1°- Les principaux enseignements du scrutin

Le grand vainqueur de la soirée électorale est l’abstention. Amère victoire pour la démocratie puisque nul ne peut se réjouir de voir un taux d’abstention record en Lorraine de 58,45%, contre 53,5% au niveau national. La Moselle se distingue, comme à chaque élection, en étant le moins investi dans le vote des quatre départements lorrains. Le taux d’abstention y atteint les 62%. Au niveau régional comme au niveau national, c’est le plus mauvais score de participation depuis 1986 et la première élection des conseils régionaux au suffrage universel. Notons que déjà en 2004, la Lorraine avait enregistré le record national d’abstention.

La majorité sortante de gauche est en excellente posture. Bien qu’aux manettes depuis 6 ans, elle ne subit aucune sanction de la part de son électorat. Au contraire, sur toute la Lorraine, la liste PS de Jean-Pierre Masseret et la liste écologiste de Daniel Béguin réalisent à elles deux un meilleur score qu’en 2004, lors des dernières régionales. Au total, ils gagnent 13% d’électeurs. La stratégie de désunion au premier tour (contrairement à 2004 où il y avait liste commune PS, PCF, Verts dès le 1er tour), ne nuit donc pas à la dynamique de gauche. La majorité sortante est donc dans une excellente posture pour conserver le Conseil régional de Lorraine.

Le Front national se maintient et retrouve sa force de nuisance, même s’il perd un tiers de ses électeurs par rapport aux régionales de 2004. Sur la foi du bon score obtenu à la présidentielle en 2007 (14%) mais de l’échec aux Européennes de juin 2009 (7,8%), certains avaient cru que le Front national était durablement tombé en déclin et perdrait donc sa capacité à franchir le cap des 10% lui permettant de se maintenir au second tour. Or le Front national avec 14,8% des voix en Lorraine (et même 16,3% en Moselle) se rappelle au bon souvenir à ceux qui voulaient l’enterrer et il a déjà annoncé qu’il se maintiendrait, provoquant une triangulaire, qui facilitera davantage encore la victoire annoncée de la majorité sortante de gauche. Mais attention à la lecture des chiffres exprimés en pourcentages. Dans un contexte de très forte abstention, il faut regarder de plus près le nombre de voix. Et là, on s’aperçoit que le FN a perdu plus de 54 000 électeurs depuis 2004, soit 36% de moins. Les électeurs frontistes qui étaient partis du côté de Nicolas Sarkozy en 2007 et qui ont été déçus depuis, ne sont pas revenus massivement vers leur ancien parti, mais nourrissent plutôt les abstentionnistes.

Le Modem s’effondre, même dans les zones de force de la démocratie chrétienne. Robert Schumann doit se retourner dans sa tombe. Figure tutélaire de la tradition démocrate-chrétienne en Moselle, son fief de Scy-Chazelles n’a offert à la liste de Claude Bellei qu’un piteux 4,6%, à peine mieux que les 3,1% sur toute la Lorraine. Les 250 000 électeurs de François Bayrou en 2007, ou même les 75 000 de Nathalie Griesbeck en 2004, sont devenus 21 000 ce jour, une misère. L’avenir du Modem en Lorraine est sombre, car en ne franchissant pas la barre des 5%, il n’accède pas au remboursement de ses frais de campagne, et son statut de relégué électoral va être dur à porter à l’avenir. Et si on met cet effondrement en correspondance avec la légère montée des Verts et du PS, on peut raisonnablement penser que ces deux forces ont réussi à capter vers elles une partie de cet héritage chrétien-démocrate.

L’UMP subit un indiscutable revers. Même si son score en pourcentage est légèrement supérieur à celui obtenu par Gérard Longuet en 2004 (23,77% contre 22,1%), le résultat est problématique à plus d’un titre. D’abord parce que ce score est obtenu avec une alliance de quatre forces politiques : UMP ; Nouveau centre ; Chasse, pêche nature et tradition ; et villieristes. Ce qui signifie d’ailleurs qu’ils n’ont aucune réserve de voix pour le second tour, par le jeu d’alliances nouvelles. Ensuite, sur toute la Lorraine, la liste UMP a perdu en fait 18% de ses électeurs par rapport à 2004. Et si on se livre au jeu cruel de la comparaison avec la présidentielle de 2007, les voix données à Nicolas Sarkozy (404 000) sont devenues 157 000. Quelle chute ! Enfin, même dans ses zones de force, l’UMP sort affaiblie. Ainsi, à Sarreguemines, Laurent Hénart perd 700 voix par rapport au score de Gérard Longuet en 2004, soit 39,5% d’électeurs en moins. Et comme il y a eu 3000 électeurs de moins dans cette ville entre les deux scrutins, nul doute que les électeurs UMP font très largement partie des abstentionnistes.

