Vice-président de la région Grand Est, maire de Metz et président de sa métropole, François Grosdidier est un homme politique à l’ancienne, avide de tout contrôler. Il mène sa barque en s’appuyant sur des alliés devenus amis et assoit son autorité à force de conflits assumés avec ses opposants.

Jambes croisées, mine détendue, François Grosdidier est installé dans le bureau qu’il a fait sien. Depuis son entrée à la mairie, en juillet 2020, l’élu Les Républicains a orné son cabinet de toiles et de maquettes, reflets de sa passion pour les bateaux et la voile. Une œuvre imaginée par sa propre fille vient compléter le tableau. Il s’agit d’une représentation de Gaïa, déesse mère dans la mythologie grecque. Les traits rappellent la carte de vœux du maire de Metz, qui avait suscité la polémique en janvier 2021. Pour cause, Morgane Grosdidier en était l’autrice. L’opposition dénonçait alors un conflit d’intérêt et l’édile faisait valoir « un travail bénévole ». 

L’ancien député et sénateur esquisse un sourire en posant son regard sur La force de la République messine, une toile d’Auguste Migette qui renvoie au XIIIe siècle, lorsque la cité était une ville libre d’Empire. 500 ans avant la prise de la Bastille, Metz fut une république, qui bénéficiait d’une grande autonomie à l’intérieur du Saint-Empire romain germanique. Bâtir une République messine du XXIe siècle était l’ambition affichée par le candidat de droite de 59 ans, au moment des élections municipales de 2020.

Il remporte le scrutin d’une courte tête, avec 10 001 voix contre 9 804 pour son principal opposant lors du second tour. François Grosdidier, qui siégeait déjà au Conseil municipal de Metz en 1989 et qui sortait de 16 années à la tête de la ville voisine de Woippy, était donné largement favori. Toutefois, son avance dans les sondages s’est essoufflée au fil de la campagne, face à l’ascension du candidat investi par Europe Ecologie Les Verts, Xavier Bouvet.

L’ancien adversaire de François Grosdidier figure désormais dans l’opposition et la relation entre les deux hommes est toujours distendue. « Il énonce les choses avec véhémence, que ce qu’il dise soit vrai ou faux. C’est une qualité pour un homme politique mais ce n’est pas forcément une vertu », s’exaspère Xavier Bouvet. Lors des conseils municipaux, le maire de Metz s’en prend régulièrement au groupe Unis, mené par son ancien rival. « L’opposition doit être écoutée, ça ne veut pas dire qu’on doit suivre son avis », défend François Grosdidier.

Le « cowboy de Woippy » fait cavalier seul à Metz

L’élu Les Républicains ne se met pas tous ses adversaires à dos. Son actuelle deuxième adjointe, Béatrice Agamennone, lui faisait également face lors du premier tour des municipales de 2020, avant de se rallier à sa cause lors de l’entre-deux-tours. Ancienne représentante de La République en marche en Moselle, elle avait sollicité l’investiture du parti présidentiel, sans succès, mais s’était tout de même présentée à l’élection. « Je mène mes dossiers et délégations en toute liberté, il n’est pas sur mon dos. Je n’ai aucun souci de collaboration avec François Grosdidier contrairement à ce que tout le monde dit », insiste Béatrice Agamennone.

Il faut dire que l’édile aime contrôler toutes les étapes dans la prise de décision. Lors des conseils municipaux, il installe un rapport de force en chapeautant tous les dossiers. « J’ai dû réorienter des dossiers lancés par mes prédécesseurs, ça demande d’aller à fond. Comme quand on reprend une entreprise en difficulté », tacle François Grosdidier. Le précédent maire de Metz, le socialiste Dominique Gros, lui reproche de dénigrer le travail effectué en amont. « Il est hostile à ma personne. C’est un monsieur qui s’entoure de gens qui sont en accord avec lui. Il n’aime pas être contredit », estime-t-il. La relation entre les deux hommes n’a pas toujours été délétère. Ils travaillaient ensemble à Metz Métropole, lorsque François Grosdidier était maire d’une ville périphérique de 13 000 habitants.

