Depuis le début des opérations militaires au Mali, les journalistes sont partiellement tenus à l’écart. Les informations émanent souvent de l’armée et sont validées par le ministère de la Défense. Bon nombre de journalistes, parmi les plus de 100 accrédités sur le théâtre de guerre malien, se plaignent de se voir interdire l’accès aux zones de conflit, ou alors bien après les combats.

Une stratégie de communication inhabituelle

Comme toujours en cas de guerre, le gouvernement français a donné des consignes de sécurité très strictes aux journalistes :

Mais ces rappels de bon sens se sont traduits dans les faits, les tout premiers jours, par une étonnante politique de communication du black out, interdisant de s’approcher de la ligne de front. Au début de l’intervention au Mali, ils étaient même retenus à plus de 100km des combats. Omar Ouahmane, correspondant au Mali pour France 24 & France culture, déplorait le 17 janvier que sur le théâtre des opérations militaires, les autorités françaises ne donnaient aucune information.

Le journaliste de France 24, Julien Sauvaget, actuellement au Mali.

Ce black out, légitimement dénoncé par la profession, sonne comme un incompréhensible retour en arrière. On se croirait revenu en 1986, lors de l’opération Epervier, au nord du Tchad, à une époque où les armées occidentales, traumatisées par la médiatisation du Vietnam, pensaient les journalistes en ennemis. Or depuis les deux guerres du Golfe, des points d’équilibre ont été trouvés : pools de journalistes ou plus tard journalistes incorporés aux troupes (embedded) ont permis de concilier exigences de sécurité des opérations et devoir d’informer.  D’où le concert de protestations.

La demande de Reporters sans frontière sur ce point, le 16 janvier, a peut-être permis de débloquer a minima la situation. A moins aussi que le changement d’attitude soit le fruit d’une meilleure organisation de l’armée française. On ne peut en effet exclure l’hypothèse que la précipitation des frappes aériennes, en réaction à l’attaque surprise des islamistes, a laissé l’armée sans sa logistique d’officiers de communication prêts à agir.  Il n’en reste pas moins que les jours suivants, dans le nord du Mali, les journalistes se faisaient encore systématiquement refouler au niveau de la zone de démarcation par les soldats maliens, et ce malgré les autorisations d’accès. Illustration de la difficulté de coordination entre une armée française rodée aux techniques de communication  et une armée africaine, peu professionnelle, et qui n’a pas intégré la culture de la coopération avec les journalistes.

Le photo-journaliste Joe Penney postait le 21 janvier sur son compte Twitter une photo de la file des véhicules de journalistes attendant de pouvoir entrer dans Diabaly. Il indiquait le lendemain que l’armée malienne stoppait l’accès à Mopti. Et aujourd’hui, qu’elle barre l’entrée à Sevaré.

Au fur et à mesure de l’avancée des armées maliennes et françaises, il semblerait que la majorité des journalistes soit systématiquement tenue à l’écart. Ils avancent certes, mais toujours avec un temps de retard.

Seuls quelques journalistes “embedded”, notamment de France 2, ont pu suivre les opérations. (lien). Des journalistes protégés, mais responsabilisés pour éviter le pire.

Ce que l’armée veut éviter

Si les journalistes et militaires sont amenés à se regarder parfois en chiens de faïence, c’est que chacun possède sa logique propre et pas toujours facile à concilier. Les médias affirment vouloir prendre la responsabilité de l’envoi de leurs journalistes sur place et savoir apprécier le risque, sans la tutelle pesante des militaires. Si les journalistes se déplacent librement et approchent trop près des ennemis, ils prennent le risque de se faire kidnapper. Et quelle meilleure prise pour un groupe terroriste qu’un journaliste ? Lui dont la capture sera immédiatement et systématiquement médiatisée.
Et convenons que si un journaliste était pris en otage, la responsabilité de sa survie et de sa libération reviendrait à l’Etat français, donc à l’armée, comme l’a montré la prise d’otages d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, journalistes en reportage pour France 3, enlevés le 30 décembre 2009 en Afghanistan, accusés (à tort) d’avoir braver les zones sécurisées et de s’être volontairement mis en danger.

De plus, comme pour toute guerre, pour l’armée et les politiques “bien sûr il faut communiquer, mais bien sûr il faut [aussi] empêcher la communication”, selon Isabelle Veyrat-Masson, directrice du laboratoire Communication et politique du CNRS, sur France Culture. Le risque à juguler étant la divulgation involontaire d’informations cruciales à la bonne marche des missions militaires.

Même si la machine communicationnelle a eu du mal à se lancer, et même si elle a connu quelques couacs au démarrage (récente polémique sur le foulard d’un militaire français), elle semble désormais bien rodée.
Le ministère de la Défense publie désormais quotidiennement, sur son site Internet, un point de situation. Bulletin qui se conclut systématiquement par le même paragraphe, soulignant que la France était là “pour aider les forces maliennes”.