La Route, métaphore d’un monde déchu et damné à travers l’épopée d’un père et de son fils.

 

La Route s’achève. Le public entame une marche silencieuse. Quelques instants de solitude avant de reprendre ses esprits et d’être à nouveau confronté à la foule. Adaptation au cinéma du livre de Cormac McCarthy, La Route n’est ni un rêve ni un cauchemar. Ce n’est pas un film d’époque, d’aujourd’hui ou de demain. Les repères spacio-temporels s’évanouissent. Projeté en dehors du temps, le spectateur ne sait pas où il est ni ce qui a bien pu se produire. Tout est gris et sans vie. Un monde de poussière. Des carcasses de voitures, de la fumée et du sang. Un souvenir de buildings, quelques maisons abandonnées, les vestiges d’un pont, la carcasse d’un bateau. Sans doute ce qui reste de l’Amérique. Un univers immensément vide. Le sentiment profond de néant. Au loin, deux ombres, ou plutôt trois. Un père et son fils. Ils se tiennent la main et tirent un caddy. Un sac à dos, quelques jouets, un doudou, un peigne, quelques objets usés. C’est tout ce qu’ils possèdent. Usés, ils avancent vers le sud, un horizon plein d’incertitude. Non pas pour mieux vivre mais pour survivre.

La Route est une formidable histoire d’amour entre un père et son fils. Elle pourrait se passer n’importe où et n’importe quand.  « C’est un ange. Il est mon Dieu. », confie le père à un vieillard dont le fils est parti depuis longtemps. Il ne croit plus en rien. L’enfant est son seul lien avec le réel, sa seule raison de vivre et de continuer à avancer. Dans ce monde, il y a les morts et les survivants, les presque morts qui tentent de survivre. Parmi eux, les gentils et les méchants. Les gentils se font de plus en plus rares. C’est ainsi que le père lui présente les choses. Il lui apprend à se méfier de tout, à se servir d’une arme, à vivre sans lui.

Le père raconte l’histoire. Notre conception des choses dépend de sa vision du monde, de la manière dont sa mémoire retranscrit le passé. Les souvenirs évanescents d’un passé heureux où ils n’étaient que deux. Sa femme et lui. Un monde plein de vie et de couleurs. Bonheur lointain altéré par le souvenir d’une vie à trois misérable. « Mon cœur est mort le jour où il est né. », murmure la femme, épouse et mère, un soir avant de partir pour toujours. Ils ne sont plus que deux. Ils n’ont plus aucun lien avec  le monde extérieur. Les rencontres faites au cours de leur périple sont éphémères. Une histoire d’amour intemporelle au sein d’un univers chaotique. La singularité du film s’effrite toutefois lors de la scène finale facile et doucereuse.

Loin de tomber dans un misérabilisme ambiant, le film est avant tout l’histoire de deux êtres qui s’aiment. Viggo Mortensen est magistral dans son rôle de père. Le spectateur en oublierait presque le message se dessinant entre les lignes du livre et entre les scènes du film. Une sorte de malédiction planant au-dessus des têtes. La fin du monde dont nous seuls sommes responsables. Certains verront dans ce monde ravagé le reflet de la situation actuelle et de celle en devenir. Le gris de la pollution et du goudron, la poussière du carbone, le feu du réchauffement climatique, les vestiges des séismes, la terre craquelée de la sécheresse, les morts et le sang de la guerre… Tout ce qui sera à l’origine du chaos de demain… La Route est un livre brillant. Loin d’en être la pâle copie, son adaptation au  cinéma amène à réfléchir.

 

Nina Robert

 

La Route, Réalisé par John Hillcoat avec Viggo Mortensen, Kodi Smit-McPhee, Charlize Theron etc… actuellement en salle.