Le second tour de scrutin confirme les tendances apparues lors du 1er tour. La gauche qui sortait du premier tour largement en tête, a transformé l’essai en obtenant un solide 50%. La droite parlementaire, qui apparaissait fort démunie en réserve de voix, n’a pas pu rattraper son retard, en obtenant seulement 31,54% des voix. Le Front national qui avait créé une certaine surprise en étant capable de se maintenir au second tour, en dépassant le seuil des 10%, avec 14,87%, accroît sa pénétration électorale, en atteignant 18,44%.
Si on compare le rapport de force en Lorraine entre ces trois forces, aux autres régions où il y avait une triangulaire, on constate que la Lorraine est à peu près dans la moyenne nationale : 49% pour les listes de gauche, 33,5% pour l’UMP et ses alliés, 17,5% pour le Front national. La petite différence est que le score UMP est un peu plus bas, et le score Front national un peu plus élevé.
Pour la Lorraine, quatre enseignements principaux sont à retenir.

1° – La gauche s’implante durablement en Lorraine

Dans une terre traditionnellement à droite, la gauche a mis du temps a bien s’implanter, mais aujourd’hui, elle manifeste que sa victoire aux régionales de 2004 n’était pas qu’un accident lié à un contexte national de vote sanction. Le basculement à gauche de Metz, de Thionville ou de Forbach aux municipales de 2008 alertait déjà sur la capacité de la gauche à continuer de gagner sur ces terres lorraines, mais à chaque fois il y avait eu des divisions internes à la droite. Cette fois, la droite faisait l’union dès le premier tour, la gauche régionale avait un bilan à défendre, mais elle a su l’emporter sans difficulté, augmentant même de deux points son score de 2004. Sur Metz, la liste Masseret tutoie les 51%, à Thionville elle atteint 52,47%, et à Forbach elle vire en tête avec 47,7%.  Et la liste de J. P. Masseret a su attirer des lecteurs supplémentaires entre les deux tours. Si on additionne le score obtenu au premier tour des listes PS, Europe écologie et du Front de gauche, ils obtenaient 307 000 voix. Or au second tour, avec 375 000 voix, non seulement le report de voix à gauche a été excellent, mais en plus la liste gagne encore 22% d’électeurs, ce qui laisse entendre qu’elle a su mobiliser des abstentionnistes du 1er tour et sans doute encore des électeurs Modem ou de l’extrême-gauche.

2° – Le Front national retrouve son influence électorale en région

L’autre fait marquant est le retour du Front national en Lorraine comme exutoire électoral de la désespérance politique, sociale et économique. Dans une région durement touchée par la crise économique, où la destruction d’emploi en 2009 a été la plus forte des régions françaises, le Front national redevient le parti capable d’exercer cette fonction tribunitienne qui le fait percevoir comme le seul parti à même de prendre la défense de ceux qui se vivent comme des « petits », des exclus, des sans-grades, des menacés par l’avenir, des oubliés des partis de gouvernement. Il obtient d’excellents scores dans l’est-mosellan, dépassant régulièrement les 20% dans des villes ouvrières, atteignant jusqu’à 32,3% à Freyming-Merlebach. Il retrouve donc, vis-à-vis de la droite parlementaire, sa capacité de nuisance, gelant sur la droite une part non négligeable d’un électorat qui fait du coup défaut à l’UMP pour espérer obtenir la majorité.
Le Front national a lui aussi su bénéficier d’un bon report de voix entre le premier et le second tour, tout en bénéficiant d’une partie des nouveaux électeurs. Son potentiel électoral du premier tour (son score plus celui de la liste anti-minarets) était de 118  000 voix et il en a obtenu 138 500, soit un surcroît de 17% par rapport à son potentiel. Toutefois, si le FN renaît de ses cendres ce soir, il ne retrouve pas sa capacité de mobilisation de 2004. Il a perdu en effet 25 000 électeurs par rapport au second tour de 2004. Le Front national redevient donc la troisième force politique de Lorraine qu’il avait su être, mais sans atteindre le poids électoral qu’il avait obtenu. Certains de ses anciens électeurs sont probablement venus gonfler, désabusés, le flot des abstentionnistes.

3° – La Lorraine rongée par l’abstention

Avec 53% d’abstention en Lorraine et 56,6% en Moselle (département toujours le moins mobilisé)  la région se distingue une fois encore par rapport au niveau national en étant parmi les plus abstentionnistes, comme au premier tour. Si en Lorraine comme en France, la participation a été plus importante au second tour, comme c’est toujours le cas en général,  elle reste cependant en deçà de la moyenne nationale, où il n’y a eu « que » 49% d’abstention. En Lorraine comme dans tout le pays, le fait marquant de ces régionales reste donc la tendance qui se poursuit, de scrutin en scrutin, à la montée de l’abstention. Elle n’avait été que de 39% aux régionales de 2004, et rien en semble devoir l’arrêter, à l’exception de la présidentielle de 2007 qui avait su fortement mobiliser.

