On ne le voit jamais arriver, mais sa force de frappe est redoutable. Le burnout, ou syndrome d’épuisement professionnel, menacerait plus de 3 millions de personnes selon une étude du cabinet d’évaluation et de prévention des risques professionnels Technologia publiée fin janvier. Louise* et Sophie, quinquagénaires exerçant dans le milieu médical  depuis plus de 20 ans racontent leur douloureuse expérience.

Des relations conflictuelles au sein du personnel, des visions différentes sur certaines méthodes de travail et une éviction de sept infirmières sans motif. C’en était trop pour Louise*. «Le mal-être a commencé en 2008. Suite à un désaccord avec des membres de mon équipe. Le climat s’est dégradé et est devenu exécrable. On n’avait pas la même approche du boulot. J’étais peut-être trop pointue dans mon travail, trop exigeante. Beaucoup de choses m’horrifiaient… Certaines collègues étaient négligentes.  Et puis quand vous voyez du racisme à l’égard de certains patients.. moi je ne pouvais pas quoi.. Il y avait des choses qui ne pouvaient pas passer. Aussi, certaines personnes bénéficiaient d’un traitement de faveur. Il y avait trop de passe-droits, trop de copinage. Il fallait s’occuper de certains patients en priorité, parce qu’ils étaient connus. Je n’ai jamais cautionné ce genre de choses donc je n’étais pas la copine de tout le monde… »

 

« L’ambiance s’est fortement détériorée l’équipe s’est coupée en deux. Ensuite, y’a eu cette décision de la direction. Du jour au lendemain, sans nous demander note avis et sans raison, sept d’entre nous avons a été contraintes de changer de service. Contre silence, on a pu conserver nos primes et on a même choisi là ou on voulait être affectées. Mais moi j’adorais mon service, j’adorais mes patients. On a vécu ça comme une injustice. C’était un tournant.  Après ça, c’est une longue remise en question. On se dit que le problème vient de nous. On se demande pourquoi on a été évincés comme ça, sans raison. Je n’avais plus envie d’aller au travail, j’avais constamment une boule au ventre avant de m’y rendre, une certaine appréhension. Là on se dévalorise. Je me disais que je n’étais bonne à rien. J’avais perdu toute confiance en moi. J’ai vu que j’avais du mal à tourner la page, j’ai compris que ça n’allait plus. »

« En plus du mal-être psychique, j’ai eu des soucis physiques, un ulcère à l’estomac et des problèmes de dos. J’ai fait une dépression nerveuse qui a duré neuf mois. Même si j’étais dans un autre service, j’avais l’impression d’être complètement dépassée. Je n’étais plus à 100%. J’ai essayé de revenir plusieurs fois, mais ça ne s’arrangeait pas. On avait demandé une enquête, qui a été menée par Technologia pendant près d’un an et demi. Résultat, nous n’avons eu qu’une lettre de la direction, nous disant qu’ils reconnaissaient ne pas  avoir fait les bons choix en nous évinçant du service. Psychologiquement, vous êtes brisés. Tant que j’étais à l’hôpital, je ne pouvais pas me reconstruire. Et puis, en maladie, je suis tombée sur une annonce. Il y avoir un poste à pourvoir dans un laboratoire d’analyse. J’avais perdu 30 kg, j’étais sous anti dépresseurs. Je n’y croyais pas trop. Heureusement qu’on m’a poussé. Ma période d’essai a finalement été concluante. D’ailleurs je ne sais pas si j’aurais pu reprendre mon boulot…»

Pas encore reconnu comme maladie professionnelle

Aujourd’hui, Louise a retrouvé le plaisir de se rendre au travail sans que sa conscience ne porte le fardeau du stress et de l’anxiété. Tout le monde n’a malheureusement pas la chance de pouvoir changer de travail, et pour Sophie Siegrist, médecin généraliste, c’est plus compliqué: je suis dans une entreprise libérale, si je ne travaille pas, je ne mange pas. Nous n’avons pas de congés maladies » précise la quinquagénaire. Elle avoue pleurer souvent ces derniers temps, et tente de gérer sa surcharge de travail en diversifiant ses activités professionnelles (maître de conférence à la faculté, présidente de la permanence des soins…) et personnelles (couture, broderie, activités manuelles):  » sur le long terme, je pense que ces épisodes de surcharge vont m’obliger à ralentir mon activité ». Un constat que Sophie vit mal, presque comme un échec. Pourtant, cette femme d’une nature joviale préfère voir le bon côté des choses: « il me reste mes étudiants et le plaisir de transmettre mon savoir, ainsi que la générosité de mes patients, qui reste le meilleur des médicaments! ».

De son statut de médecin, Sophie pense que « le burn-out  donne une autre image de la dépression, car il ne signifie pas que l’on  n’ a pas été à la hauteur, mais que la charge de travail est excessive ». Ainsi, les patients ont de moins en moins de complexes ou de sentiment de culpabilité à parler de leur mal-être:  » Il y a ces cinq dernières années, une augmentation du nombre de patients atteint du syndrome d’épuisement professionnel « , précise Sophie. « Ces pathologies qui émergent sont peut-être la preuve qu’il est temps de réorganiser les méthodes productivistes du travail, et prendre en compte les limites de la vie et de l’organisme humain » conclut la médecin. Un appel pour la signature d’une pétition a  été lancé  début janvier par Technologia. Ils souhaitent que le syndrome d’épuisement professionnel soit reconnu dans le tableau des maladies professionnelles.Une initiative qui n’est pas incongrue quand on sait que  7 à 10 % des salariés français seraient victimes du burn-out au travail.

*le prénom a été changé

[toggle title= » Comprendre le burn-out »]

Traduit pour la première fois en 1974 par le psychiatre Herbert Freundenberger qui constatait la perte de motivation d’une personne pour son travail, le burn-out (littéralement »brûlure intérieure ») est un mal qui vous consume. En langage médical on parle plutôt d’épuisement professionnel. C’est la phase ultime et catastrophique du stress. Ce phénomène ne se produit pas à l’improviste, il est précédé d’une période de stress prolongée et résulte d’un épuisement à la fois physique et psychologique.

Détecté le plus souvent chez des professionnels émotionnellement très exposés, tels que les infirmières, les pompiers ou les policiers, le burn out touche aujourd’hui potentiellement l’ensemble de la population, notamment avec l’évolution des méthodes de travail.

Le burn-out peut être regardé comme une pathologie de civilisation, c’est-à-dire un trouble miroir qui reflète certains aspects sombres de l’organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l’urgence, la concurrence exacerbée ou encore la généralisation des méthodes d’évaluation.

Aude Selly, recrutée pour assurer le suivi RH de plusieurs magasins d’envergure internationale et récemment auteure du livre « Quand le travail vous tue » a été victime du burn-out.Elle fait part de son expérience dans une interview vidéo qui permet de mieux comprendre le phénomène.


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