Ces trois dernières années ont été marquées par des changements brusques dans le quotidien de nombreux français. Crise sanitaire, guerre en Ukraine, hausse des prix : les habitudes des ménages ont été bouleversées. Adapter son budget devient désormais plus que nécessaire. La consommation semble se tourner vers des besoins de première nécessité : nourriture, essence, produits d’hygiènes… Mais quelle place reste-il pour la culture ?

Bouquiniste « Bouquin Shop », dix heures du matin. Située au sous-sol du centre Saint-Jacques depuis 40 ans, la boutique est bien calme ce mardi matin. Alors que les supermarchés aux alentours s’animent, la bouquiniste peine à trouver ses premiers clients. « Vous le voyez bien, c’est vide ». La vendeuse est formelle : la crise est la cause principale de la baisse de fréquentation de son établissement. Et elle n’est pas la seule à se retrouver dans cette situation. Nombreux sont les libraires, disquaires et autres commerçants qui dressent le même constat.

Une hausse des prix douloureuse

Le monde du livre, la photographie et la vente de vinyle subissent tous trois l’impact du coût en hausse des matières premières. Chez Hisler-Even, librairie phare du centre-ville de Metz depuis presque 100 ans, Christine Forestier l’affirme : « On connait une crise du papier, il faut maintenant environ 3 mois pour le tirage d’un beau livre ». Elle ajoute même que les prix des livres en général ont parfois pu prendre 5 voire 6 euros. Cependant, au sein de cette librairie, le panier moyen des clients augmente et se situe aux alentours des 20 euros par client. Même constat pour la librairie La Cour des Grands qui voit au fur et à mesure une augmentation des prix, certes raisonnable mais de plus en plus fréquente. Cela s’expliquerait par des problèmes de réimpression chez certains éditeurs, obligés d’augmenter leurs prix.

La galerie d’art Yellow Korner, pour pallier à cette inflation due à une augmentation du prix de l’aluminium (matière première essentielle à la pratique de la photographie), offre en contrepartie des services gratuits tel que la pose de la photographie ou bien la livraison. Un constat unanime qui se retrouve chez tout commerçant. Cette inflation impacte tout domaine de la culture : cinéma, livres, art, musique. Une fille de 20 ans confie lire le début de ses livres sur internet pour se rendre ensuite en boutique : « Je préfère être sûre que le livre me plaise, pour ne pas que je l’achète pour rien et que mon achat soit rentable. Les livres deviennent tellement chers. »

Une baisse de fréquentation

Une hausse des prix qui impacte directement la fréquentation de ces établissements. Tandis que les grandes enseignes telles que la Fnac ne semblent pas remarquer de baisse, les petits commerçants tels que Hisler-Even ou encore Bouquin Shop ressentent un véritable changement depuis la crise. Outre la prédominance des sites internet comme Amazon et des ventes en click and collect, la diminution de la fréquentation des boutiques pourrait par ailleurs s’expliquer par la hausse du coût de l’essence ou bien même des parkings de la ville. Les gens ont moins d’intérêt à se rendre en ville et ont davantage pris pour habitude de rester chez eux, notamment depuis les confinements et le télétravail imposé. « Il devient de plus en plus difficile de faire déplacer les gens pour des dédicaces par exemple. » La commerçante Christine Forestier constate que la tranche d’âge des trentenaires commande davantage sur internet et se rend de moins en moins en librairie. Un manque de curiosité se fait aussi ressentir : les clients se rendent dans la boutique en vue d’effectuer un achat précis et ne viennent plus consulter les établissement par simple curiosité, « histoire de flâner et de demander des conseils. » Un véritable attachement à la relation client se fait ressentir dans leurs paroles, avec une envie de transmettre leurs connaissances et leur savoir-faire aux consommateurs. Le contact humain reste au cœur du métier et ne pourra jamais être dématérialisé.

Disquaire Discover, Metz

Une crainte face à un avenir incertain

Alors quel avenir pour la consommation culturelle ? Les librairies, disquaires et autres marchands de culture sont-ils voués à disparaître ? D’après le vendeur du magasin Discover, aucune crainte à avoir. La boutique est implantée depuis plus de 30 ans dans la ville et ne compte pas fermer ses portes de si tôt. La passion pour son métier joue un rôle essentiel dans le maintien des fréquentations de l’établissement, les clients recherchant avant tout des conseils avisés, un savoir-faire et une sincérité dans les échanges. D’après lui, un bon vendeur est un vendeur sincère qui ne cherche pas uniquement à vendre et à faire augmenter son chiffre d’affaires. Même constat du côté de Yellow Korner, même si d’après la vendeuse “on sent un ras le bol général” lorsqu’il s’agit de la question de la hausse des prix. Pour la bouquiniste de chez Bouquin Shop, puisque la situation est compliquée pour tout le monde, il n’y a aucune crainte à avoir, il suffit d’être patient et d’attendre un retour à la normale. Toutefois, pour Christine Forestier, des craintes existent bel et bien : incapacité de s’adapter au nouveaux modes de consommation, mais aussi des difficultés à faire face au monopole d’internet sur l’achat des livres. Ce dernier point est valable pour les offres de musique en ligne qui viennent créer une concurrence directe aux disquaires. Mais chacun se rassure car les clients gardent une profonde attache envers l’objet matériel que représente un livre ou un disque. Ce sentiment d’attachement à l’objet physique semble être la clé du maintien des ventes dans de nombreuses boutiques. Les vendeurs gardent espoir et attendent patiemment un retour à la normale en sortie de crise.

Louane Frison et Aurélie Cordonnier