Le milieu de la mode a souvent été critiqué (et je l’ai moi-même fait) : monde superficiel, normes physiques écrasantes, pendant luxueux de la société de consommation, etc. Il fait rêver tout en étant réputé pour être impitoyable.

Une récente rencontre m’a cependant beaucoup surprise, agréablement surprise même. J’ai ainsi redécouvert l’aspect artistique de la mode, et comme tout art, la mode est à la fois faite pour incarner le beau et/ou questionner nos sociétés modernes. Yves Saint Laurent a fait porter des smokings aux femmes, Marc Jacobs et Jean Paul Gaultier, des jupes aux hommes, par exemple.

Fin janvier dernier a eu lieu la fashion week parisienne, un rendez-vous incontournable où s’enchaînent les défilés, où les happy few qui sont invités font leurs plus belles moues nonchalantes devant les photographes. C’est également pendant cette période que des débats comme celui de l’extrême maigreur des mannequins ressurgi, ou encore celui de l’utilisation de la fourrure animale. Et, c’est aussi au moment des fashion weeks que certain visages sortent du lot et deviennent plus célèbres que les vêtements qu’ils portent.

Cette année, c’est Alex Wetter qui a fait tourner la tête de la presse présente lors de son passage sur le podium de Jean Paul Gaultier. Très rapidement des vidéos et des photos ont fleuri sur les réseaux sociaux. Qui est cette belle créature ? Un mec très sympa qui a accepté de m’accorder une interview par téléphone. Portrait.

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Jeu de genre

Alex Wetter a fait des études d’arts plastiques, et ce qu’il aime ce sont les performances, surtout autour de la question du genre, mais nous en reparlerons dans quelques lignes. Il fait quelques photos où il se met en scène habillé, maquillé et coiffé en femme. Merci internet, ces photos font un petit tour de toile et tombent dans la timeline d’une agence de mannequin qui s’intéresse au profil d’Alex, et qui lui propose de quitter son sud natal pour venir faire des photos et tenter sa chance dans des castings. Même si le mojo d’Alex c’est « double jeux, double genre », son agence n’est, au début, pas très emballée et lui demande de jouer la carte de la virilité. Il tient bon et impose son talent d’androgyne.

Il m’assure également que le milieu de la mode favorise et encourage l’originalité et les personnalités atypiques (quand on sait toutefois se creuser une place, apparemment) et que c’est pour cette raison qu’il a choisi d’évoluer dans ce métier.Très rapidement Alex Wetter plait aux magazines et aux photographes :  sa carrière est lancée !

Son travail, il le développe autour de la question du genre : féminin-masculin, regard perçant, bouche charnue, silhouette fine et élancée…pourquoi un homme ne pourrait pas avoir une apparence féminine ? Selon lui, ce qui rend le résultat « magique » c’est que lui-même y croit. Quand je lui dis qu’en effet l’illusion est impressionnante, il me remercie gentiment et me répond que son travail va plus loin que l’illusion :

En fait l’illusion c’est tromper et finalement tu sais dans ma démarche j’ai l’impression de ne tromper personne. Les gens se trompent eux-mêmes mais en fait je suis honnête dans la manière avec laquelle j’évolue et le fait de me voir habillé comme ça…ok c’est du spectacle, ok c’est de la performance mais c’est quelque chose qui fait partie de moi. Donc quand tu parles d’illusion moi je parle plutôt d’honnêteté

Il aime jouer avec les codes qui sont imposés aux hommes et aux femmes, les retournes, les tords, les ratatine, et les reconstruit selon ses fantaisies d’artiste.

Moi je n’aime pas dire « masculin », « féminin », je n’aime pas genrer les choses. Le fait de genrer une attitude fait qu’on est dans le flou total : une femme avec du caractère n’est pas forcément masculine. C’est réducteur ! Parce que pourquoi le masculin serait forcément fort et pas le féminin ?

Je crois bien qu’Alex aimerai qu’on le qualifie d’artiste mannequin. Enfin qui a dit que les modèles ne pouvaient pas porter de convictions en plus de beaux vêtements ? Car oui, qui dit artiste dit aussi messages et engagements. Il me dit que s’il porte un combat c’est avant tout car il se sent concerné :

Il reconnait, et salut, les avancées, assez lentes, de nos sociétés à propos de la question du genre. Il serait ravi que son travail interpelle et donne la bougeotte à nos vieilles habitudes de tout genrer et de tout ranger dans des cases. Cependant il ne se sent pas l’âme de porte étendard du mouvement No Gender. Ce qui est avant tout important pour lui c’est d’être l’acteur des changements de nos mœurs. Il regrette que des représentants de la communauté gay ou trans en France soit des personnes très exubérantes, qui en font des tonnes pour dissimuler une grande souffrance en eux. Elles sont très médiatisées certes, mais pas forcément pour les bonnes raisons.

Ok, ils sont originaux, mais pas forcément positifs pour une communauté qui finalement souffre beaucoup. Bon là on voit le côté sympa, le côté paillette que j’ai eu la chance de vivre, mais il ne faut pas oublier que ce sont des sujets délicats car ils tuent. Des gens meurent, se suicident, ou font des dépressions. Ils ne vivent pas comme le ils voudraient. C’est un sujet très délicat.