2°- Interprétation de ces résultats

Les électeurs ont boudé massivement les urnes pour plusieurs raisons. Ce scrutin traduit d’abord l’avènement des déçus du sarkozysme. La politique conduite par le chef de l’État, son hyperactivisme et sa posture peu en phase avec l’idée que les électeurs traditionnels de la droite se font du Président de la République, et enfin le décalage entre ses promesses et les résultats de sa politique, ont nourri une déception profonde dans son électorat. Une partie de celui-ci a donc décidé de le manifester en n’allant pas voter. Ensuite, le scrutin régional est peu lisible, d’abord par son mode scrutin et par la visibilité faible des compétences des conseils régionaux. Dans un climat de désespérance sociale et économique, où de nombreux électeurs ne croient plus en l’utilité politique de la droite ou de la gauche pour améliorer leurs conditions de vie, aller voter pour le conseil régional perd beaucoup de son sens pour une majorité de Français.

Le Front national a pu profiter du climat de désespérance sociale et de frustration politique à droite pour se refaire une petite santé par rapport aux Européennes de juin 2009. Le FN capitalise sur les difficultés économiques pour convaincre un électorat radical de continuer à voter pour ce parti protestataire et peser ainsi sur la droite du Président Sarkozy, avec l’espoir de l’obliger à prendre davantage encore en compte leurs attentes.

Le Modem paie sans doute l’illisibilité de son positionnement, tel que défendu par François Bayrou. À coup de tractations une fois à gauche, parfois à droite, ou encore d’affirmation d’un ni droite ni gauche, la ligne politique des centristes a perdu beaucoup de sa crédibilité. Et même les lieux d’implantation historiques du centrisme ne résistent pas à ces ambiguïtés.

Les Verts en Lorraine n’ont pas réussi à remporter le pari national de ce parti, à savoir peser partout plus de 10% et retrouver le score des Européennes de juin 2009. En Lorraine, il avait fait 14%, et il ne fait cette fois que 9%. Bien sûr, étant inclu dans la majorité sortante, il va la rejoindre en fusionnant avec la liste PS, mais en position moins favorable que s’il avait accepté de figurer d’emblée sur les listes du premier tour. Les écologistes ne bénéficient pas d’un excellent score pour eux, car le PS capte vers lui une partie de son électorat potentiel, bénéficiant de son engagement dans les problèmes écologiques, grâce à sa cogestion avec les Verts depuis 2004. C’est toute l’ambiguïté pour un parti de faire campagne en solitaire, contre une majorité sortante dont on fait partie.

Enfin, le très bon score des listes conduites par le socialiste Jean-Pierre Masseret est une surprise relative. N’oublions pas que nous sommes sur des terres traditionnelles de droite, que l’on considérait comme ingagnables par la gauche, il y a encore quelques années. Mais dans les grandes villes notamment, le PS est en train de réussir à s’implanter durablement, en trouvant un électorat de classe moyenne et de classe supérieure qui lui avait permis de conquérir Metz en 2008 pour la première fois dans toute l’histoire de cette ville. À Sarreguemines, le PS et les Verts gagnent un quart d’électeurs par rapport à 2004 ; à Metz, ils en gagnent 10%. Une posture assez modérée, un profil de gestionnaire, une volonté affirmée d’être axé sur la Lorraine, ont permis au président sortant du Conseil régional de ne pas heurter un électorat converti depuis peu au socialisme et d’attirer sans aucun doute une partie des électeurs traditionnels centristes. La Lorraine est peut-être, à travers ce scrutin, en train de prouver qu’elle s’oriente vers un scénario qu’a connu la Bretagne dans les années 1970, la gauche s’implantant sur ce territoire de droite grâce à l’évolution sociologique dans la composition des villes, les campagnes restant toutefois inaccessibles à une influence politique forte de la gauche.