Lors de la matinée thématique « L’expression de notre liberté », Benoît le Corre, journaliste à Rue89, a rappelé l’une des nouvelles menaces contre les médias : la cyberattaque. Un sujet qu’il connaît bien puisqu’il a été l’une des victimes d’Ulcan, un célèbre hacktiviste. 

TV5 Monde piraté. Ce 8 avril, les chaînes de télévision et les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) du groupe ont été la cible d’attaques informatiques revendiquées par le groupe islamiste CyberCaliphate. Un événement ? Plus vraiment. Ces derniers mois, les cyberattaques envers les médias se sont multipliées.  En août 2014, après la rédaction d’un article sur Ulcan, le journaliste de Rue89 Benoît le Corre a été personnellement touché par la vengeance du hacker « sioniste » dont le but est de faire tomber les sites « pro-palestiniens ». Un harcèlement qui a viré au drame pour lui et pour sa famille. Nous sommes revenus avec lui sur l’importance d’une protection contre ces attaques de plus en plus présentes.

On s’inquiète souvent pour la protection des sources, mais pensez-vous que la protection des journalistes devrait être accentuée ?

Ca dépend des sujets. Si on commence à enquêter sur des « hacktivistes », ou des hackers, la protection des journalistes est en effet importante sur le web. Ces personnes là ont accès à des compétences techniques qui leur permettent d’embêter un journaliste s’il a écrit un article qui ne leur plaît pas. C’est ce qui m’est personnellement arrivé. J’ai écrit un papier sur un « hacktiviste » franco-israëlien qui s’appelle Grégory Chilli, alias Ulcan, et l’article lui a déplu. Il a donc utilisé ses compétences sur le web pour me mettre en porte-à-faux et atteindre ma liberté d’expression, ma liberté de travailler en tant que journaliste. Quand on bosse sur le web et sur des sujets comme les hacktivistes ou les hackers, il faut clairement se protéger. C’est important.

Comment essayez-vous de vous protéger vous et vos proches aujourd’hui ?

Vous disiez avoir reçu encore hier un appel de ce Ulcan. Vous ne pouvez pas vous protégez d’avantage ou est-ce un choix ?

Pour moi, c’est un choix. Quand tu écris un papier, tu peux utiliser un avatar. Les hackers utilisent assez souvent un avatar, mis à part Ulcan. La question qui se pose en tant que journaliste, c’est est-ce que j’utilise un avatar ou pas. Quand tu utilises un avatar, tu es moins facilement traçable. Moi je ne l’ai pas fait pour des raisons personnelles parce que je ne voulais pas parler de quelqu’un qui utilise un avatar alors que j’en utilise moi-même un.

Aujourd’hui, c’est devenu un choix de garder mon nom visible et de ne pas changer de numéro de téléphone. Ca fait plusieurs mois que Grégory Chilli m’appelle, même s’il y a eu ces derniers mois une sorte de relâchement de sa part. Je n’ai pas envie maintenant de changer de numéro de téléphone parce que le mal a déjà été fait, donc je ne vois pas l’intérêt. Maintenant, quand je vais avoir d’autres papiers à écrire sur des hackers, je sais très bien que je vais m’y prendre autrement.

Les cyberattaques sont-elles pour vous la menace la plus sérieuse pour les journalistes aujourd’hui ?

Je ne dirais pas que les cyberattaques sont les plus grosses menaces contre les webjournalistes aujourd’hui, parce que finalement ce n’est pas nouveau. Il y a plein de journalistes d’enquête qui ont eu des intimidations à cause de leur travail. Mais je pense que c’est vraiment un problème pour les médias. On a vu cette semaine TV5 Monde se faire pirater leurs réseaux sociaux mais aussi leur chaîne. La diffusion a été arrêtée pendant quelques heures, et c’est une grande première à mon sens. A Rue 89, en septembre et en août, on a aussi été empêchés de publier, d’être diffusés. Et ça c’est nouveau. Moi je travaille sur un site qui est sur Rue 89, mon média est directement sur Internet. Si on me coupe l’accès à Internet, je n’ai plus de média. Et si en plus on me prend les réseaux sociaux, je n’ai plus aucun moyen de communiquer. Et donc, je crois que la cyberattaque est un problème pour les sites Internet et pour les médias sur le web.

Et les médias ne se protègent pas assez ?

Existe t-il un risque de s’autocensurer pour éviter certains sujets qui pourraient amener à des attaques ?

Pendant la conférence, je parlais d’Ulcan, je sais très bien que si jamais quelqu’un filme et diffuse la conférence sur Internet, je vais avoir un appel de lui dans les deux jours. Maintenant je l’assume, j’ose en parler. Mais l’autocensure peut clairement arriver quand on va rentrer sur un sujet et directement penser aux risques et non à l’information. Quand j’ai fait l’article sur Ulcan, je n’ai pas pensé aux risques, car j’étais incapable de pouvoir imaginer ce qui allait se passer, et surtout je ne voulais pas dès le départ m’autocensurer. Mais aujourd’hui cela peut être considéré comme tel.