, n’avaient rien d’une usine. Tout était fait pour qu’elle se sente chez elle  dans “une ambiance de travailleuses”. Elle a ses horaires, ses clients, ses pauses et son casier avec son nom écrit dessus. Un travail sans tabou avec des avantages : “beaucoup de femmes jouissaient”.

Comme partout, il y a des côtés moins sympathiques. Plus on donne de sa personne, plus on se met en danger. Selon Emma Becker, une distance doit être tenue, une armure constituée. “On est obligées d’être atteintes par ce que les hommes amènent avec eux“. C’est alors qu’une comédie se joue : “on se donne en spectacle, c’est du théâtre “. Pour entretenir une vie personnelle, il faut parfois “la défendre farouchement“. Par habitude, “le sexe devient un sport“ et le métier “anesthésie le désir“.

Un regard sur les hommes et sur elle-même

La Maison”, son livre, peut être perçu comme une étude sur le milieu et les hommes. Mais c’est aussi un retour d’expériences. Le bordel offre “une espèce de miroir grossissant, de laboratoire sur les mécaniques du désir“. “Je me comprends mieux et j’ai une meilleure connaissance de mon corps, de mes désirs, et comment je désire.

Emma Becker se sait aussi plus cynique sur les hommes. Par les rencontres et discussions dans son travail, elle découvre “des hommes plus timides que dans la vie réelle”. L’argent les rassure et devient une source de confiance. Ils ne se sentent pas jugés. C’est comme un rapport de forces qui s’inverse, “le pouvoir des hommes s’amenuise.” Les hommes payent “pour une illusion”. Celle d’être considéré et écouté. Aujourd’hui Emma Becker a un regard empathique et tendre sur ces hommes. Elle comprend désormais que “la solitude sensuelle et sexuelle est une prison“.

Forte de son expérience, l’écrivaine se sent plus engagée et féministe. Elle défend la liberté des femmes de contrôler leur corps comme elles l’entendent. Un combat qu’elle aimerait mener “avec les hommes“. Elle exprime son souhait d’en finir avec la distinction entre le désir féminin et masculin. “Les hommes ont besoin de penser que la pénétration est importante et sacrée pour les femmes. Les femmes ne baisent pas qu’avec le cœur et les hommes qu’avec leur bite. Ça se situe entre les deux ». Elle tente de faire ouvrir les yeux sur “le métier le plus vieux du monde” en dénonçant “une dimension tragique en France“. Elle clame “un droit de travailler dans des conditions décentes”.

Audrey MARGERIE