Sur le circuit de Chambley, les moteurs d’hier se sont offert un tour de piste dimanche 5 octobre. Entre passion, mémoire et inquiétude, les collectionneurs amoureux du thermique livrent leurs confessions : l’électrique est-il un danger pour leur monde, ou le début d’une cohabitation pacifique ?

Sur le tarmac encore tiède de Chambley, l’air sent l’essence, la gomme chauffée et la nostalgie. Le temps d’un week-end, le circuit lorrain se transforme en capsule temporelle : chromes rutilants, carrosseries d’un autre âge, sourires complices. On polit une aile de Mustang comme on caresserait un souvenir. Le Rétro Chambley, c’est l’amour de la mécanique d’avant, celle qui vibre et qui vit. Mais derrière les vrombissements, un autre bruit monte, plus discret, plus moderne : celui des moteurs électriques.

Mario s’affaire autour de sa Porsche 924. « Elle a dormi vingt ans », raconte-t-il, avant qu’il ne la ressuscite. Le Rallye de Monte-Carlo historique, les longues routes de montagne, le froid qui pique et le moteur qui rugit : tout est revenu avec le premier tour de clé. Ce souvenir intense ne l’empêche pas de réfléchir au monde qui change : « Il faut vivre avec son temps, bien sûr. L’électrique, c’est bien. Mais moi, j’aime le bruit, la vibration… le silence, c’est pas la passion. » Il sourit, presque coupable. « Je ne ferme pas la porte, mais il ne faut pas pousser trop loin non plus. »

L’essence de la passion  

Un peu plus loin, Bernard, qu’ici tout le monde appelle Nando, s’appuie sur sa vieille Volvo qui a connu Monte-Carlo. Il vient « revoir les copains, sentir les odeurs ». Sa voix est grave, marquée par le temps et les routes. « L’électrique, je ne suis pas contre. Pour les petits trajets en ville, c’est pratique. Mais quand on voit le prix des voitures, ça fait réfléchir. Et puis, faut pas se mentir, ce n’est pas la même chose. »
Pour lui, l’avenir appartient peut-être à l’électrique, mais la passion, elle, ne peut s’éloigner du sans plomb.

À côté, la Mustang 66 d’Allan attire les regards comme une pin-up des années 1970, échappée d’une affiche, insolente de beauté et fière d’exister encore dans un monde qui s’électrise. Le capot luit, le V8 rugit. « Un gros moteur qui consomme bien, » lâche-t-il, presque fier. « Mais au moins, on peut tout réparer soi-même. C’est ça la différence. » Il parle avec la fierté des mains noircies par la mécanique, de ceux qui connaissent leur voiture comme d’autres connaissent une chanson.
« J’ai une Corolla hybride pour tous les jours. L’électrique, je ne suis pas fermé, mais ce n’est pas de la passion. Les vrais passionnés garderont leurs vieilles voitures. »
Puis, en jetant un regard vers son auto, il s’émerveille : « Quand on aime ces machines-là, on ne peut pas être favorable à leur disparition. »

Le cœur et la raison  

À quelques mètres, Damien Marion, responsable du circuit de Chambley, observe cette scène de tendresse mécanique. Il connaît chacun de ces bolides qui semblent défier le temps.
« Ce sont les voitures de nos grands-parents. Les gens les aiment parce qu’elles représentent des souvenirs, la famille. »
Mais Damien Marion n’est pas du genre à tourner le dos à l’avenir. « L’électrique, c’est de la technologie, c’est le futur. Mais supprimer les moteurs thermiques, ce serait une erreur. Il faut trouver un équilibre. »
Selon lui, la cohabitation est possible, nécessaire même. « Les voitures électriques, c’est parfait pour les trajets urbains. Mais, les anciennes, elles ont encore leur place, ne serait-ce que pour leur valeur patrimoniale. »
Si l’électrique divise les amateurs, nombreux sont ceux qui admettent son impact sur l’innovation. « Les sports mécaniques, sont une vitrine pour l’électrique. La Formule E, la Moto E, ou même Pikes Peak*… Ces compétitions servent à améliorer les technologies qu’on retrouve ensuite sur nos voitures de tous les jours. » témoigne le responsable du circuit. Les fans peuvent alors plus facilement s’identifier à ces innovations.

Morceau d’histoire

Alors, menace ou cohabitation ? À Chambley, la réponse flotte dans l’air frais d’octobre, entre deux odeurs de carburant.
L’électrique avance, c’est inévitable, implacable. Mais le thermique résiste, porté par une armée de passionnés qui n’entendent pas éteindre le son de leur moteur comme on éteint une lampe.

Les véhicules anciens ne sont pas qu’un moyen de transport pour eux : ce sont des morceaux d’histoire, des témoins de vie. Les électriser, c’est leur retirer un peu de leur âme.

Et l’on se dit que l’avenir, peut-être, ne se jouera pas entre l’un ou l’autre, mais entre le bruit et le silence, entre la nostalgie et l’innovation, là où bat encore le cœur des passionnés.

*Course en montagne au Colorado (Etats-Unis)