A 20 ans, il a tenté d’abandonner la restauration pour son sac de voyage. Six ans plus tard, bien décidé à prendre le large, Franck raconte son choix de vie.

Chapeau sur la tête et gros sac Queshua aux épaules, Franck attend au café de la place Saint-Louis. Ses mains sont griffées de trois semaines de ramassage de pomme dans une petite ville du sud de Metz. Une aventure démarrée à la suite d’une décision qui le travaille depuis quelques années : partir avec presque rien, quittant son job et son appartement à la recherche d’une nouvelle vie. L’occasion de nouvelles rencontres et, surtout, d’une redécouverte de soi.

« Si tu ne sais pas quoi faire, trouve-toi un job ! »

Son projet de grand voyage s’est fait par étapes. Plus jeune, il éprouve des difficultés pour trouver sa place. Le cadre « inadapté » de l’école et les sommations de ses parents : « Soit tu rentres dans la gendarmerie, soit tu cueilles des patates ». Une manière de lui dire : « Si tu ne sais pas quoi faire, trouve-toi un job ! » Sauf que lui, « l’ordre, l’état », il n’aime pas ça. A 15 ans, il rêve de vivre à son tour Into The Wild : partir et se débrouiller pour apprendre à vivre autrement. Une « alternative » qui lui permettrait de mieux se connaître.

Ni bon, ni mauvais élève, Franck est plutôt effacé:  » J’ai toujours été « neutre ». Je pense ne pas être bête, c’est peut-être le cadre qui ne me convenait pas […] Certains ont besoin d’un autre style d’apprentissage ». Seulement, à 15 ans, il faut trouver sa voie. Et à défaut, quand même en choisir une. Ne sachant pas vraiment quoi faire, il trouve du travail dans la restauration, où il reste quelques années. Jusqu’à 20 ans, le jeune homme pousse dans un environnement plutôt normal entre différents jobs en intérim. Cela finira par le lasser.

Il décide alors de partir avec le minimum pour faire un tour de France. Pour voir. Trouver une nouvelle vie pour lui, « loin de l’Etat et des dépenses », c’est ce qui l’a motivé. L’expérience porte ses fruits: « J’ai réussi, j’ai survécu et ça m’a beaucoup apporté. » De Lyon à Bordeaux, en passant par la forêt de Brocéliande, il rencontre des personnes qui le comprennent.

Mais très vite, il retourne à Orléans pour reprendre une vie « normale »: « J’ai voulu travailler à nouveau dans la restauration. J’errais un peu entre deux petits boulots et je logeais chez des amis. A un moment, j’en ai eu marre d’être « chez des gens ». Alors j’ai trouvé un appartement avec ma copine de l’époque. » Après un an de « vie tranquille » et de stages en centre de formation, le constat est sans appel: « C’est pas en restant dans mon cocon que je pourrai vivre des expériences. » A 26 ans, il décide de rendre son appartement pour reprendre la route. Son quotidien est depuis lors rythmé par les saisons de cueillettes aux quatre coins de la France.

Marginalisation et prise de recul: un subtil équilibre

Le ramassage de pommes, c’était en fait son deuxième job saisonnier. Avant, il avait fait les vignes en Bourgogne. Des petits travaux qui peuvent durer une semaine à un mois et qui lui permettent de financer le quotidien. Une nouveauté pour lui, qui avait l’habitude de vivre de ses emplois en restauration et du chômage. Mais « il sait se débrouiller ». Ce n’est finalement pas si loin des « patates » dont parlaient ses parents qu’il tâtonne pour trouver sa voie. Sa mère, femme de ménage, et son père, tourneur-fraiseur à la retraite, lui « font confiance », sans vraiment aborder le sujet. Car malgré tout, même face à ses amis, le sujet met mal à l’aise.

Se débrouiller l’a d’ailleurs déjà mis dans des situations particulières. Lors d’une escale à Lyon, il avait rencontré un sans-abris qui l’avait un peu aidé. Celui-ci buvait beaucoup. L’alcool reste une dépendance récurrente chez les personnes sans domicile fixe en France, selon un rapport du collectif « Les morts dans la rue » publié en octobre 2019. Une manière de supporter les conditions de vie difficiles, qui marque une certaine mise à la marge. « Au bout de deux-trois jours, je lui ai dit de se barrer. Moi j’ai pas envie de finir comme lui, à errer dans les rues et à picoler, enfin… c’est pas ma vie. » Il préférerait une vie entre les deux. La réinsertion est vite difficile et lassante, bien que le fait d’avoir un « chez soi » lui manque un peu.

C’est toute l’ambiguïté de son rapport à la « société actuelle », qui ne permet pas, selon lui, de bien se connaître:  » Je suis pas un marginal, complètement pas. Si la société pouvait changer un petit peu ce serait bien, mais j’ai pas envie de m’exclure de tout ça, j’ai besoin de contact social. J’ai juste besoin de trouver des personnes qui me correspondent. J’ai pas forcément envie d’avoir tout de suite une maison, une femme, des enfants et une petite voiture. C’est pas ma priorité, je voudrais d’abord savoir m’aimer correctement avant d’aimer quelqu’un d’autre. »

Partir pour mieux se retrouver

Une méthode, certes risquée, mais plus efficace que les stages de formation. La vadrouille lui a permis de tester ses envies, ses affinités, mais aussi ses limites. Surtout dans les situations difficiles: « Se retrouver seul avec soi-même, cela peut permettre de s’ouvrir et de se connaître un peu plus. Je sais que je suis capable de faire certaines choses ». Une liberté qui le contraint matériellement mais qui, selon lui, « permet de savoir ce qui est bon pour [soi] ».

Du reste, il a encore beaucoup de projet en tête. Il voudrait filmer ses périples et les raconter sur Instagram, à l’image de la voyageuse polonaise Dodo Knitter, rencontrée pendant son ramassage de pommes. Il est aussi en plein apprentissage de l’anglais pour préparer de son tour d’Europe. Car il se l’est promis: à ses trente ans, il réalisera son rêve. Pour l’heure, il souhaite avant tout le transmettre.