Pendant plus de 16 ans, entre 2001 et 2017, François Grosdidier a marqué de son empreinte sécuritaire la commune de Woippy. En réponse à un taux de chômage record et à un marché de la drogue florissant, l’élu a joué la carte de la répression. Les effectifs de la police municipale ont été multipliés par trois et les agents ont été parmi les premiers à l’échelle nationale à être dotés d’armes à feu. Ces décisions lui ont valu le surnom de « cowboy de Woippy » dans les colonnes des journaux locaux. « La prévention ne suffit pas pour apporter la paix », assure-t-il.

Woippy, bastion historique de la gauche, est restée aux mains de la droite. Avant de céder sa place de maire, François Grosdidier a proposé à son ami Cédric Gouth de s’engager en politique et de siéger à ses côtés au conseil municipal de Woippy. Le néophyte a fini par se présenter aux élections municipales et occupe désormais le fauteuil de maire. Cédric Gouth ne tarie pas d’éloges au sujet de son prédécesseur : « C’est quelqu’un qui a la fibre du pouvoir. Je ne le vois pas comme un homme politique qui a une ligne vraiment à droite. Il est aussi capable de faire du social ».

Un œil vers la statuette de Charles de Gaulle qui repose sur une étagère de son cabinet, François Grosdidier évoque les échéances futures de sa famille politique. À quelques mois de l’élection présidentielle de 2022 et en marge de la primaire des Républicains, il revendique ses « amitiés anciennes » avec Valérie Pécresse, Michel Barnier et Xavier Bertrand. S’il considère les trois candidats comme proches idéologiquement, il distingue la présidente de la région Île-de-France, dont il salue le travail en matière d’écologie. « En revanche, je n’ai aucune amitié pour Ciotti », balaye-t-il. Un rejet du spectre le plus à droite de la droite, qui peut surprendre.

Des relations haut placées

François Grosdidier a commencé sa carrière politique, adolescent, aux côtés du maire d’Amnéville, Jean Kiffer, proche de l’extrême droite. Aujourd’hui néanmoins, il réfute totalement les discours du Rassemblement national et d’Éric Zemmour. Au contraire, le maire de Metz s’attache à la rhétorique républicaine de la concorde, une certaine idée du vivre ensemble, malmenée par les idéaux nationalistes. Pour François Grosdidier, la montée en flèche des discours d’extrême droite traduit un malaise chez une partie des Français. Il l’explique en partie par le mandat d’Emmanuel Macron, dont il fustige « l’arrogance technocratique, qui se traduit par une distance avec la population et les élus locaux ».

L’opiniâtreté du maire de Metz lui a valu d’atteindre la plupart de ses objectifs professionnels. Il est élu député à l’âge de 32 ans, en 1993, avant de devenir sénateur, en 2011. Sa carrière ne l’a toutefois pas mené jusqu’aux portes d’un ministère. Pourtant, l’élu a ses entrées dans les hautes sphères de l’État. Il fait notamment jouer son réseau pour obtenir la visite du Premier ministre Jean Castex, le 14 janvier 2021. « Il a beaucoup de relations et il sollicite davantage Paris que ses prédécesseurs à la mairie », observe Béatrice Agamennone. En 1995, François Grosdidier, soutien de Jacques Chirac, est passé tout près d’accéder à de hautes fonctions d’Etat. « Puis, il y a eu les “Juppettes” (NDLR, 12 femmes ont fait partie du premier gouvernement d’Alain Juppé en 1995, une première à l’époque) alors je n’ai pas été choisi », se souvient-il, sans nourrir de véritable regret. 

Désormais, l’homme politique affirme que ces ambitions nationales sont derrière lui et qu’il n’y pense pas « en se rasant le matin ». Le résultat de l’élection présidentielle jouera forcément un rôle dans la suite de sa carrière et par extension, dans la vie messine.  Il continuera, quoi qu’il en soit à occuper largement le maillage local, en homme politique omniprésent.

Yann Besson & Antoine Poncet