Et j’ouvre une parenthèse ici pour vous inviter à lire l’article de ma consœur Elodie Potente qui s’est penchée sur la question.

Alex, agent double au pays des femmes

Evidemment je lui demande pourquoi il aime tant les femmes, notre univers, nos vêtements, etc. Nan parce que la question se pose vraiment : menstruation, épilation, contraction, péridurale avec aiguille de 20cm, épisiotomie, vergeture, fesses toujours trop grosses, seins toujours trop petits, salaire toujours plus bas que celui des compères, taxe rose, taxe tampon, … ok je m’emporte, mais avouez mesdames que la question se pose. Et bien sachez que pour Alex, être dans un monde de femmes est un privilège !

Et pour les vêtements ? A l’heure où on va s’arracher les cheveux à trouver un jean boyfriend tout pareil que Kate Moss, lui s’émerveille de trouver dans le dressing féminin beaucoup plus de choix, de folie et d’excentricité que chez vous messieurs.

Il m’a confié que quand il a défilé pour Jean Paul Gaultier fin janvier dernier il portait tout ce dont il avait rêvé pour cet évènement : un corset et des talons. A ce moment j’ai l’impression d’avoir un enfant au téléphone : il est hyper enthousiaste de me raconter que ce défilé était son rêve absolu, qu’il avait attendu des heures devant la maison JPG pour espérer rencontrer son idole, qu’il l’avait finalement croisé à une soirée de gala et qu’il lui avait presque foncé dessus pour attirer son attention. Sa passion et sa persévérance sont assez impressionnantes, surtout maintenant qu’Alex Wetter a franchi la porte du monde des mannequins « qui comptent » dans le milieu.

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Alors ok, très bien, l’univers féminin est pour lui une sorte de pays aux merveilles, mais j’ose quand même lui poser une question sur son opinion à propos de la maigreur des mannequins. J’ai eu une réponse qui m’a agréablement surprise :

Moi je suis d’accord sur le fait qu’il faudrait des protections pour ces jeunes filles qui peuvent être en danger. Souvent le problème c’est qu’on ne te dit pas clairement qu’il faut maigrir mais par contre on te suggère de manière piquante d’éviter de manger. Moi j’aimerai vraiment que les marques et les créateurs reprennent des femmes saines, des beautés comme les mannequins des années 1980-1990. C’était des femmes saines qui étaient sportives, qui avaient des formes, elles n’avaient pas l’air malades. C’est vrai que les filles qui se mettent en danger c’est grave et c’est compliqué parce qu’en plus ils les prennent de plus en plus jeunes, et il faut faire attention, ce sont des jeunes filles fragiles. Mais bon, elles ne sont pas toutes dans ce cas-là, il y en a qui ont beaucoup de chance et qui ont une anatomie qui fait qu’elles sont très minces et elles mangent très bien. Si la loi peut aider à ce que le milieu de la mode arrête de mettre en avant des gens qui se mettent en danger et finalement laissent une image très étrange de la beauté actuelle, pourquoi pas, moi je suis complètement d’accord pour qu’on arrête de proposer la maigreur comme beauté.

Et le meilleur pour la fin :

Du podium à la caméra

Alex Wetter n’est pas seulement un éphèbe des papiers glacés, il se fraye aussi un chemin sur les petits et les grands écrans. Il est en ce moment en tournage pour la saison 2 de la série Canal+, Versailles, dans laquelle il avait déjà fait une apparition pour la saison 1. Il y joue le rôle d’un mignon de l’entourage de Monsieur, le frère du roi. Il s’empresse également de me dire qu’il a participé au téléfilm Rouge Sang avec Sandrine Bonnaire, il y jouait le rôle d’une transsexuelle. Plus impressionnant encore, il fera une apparition dans Planetarium, le prochain film avec Nathalie Portman et Lilly Rose Depp, de quoi nourrir son nouveau rêve de cinéma.

Peut-être l’avez-vous aperçu dans des publicités ? Et notamment celle pour les chips TooGood qui a beaucoup fait parler d’elle au moment de sa diffusion : la première était sur TF1 juste avant le JT, une heure de grande audience donc. Alex y apparait androgyne comme à son habitude et en plein contexte d’adoption du mariage pour tous. Les chips n’ont pas été du gout de tout le monde…Même si aujourd’hui il me raconte cette histoire en riant, les réactions ont été très violentes : insultes, menaces,… Mais ces patates ont fait un tel taulé que c’était finalement un sacré coup de projecteur pour Alex : reprise de l’info par tout le réseau Lagardère, passage sur Europe 1 et Virgin Radio. C’est finalement grâce à cela qu’il a également pu faire les publicités d’adopteunmec.com et Citroën, me confie-t-il.

Encore un talent pour la route ? Alex Wetter a participé à deux clips à voir absolument pour admirer son pouvoir de caméléon…et pour apprécier la musique !