Le vinyle fait un retour en grâce. Après vingt ans de baisse, contre toute attente, les chiffres remontent en flèche. En 2008, les ventes sur Amazon ont augmenté de 745%. En 2012, la vente a atteint un niveau inégalé dans le monde depuis 1997, d’après un rapport de l’IFPI (International Federation of Phonographic Industry). Et en France, on est passé de 115000 disques vendus en 2007 à 329 000 en 2012, d’après le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique).

Qu’en est-il à Metz ? Florian, qui s’est lancé comme disquaire en 2010, et Philippe, installé depuis 1991, racontent leur vision du phénomène.

Florian, disquaire à La Face Cachée

Comment expliquez-vous cette seconde jeunesse du vinyle ?

« Je pense que c’est une nécessité du retour à l’objet. On a été gavé de fichiers numériques, de morceaux en mp3 de très mauvaise qualité. Alors qu’à côté, le vinyle – un format qu’on donnait pour mort mais qui continuait à exister dans certaines musiques – est un bel objet, de bonne qualité. 14 ou 16 euros pour dix chansons. »

 Qui achète des vinyles ?

« Nous avons une offre  généraliste, toutes sortes de personnes viennent au magasin. On voit aussi bien des jeunes de 12 ou 13 ans, qui veulent peut-être faire comme leurs parents, et qui sont plus branchés hip-hop, classique de rock ou musique électronique. Il y aussi ceux qui utilisent le vinyle comme un outil pour la musique électronique : les DJs. Car il faut savoir qu’il y a un gros retour du vinyle dans la musique électro, house et techno pure. Et puis, on voit des trentenaires, ceux qui ont écouté beaucoup de musique dans les années 90, à une époque où le vinyle se cassait la gueule, et qui veulent retrouver les titres de son adolescence en vinyle. Rage Against the machine, par exemple, fait partie de nos meilleures ventes depuis cinq ou six ans. »

Comment êtes-vous arrivé sur ce marché ?

« Médéric a ouvert son premier magasin en 2004. A l’époque, il faisait beaucoup de foires, où il vendait ses 45 tours. Naturellement, un jour, il a eu envie de se poser. Ça a mis un peu de temps avant de vraiment marcher. Mais sa personnalité a fait qu’il s’est attiré la sympathie des collectionneurs. Puis je l’ai rejoint il y a trois ans. On a ouvert un plus grand local, celui-ci, en début d’année. Moi, je suis arrivé surtout pour développer notre rayon des musiques actuelles. »

Comment vous démarquez-vous sur le marché ?

« On propose autant de l’occasion que du neuf, des CD que des DVD ou des vinyles. On a aussi développé la vente par correspondance. Mais l’objectif du magasin est de devenir un véritable lieu culturel. On organise des concerts dans la salle au fond, on a un espace de jeux d’arcades et on laisse nos murs aux artistes locaux pour qu’ils puissent exposer. On est aussi nous-mêmes producteurs de disque, avec nos labels. »

Les trois meilleurs vinyles de l’année ?

J’adore Warble Womb des Dead Meadow, j’adore le dernier album de Paramore et j’aime beaucoup Indigo Meadow des Black Angels. Et pour ceux qui voudraient découvrir un album local, je conseille 14 h 13, édité par mon label.

Comment envisagez-vous le futur ?

« Pour l’instant tout va bien. On espère que ça va durer ! Les grands magasins culturels n’ont pas compris que les habitudes de consommation de la musique ont changé, c’est pour ça qu’ils ont plus de mal. Mais en tant que disquaire, il y a un truc qui m’emmerde : devoir vendre des disques à un prix prohibitif. Ça coûte 26 euros en moyenne pour 16 euros il y a dix ans. Le prix des matières premières a augmenté (c’est du pétrole !) et les marges de distribution aussi. Nous, en bout de chaîne, on a dû réduire nos marges pour rester compétitif. Donc, je pense que l’industrie du disque est aussi en train de se tirer une balle dans le pied. Augmenter les prix sans arrêt c’est la meilleure façon de tuer à nouveau le format. »

Philippe Gilkin, gérant de Disc Over

2013 a été une année faste pour le disque, comment l’expliquez-vous ?

« Aucune idée ! » (rires)

Qui achète les vinyles ?

« Que des jeunes ! Ils n’achètent que des fondamentaux. Johnny Cash, Led Zep’… Pink Floyd, évidemment. C’est ma meilleure vente depuis 23 ans. Il y a un véritable retour vers les fondamentaux. Cinq ou six années auparavant, je ne vendais pas un Dylan, aujourd’hui c’est le retour des classiques. On se penche sur les inventeurs, les fondateurs. »

Comment êtes-vous arrivé sur ce marché ?

« Par passion ! C’est pas logique, pas stratégique… Je suis tombé dans la marmite, ça s’est imposé à moi. Je ne pouvais pas faire autre chose et maintenant je peux vivre de ma passion. J’ai 30 000 disques à la maison, rendez-vous compte ! Aussi fou du disque et du vinyle que moi, il n’y a pas. »

Comment vous démarquez-vous en tant que disquaire ?

« Par la qualité. Je rénove tous mes disques. Je passe une à dix heures sur chaque disque. J’ai un procédé très long pour les nettoyer. Ensuite je vais l’écouter intégralement avant de refaire la pochette. Je suis le seul au monde à faire ça en les commercialisant. Et je rentre 100 disques par jour ! »

Les cinq meilleurs vinyles de l’année ?

« L’actualité m’intéresse peu. On fait du neuf avec du vieux, rien ne sort du lot. Je me suis arrêté à 2005 à peu près. Avant je tendais à vouloir être au courant de tout ce qui se fait. Mais aujourd’hui, j’ai vraiment du mal à trouver des choses innovantes. »

Comment envisagez-vous le futur ?

« Le futur, je le sens plutôt pas mal. Seulement, ce qui me dérange, c’est que les gens ne veulent plus que du vinyle. Que ça soit un CD, une K7, ce qui compte c’est la musique ! Il y a une forme de snobisme qui se développe. Ça a le don de m’agacer. Ce qui est important et on ne le dira jamais assez, c’est de se faire plaisir avec la musique. »