Critique de l’exposition photographique antimafia de Letizia Battaglia et Franco Zecchin.

[toggle title= »En regardant la mafia dans les yeux »]

Il faut regarder ces visages, ces regards. Il faut soutenir ces regards, fermes et sûrs, sans douter, sans regarder de côté. Puis il faut suivre ces regards, ces visages. Ils nous mèneront à la fin du monde. Comment imaginer pareil enjeu dans l’exposition Antimafia de Letizia Battaglia et Franco Zecchin, un des rendez-vous majeurs du festival de Littérature et journalisme.

C’est pourtant le propos de cette exposition : la fin du monde. C’est son enjeu, ce qui est montré ici. Depuis le regard de ces commerçants ordinaires jusqu’à ce corps étendu sur le ventre dans la rue u peu plus loin. Depuis le regard de ces travailleurs dans un camion jusqu’au cadavre étendu près des pneus.

Il faut soutenir le regard de cet enfant qui pointe son pistolet Dieu sait où, sans savoir s’il est vrai ou faux, si c’est un jeu ou non. Il faut encore soutenir ce regard provocant, menaçant, et défier ces yeux cachés derrière un masque monstrueux, comme si la mafia elle-même nous surveillerait. Parce qu’elle est partout. Elle apparaît dans une flaque à travers l’expression résignée d’une femme qui veille le cadavre d’un proche et dans le baiser entre ces hommes dont le cinéma a fait un signe de reconnaissance de la Pieuvre.

La Mafia s’insinue dans tout ce qu’elle touche ; elle l’enveloppe d’une atmosphère de mystère, de fantasme mais aussi de douleur et de souffrance. Soutenir son regard et arpenter les confins où règne la mafia, voilà l’intention de Letizia Battaglia et Franco Zecchin. Garder les mafieux à l’œil, qu’ils le soient par conviction, par dévotion ou par goût, et ne jamais les perdre de vue. Pour que le regard englobe toute sa réalité : depuis son origine dans les yeux et visages des gens, jusque dans ses conséquences ultimes et ces corps sans vie.

Maintenir cette vigilance qui  permettra de dissiper tout le romantisme de cette Mafia tradition sicilienne, de cette Mafia omniprésente dans la vie des gens, des plus modestes aux plus illustres ; inaltérable réalité qu’il faut assumer et avec laquelle il faut vivre

Par conséquent, il faut regarder la Mafia bien en face, sans succomber à la tentation des débats et jugements artistiques, esthétiques qui pourraient dénaturer le propos. Il faut soutenir ce regard sans le confondre avec celui du Parrain, des Affranchis, de Scarface ou des Intouchables.

Ici, l’esthétique finit quand commence le témoignage ; le jeu réel des lignes des regards. Du regard de Letizia et Franco en passant par ceux des victimes, jusqu’à celui d’un monde sans vie… La fin du monde comme seule véritable trace que la Mafia laisse derrière elle et à nos côtés.

Par Francisco Barranquero [/toggle]