La contre-propagande des États-Unis, annoncée par la chef de la diplomatie Hillary Clinton ce 23 janvier, intervient sans doute un peu tard face à l’activisme presque sans limite des terroristes sur le web.

Images macabres, messages de menaces et de revendications : les islamistes radicaux multiplient les publications sur les sites web, forums et réseaux sociaux, en rapport direct avec leurs actions sur le terrain. A l’origine de ce cyber-activisme terroriste : Al-Qaïda, premier groupe à avoir utilisé les outils numériques à partir des années 1990. L’organisation a créé sa propre agence de communication, As-Sahab qui publie entre autres des films et des messages sonores, à destination d’un public de masse.

Mais la véritable « révolution cyber-activiste » des terroristes est apparue avec les réseaux sociaux. Youtube, Facebook, Twitter, Myspace : les islamistes radicaux sont présents partout, leur activité est régulière et leurs publications souvent traduites en anglais. Une étude de Gabriel Weimann, professeur en communication à l’Université de Haifa, et publiée en janvier 2012 montre ainsi que 90% de l’activité terroriste en ligne aurait lieu sur les réseaux sociaux. Exemple récent et édifiant : les photographiées publiées par les shebab somaliens sur leur compte Twitter @HMSPress le 14 janvier. L’internaute peut y voir un cadavre, censé être le chef du commando français tué deux jours auparavant dans l’opération ratée en Somalie pour libérer l’otage Denis Allex. Et l’une des photographies est accompagnée d’une légende sanglante destinée au président français : « François Hollande, est-ce que ça valait vraiment le coup ? »

Les médias sociaux ont l’avantage d’être un terrain de libre expression. Twitter par exemple ne modère pas son contenu : les réseaux extrémistes peuvent ainsi publier sans risque d’être censurés. Sur leurs pages, ils privilégient des éléments choquants qui marquent les internautes et font très vite le tour du web et donc du monde, grâce à la dimension participative de ces réseaux.

Plusieurs cibles
Pour Nicolas Arpagian, rédacteur en chef de la revue Prospective Stratégique interviewé par le Nouvel Observateur, « cette communication numérique s’inscrit dans une étymologie du terrorisme où le seul objectif est de porter la terreur chez l’adversaire, en l’occurrence les Occidentaux ». Une action vaine si l’on en croit l’analyse plus complète de Claude Moniquet, ancien agent du service de renseignement extérieur de la France. Dans son entretien avec le journal belge Lalibre.be, il souligne le faible impact de ces messages car « peu de gens s’y attardent, ils sont caricaturaux et ne sont pas toujours très compréhensibles ». Lui distingue quatre type de communications entretenues par les terroristes : la diffusion de leurs volontés et de leur modèle politique, les réactions aux évènements en cours, les revendications d’actions particulières -comme un attentat ou une prise d’otage- et les conseils pour « être un bon djihadiste ». Car Internet est surtout le moyen de recruter de nouveaux activistes : les réseaux sociaux représentent une forme d’annuaire dans lequel les communicants islamistes peuvent piocher avec facilité. Et la séduction par Facebook ou Twitter est plus simple : « La ligne narrative très développée, l’usage de photos et le graphisme donnant une image héroïque du djihad font rêver certains jeunes » explique un spécialiste du Geneva Centre for Training and Analysis of Terrorism (GCTAT), dans un très bon article du Point qui pose également la question de la place des réseaux sociaux dans la lutte contre ces groupes terroristes.

Un nouveau profil d’activistes
Sur la toile les extrémistes se convertissent également en « rédacteurs » pour diffuser leurs idées et inciter les internautes à les rejoindre. Anwar al-Awlaqi avait par exemple créé Inspire, magazine consultable en ligne -en arabe et en anglais- et destiné aux dhijadistes. Claude Moniquet ironise : Inspire est « presque un magazine people dans lequel on trouv(e) de l’actualité politique, des recettes du genre ‘fabriquer une bombe dans la cuisine de votre grand-mère’, des articles sur la manière de communiquer, d’utiliser le cryptage sur Internet, la téléphonie… Là, on (est) à un sommet de la communication. »

Marc Trévidic, juge au Pôle antiterroriste du Tribunal de grande instance de Paris, interrogé par le journal suisse le Matin, souligne l’arrivée des femmes dans l’activisme terroriste par le biais d’Internet : « Les femmes peuvent être très efficaces derrière Internet tout en respectant les lois de la non-promiscuité avec les hommes, enseignées par l’islam radical. » Interdites de combat à cause du niqab, elles jouent un rôle de messager sur le web, notamment à travers l’envoi de numéros de code et de courriels cryptés. Les organisations terroristes procèdent ainsi à des « cyber-attaques » singulières, mais l’objectif est surtout de récupérer des données sur leurs ennemis pour le terrain.

Freiner l’action terroriste sur le web est loin d’être gagné. Les islamistes ont su s’adapter dès les débuts d’Internet, et ainsi augmenter leur visibilité et leur influence, sans limite géographique. Cette stratégie transnationale est le véritable obstacle au délogement des groupes. Le seul moyen pour les gouvernements d’y remédier sera de combiner leurs efforts.

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Pour aller plus loin : un documentaire très pertinent sur la communication numérique d’Al-Qaïda, réalisé par Geopolitis.