4° – L’UMP en dépit d’un certain sursaut, ne remobilise pas les « déçus du sarkozysme »

Parmi les motifs de satisfaction toute relative de la droite lorraine, figure le fait que l’UMP et ses trois alliés ont bénéficié d’un fort apport de voix entre les deux tours (+ 80 000 électeurs) soit 50% d’électeurs en plus. Mais elle partait de tellement bas, et les électeurs de gauche ont été si bien mobilisés et solidaires entre les deux tours, que l’UMP n’a pu tirer le moindre bénéfice de cet apport, si ce n’est de limiter la casse et de ne perdre que 2 sièges au conseil régional par rapport à l’assemblée sortante. Il aurait fallu que le sursaut électoral global soit beaucoup plus fort pour espérer inverser la tendance qui se dessinait au premier tour.
A cet égard on ne peut qu’être dubitatif face à la stratégie de communication adoptée par l’Elysée et Matignon et relayée par les têtes de liste UMP depuis dimanche dernier. Au soir du premier tour, la rhétorique a été de nier l’existence d’un vote sanction, même si la droite était objectivement en très mauvaise posture, souvent devancée par les lites PS, alors même que l’UMP faisait alliance avec le Nouveau centre, Chasse, pêche, nature et tradition, et le MPF de Philippe de Villiers. Les leaders UMP se sont appliqués à minimiser leur échec électoral, arguant de l’existence d’un fort réservoir d’abstentionnistes, et indiquant qu’on ne pouvait interpréter les résultats à cause du fort taux d’abstention, alors même que ce fort taux d’abstention était justement le premier résultat de ce scrutin, LA donnée à interpréter. A interpréter pour partie comme un message des « déçus du sarkozysme » qui signifiaient ainsi leur désaccord avec leur « champion ». C’est d’ailleurs ce que disent les sondages réalisés cette semaine : presque un tiers des abstentionnistes sondés par CSA, disent l’avoir fait pour « exprimer votre insatisfaction vis-à-vis de l’action du Président de la République et du gouvernement ». Et si on compare les chiffres des régionales au 1er tour avec la présidentielle de 2007 au 1er tour, évidemment tout le monde y perd, car le taux de participation fut record, mais tout le monde ne perd pas identiquement : le PS a perdu 88 000 électeurs en Lorraine, le FN en a perdu 95 000 et l’UMP en a perdu 247 000 !
En conséquence, avoir choisi comme message à envoyer à ses électeurs qu’il n’y avait aucune volonté de sanction, n’a pu que désarçonner ceux qui pensaient, à l’UMP, que le premier tour était l’occasion de faire passer un message d’avertissement, pour partie susceptible de rattrapage au second si la majorité savait signifier sa prise en compte du message. Au lieu de cela, le déni a sans doute convaincu des électeurs attachés à l’UMP de ne pas non plus se mobiliser au second tour, afin d’être certains de se faire enfin entendre. A cet égard, le silence du si prolixe et disert Nicolas Sarkozy, dans l’entre-deux-tours, a dû paraître assourdissant pour des électeurs qui lui faisaient moins confiance qu’avant et qui devaient attendre une prise de parole forte, voire des inflexions.

Prudence :
Pour conclure, il convient de rappeler que ce scrutin avait bien des enjeux territoriaux, mais avec le défaut de lisibilité des régions, le manque de notoriété de beaucoup de présidents sortants de conseils régionaux, il a été d’abord le théâtre d’une forte abstention. De plus, la grille de lecture nationale est venue se plaquer dessus, faisant de cette élection intermédiaire un habituel vote sanction pour le gouvernement en place. De cette combinatoire, il est imprudent de vouloir en tirer des conséquences sur les futurs scrutins nationaux. On peut fort bien gagner une élection régionale de façon écrasante, et perdre trois ans plus tard la présidentielle et les législatives qui suivent. Demandez au PS ce qu’il en pense. Aussi, on doit se contenter de constater que le désamour qui marque la relation entre le Président Sarkozy et, désormais, une majorité de Français, tel qu’on pouvait l’observer dans les sondages, se manifeste ce soir dans les urnes. Cela ne veut pas dire que la gauche peut espérer durablement trouver un rapport de force qui lui soit aussi favorable. En Lorraine comme en France, les élections régionales arrivent dans un calendrier électoral et politique qui est très favorable à l’opposition de gauche, cela ne veut pas dire que les positions acquises ce 21 mars 2010 soient figées pour les scrutins à venir.

Par Arnaud Mercier
Politologue pour France Bleu Lorraine
Professeur à l’université Paul Verlaine Metz