Blida: camp de l’infortune

Des tensions liées au manque de provisions à la bérézina darwinienne qui règne entre les occupants, la scolarisation des demandeurs d’asile apparaît comme le seul léger vecteur d’espoir. Immersion en plein cœur de Blida, le camp de l’infortune.

Il est 14h. Claude Thirion, coordinateur du Soleil de Blida, patiente face au camp de réfugiés situé avenue de Blida, dans un ancien parking de bus désaffecté. Au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’entrée, une odeur nauséabonde se fait drôlement ressentir. Un tour de passe-passe, un registre à signer et nous voici à l’intérieur. Après une brève visite des lieux, une première interpellation saute aux yeux : le terrain est particulièrement « boueux ».

A voir les multiples allées et venues des occupants du camp, et les enfants qui s’amusent joyeusement dessus, cela ne semble émouvoir personne. Ce n’est que quelques minutes après que nous apprenons qu’il ne s’agit pas de boue mais bien de « bouse ». Les uniques sanitaires du camp, étant situés à proximité des tentes, les inondations dues aux récentes intempéries dans la région ont déplacé les excréments dans leur direction. Les tentes de fortune reposant à même le sol, les matelas et les draps des 550 demandeurs d’asile ont pris l’eau.

IMG_20170914_175004
Les gazinières à disposition de tout le camp sont particulièrement encrassées ©Libre

La situation est tout aussi alarmante côté cuisine. En plus de ne marcher qu’une fois sur deux, les trois gazinières mises à disposition par la préfecture, ne respectent aucune norme d’hygiène. Un risque sanitaire certain dans un lieu où résident notamment de jeunes enfants. L’insalubrité semble avoir atteint un point de non-retour.

La loi du plus fort

IMG_20170914_174127
Par manque de provisions, c’est bien souvent la loi du plus fort qui l’emporte ©Libre

Les bénévoles du soleil de Blida en sont bien conscients et les familles ne cessent de leur rappeler. Claude est assailli de toutes parts. Un nouveau matelas par ci, des palettes par là, il faut faire des choix. Il demande donc discrètement à une famille albanaise de se rendre à l’extérieur du camp. Une camionnette de l’association chargée de palettes de bois vient d’arriver.

« On ne peut pas se permettre de faire les réapprovisionnements en face du camp. Les gens n’attendent pas qu’on leur donne. Ils se ruent sur la camionnette, ils se poussent et ça devient très vite la loi du plus fort », explique Claude.

Il définit donc lui-même quelles sont les familles qui en ont le plus besoin et s’autorise parfois quelques passe-droits. Une partialité qui n’est pas du goût de tout le monde. Un quinquagénaire visiblement contrarié de ne pas avoir eu ce qu’il souhaitait, fusille du regard le coordinateur en le réprimandant dans une langue étrangère. Un jeune adolescent qui passe par là vient traduire la discussion. Claude est catégorique : « Je lui avais dit de venir à 9h pile. A 9h je suis venu, je l’ai attendu, il n’est pas venu. Il ne veut pas non plus que je lui serve tout dans les mains ? ».

Propos recueillis par Léo Schaller et traduits par Romain Ethuin

Une zone de non-droit

Si la situation est d’ores et déjà dramatique, on se rapproche parfois plus de la jungle que de la civilisation. Afin d’éviter les tensions ethniques et religieuses, le camp est organisé de façon à ce que chaque « quartier » soit dédié à une ethnie. On retrouve donc le quartier des albanais célibataires, celui des serbes, des africains, etc. Même si Claude nous affirme que l’expulsion de certains éléments violents a apaisé les tensions, elles n’ont pas disparu.

Le coordinateur se remémore une agression très violente en pleine nuit. Il avait alors appelé la police qui n’a même pas daigné se rendre sur place. L’Etat ayant chargé la coordination du camp à Adoma, société spécialisée dans l’hébergement solidaire, cette dernière sous-traite la sécurité à la société Actor-Sécurité. Ce sont donc les salariés sur place qui sont censés assurer le rôle de la police à l’intérieur du camp. Une tâche ridiculement impossible à effectuer face à l’ampleur du phénomène. Entre vols et agressions liés à la très grande promiscuité du camp… Ironiquement, le bidonville de Blida ressemble à un no man’s land des droits de l’Homme en plein cœur du pays qui en est la tête pensante.

L’école, premier facteur d’intégration

Malgré les conditions de vie misérables et le contexte social hors-norme, la rentrée des classes a bien eu lieu. En vertu de l’article 2 du protocole n°1 de la convention européenne des droits de l’Homme, ratifiée par la France, les enfants du camp sont scolarisés dans les environs durant leur séjour.  Les bénévoles sur place et la section messine de la Ligue des Droits de l’Homme assurent un suivi auprès des familles. On leur fournit le nécessaire pour la bonne poursuite de leur scolarité. Une émancipation potentiellement libératrice pour des enfants qui ont depuis longtemps perdu le luxe d’en être un. La scolarisation permet aussi de briser la barrière de la langue pour de nombreuses familles qui ne parlent toujours pas un mot de français. Un jeune albanais de 16 ans ayant fui les menaces qui pesaient chez lui déplore la vie au camp :

« C’est sale, les salles de bain sont sales… Il pleut tout le temps, c’est vraiment horrible ».

Inscrit dans un établissement messin le 27 septembre, il y apprend le français dont il n’a aucune notion. Car aujourd’hui, il regrette amèrement un défaut de communication avec les locaux : « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un avec qui parler ici… Je ne connais pas la France ». Au vu de la pérennisation du problème, il semblerait que la France, elle, ne souhaite pas plus le connaître.

Romain Ethuin