Metz la nuit

Une maraude, c’est de l’assistance à destination des personnes vivant dans la rue. Le collectif ActionFroid-Moselle en organisait une mardi dans les rues de Metz. Je  m’y suis rendu pour voir ce qui se cachait derrière ce mot et faire connaissance avec ceux qui luttent contre le froid et la faim.

Le rendez-vous était donné devant Le Palace, à 18h30. Mauvais point pour moi, il est 18h25 et j’ai déjà les mains glacées, et mes pieds suivent le même chemin. Je vois alors un petit groupe de 5 personnes arriver devant le cinéma. Voilà les maraudeurs. La plupart du temps, le nombre de personnes n’excède pas 4 ou 5, et je comprends qu’on est déjà beaucoup par rapport à d’habitude. Une infirmière est là, « pour voir ». Elle aimerait aussi participer aux maraudes mais de son point de vue de soignante, « en apportant des médicaments de base ou des bandages ». Aude, qui est responsable de l’antenne mosellane d’ActionFroid, lui répond que « des rencontres avec Médecins du Monde vont se faire d’ici peu. »

Gâteaux et chaussettes

On disperse le groupe en deux et je pars avec Claudia et Marie-Anne, elle aussi infirmière, qui est « bardée de brownies et de tarte aux pommes. Encore chauds ! » On fait un détour par la Place d’Armes, où les Restos du Cœur ont garé leur bus rose qui fournit des repas chauds aux sans-abris. Il y a cinq bénévoles dans le bus, pour une dizaine de places assises. Dehors, un homme raconte à un autre : « Souviens-toi, le soir-là, tu m’as cassé une bouteille sur la tête ! » Une réalité qui peut sembler ardue mais « qui prouve que eux aussi ont une vie sociale », sourit  Marie-Anne.

En remontant la rue du Palais, on croise Franck et Samy, deux SDF. Franck passe son premier hiver dehors, il est SDF depuis 5 mois. « C’est important d’avoir des gens comme ça, qui font des tournées », me confie-t-il. « Quand ils me parlent, j’ai l’impression d’être une personne. Pour beaucoup d’autres gens, on est que de la merde. » Claudia lui donne deux paires de chaussettes. « C’est le plus important les chaussettes », m’explique Franck. « J’ai les pieds éraflés de partout, des ampoules. On a jamais assez de paires de chaussettes. » J’essaye d’en savoir plus sur le ressenti de Franck, sur le fait de voir des gens s’intéresser à lui. « C’est souvent les plus pauvres qui nous donnent de l’argent. Au début, ça surprend mais on se fait une raison… », lâche-t-il dans un soupir. Alors que je prends des photos de Franck, avec son autorisation, Samy me lance un regard noir. « On voit mon chien sur tes photos ! Je le sais. Et prends pas Franck en photo, il veut pas ! » En repartant, Claudia me confie que « Samy est belliqueux, je le connais, mais il est pas méchant. »

 

"C'est grâce à des gens comme Claudia que je peux avancer", confie Franck. ©Lucas Hueber
« C’est grâce à des gens comme les maraudeurs que je peux avancer », confie Franck. ©Lucas Hueber

 

Les maraudes d’Action Froid ont deux buts : donner des habits ou de la nourriture aux SDF, mais aussi rester en contact avec eux s’ils demandent des choses plus spécifiques. Romain refuse une orange. « J’en ai assez mangé en prison. C’est pas une légende. Y’a vraiment que ça. Tout le temps. » Il demandera à Claudia une paire de gants. Il lui donne son numéro de téléphone. « Les gens se demandent comment un SDF peut avoir un portable, mais c’est vital pour eux », m’explique Marie-Anne. « Comment est-ce qu’ils feraient pour appeler le 115 ? Il n’y a plus de cabines téléphoniques dans les rues… »

« Le complexe de Dieu »

Il y avait très peu de monde dans la rue le soir-là. « T’es venu le mauvais soir », s’excuse presque Claudia. « Sans doute grâce au bus des Restos du Coeur », avance Marie-Anne. En repartant, Claudia m’explique qu’elle est dans les maraudes depuis un an, environ. « Par contre, tu te frottes pas à cette misère sans y laisser toi-même des bouts de peau. » Pour la bénévole, il y a deux mots qu’il faut garder en tête : « bienveillance et dignité ». Pour soi et pour les autres. Ne jamais se perdre en tentant de sauver les autres. « L’enfer est pavé de bonnes intentions », philosophe-t-elle.

Le plus grand danger ? « Le complexe de Dieu » m’assure Claudia sans ciller. « Y’a un moment, tu veux, t’espères pouvoir sauver tout le monde. Et tu te rends compte que c’est impossible. »