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Tables rondes, débats, projections, rencontres, la 29e édition du festival du film arabe de Fameck s’est clôturée lundi dernier. Plusieurs films, courts-métrages et documentaires étaient diffusés, permettant la découverte et la mise en avant du cinéma arabe. Un monde où les femmes cinéastes sont présentes mais peu nombreuses.

Lorsqu’on pénètre dans le centre social de Fameck pendant le festival du film arabe, les murs sont placardés d’affiches de films qui parfois peuvent nous être inconnus car rarement diffusés dans les salles de cinémas français. Réalisés en Algérie, en Tunisie, au Liban ou encore en Egypte, ils correspondent à l’expression même de la culture cinématographique dans le monde arabe. Une médiatisation nécessaire lorsqu’on voit la nébuleuse de cinéastes et de jeunes talents vivant dans ces régions du monde. Le cinéma a toujours fait partie de la culture arabe. Au Maghreb par exemple, l’Egypte est le plus grand producteur et fournisseur de films. Une industrie en constante croissance et qui souhaite développer son influence à travers le monde. Mais cette industrie laisse t-elle de la place aux femmes cinéastes? Sont-elles considérées de la même manière que leur collègues masculins?

Etre femme dans le milieu de la réalisation

Le vécu des réalisatrices en tant que femme dans une société dite “patriarcale” englobe des réalités diverses et variées et qui diffèrent parfois de celles vécues par leurs collègues réalisateurs. Durant leur carrière, certaines sont amenées à devoir gérer une vie de famille à côté d’un métier qui leur prend beaucoup de temps. Celles-ci souhaitent avoir des enfants, un choix qui est parfois susceptible de freiner leur carrière, comme l’explique Sarra Abidi, réalisatrice de Benzine : “En tant que femme, ce qui peut ralentir un peu notre carrière c’est le fait de devenir mère par exemple, qu’il y ait un enfant qui ait besoin de nous. Ce sont ces choses là certainement qui font que les hommes avancent plus que nous.”

Outre cette réalité peu appréhendée dans le monde du travail, les femmes sont ramenées à plusieurs reprises à leur genre et jouissent d’une légitimité moins importante que leurs collègues masculins pour un poste du même niveau. Yasmine Chouikh, réalisatrice de Jusqu’à la fin de temps, détaille : “Quand on est une cinéaste femme, on a tendance à nous demander des preuves, je dois prouver d’avoir fait les choses pour prétendre à ce métier et avoir ce statut-là.” Des situation qui parfois peuvent être vécues comme des épreuves.

Une assignation de genre à travers la tradition

Les moeurs des sociétés arabes  régissent les perceptions. Ceux-ci se répercutent souvent sur les femmes cinéastes, sur leur vie professionnelle et leur vie privée. Selon Yasmine Chouikh, “les femmes comédiennes ne correspondent pas à la “pudeur” que l’on attend de la femme, de ne pas se montrer, de ne pas parler fort”. Elles sont pour certaines d’entre elles, confrontées à une assignation de genre liée à la tradition. Une tradition susceptible de fortement de peser sur leurs ambitions et leurs relations.

Yasmine Chouikh explique ainsi : “Les femmes cinéastes sont soit considérées comme des artistes, elles sont donc en marge de la société ou alors vues  comme n’étant pas des “filles biens””. Une vision moralisatrice qui pèse parfois sur les épaules de celles qui ont choisi ce métier. Un paradoxe persiste pourtant car les propos des deux réalisatrices sont unanimes, les réalisatrices sont bien présentes dans le cinéma arabe, elles le sont durablement et le resteront. Yasmine Chouikh insiste même : “ Aujourd’hui dans le monde arabe, elles sont beaucoup plus nombreuses, par rapport au nombre de films et de productions, qu’à Hollywood.”

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L’amour, « jusqu’à la fin des temps »

Le cimetière comme lieu amoureux ? Beaucoup n’imagineraient pas qu’il puisse être la scène de théâtre d’une relation amoureuse. Souvent caractérisé comme froid, triste, ce lieu de recueil est pourtant rempli de couleurs dans le long-métrage de fiction Jusqu’à la fin des temps. Un paradoxe que Yasmine Chouikh dessine à merveille.

Dans ce décor où sont mêlées l’amour et la tristesse, Ali, fossoyeur septuagénaire, s’affaire à la tâche quotidiennement. Quand on ne le voit pas creuser une tombe, il offre une toilette aux défunts masculins. Cet homme, souvent surnommé gardien des morts par les habitants du village, est le gardien du cimetière de Sidi Boulekbour. Un véritable tableau macabre se dessine sous nos yeux.

Pendant un pèlerinage, Djoher, veuve septuagénaire, se rend pour la première fois dans ce cimetière pour se recueillir sur la tombe de sa sœur. Son souhaite ? Etre enterrée aux côtés de la défunte. Elle entreprend de préparer ses funérailles, du choix de sa tenue à la couleur des murs de sa chambre. Djoher veut tout planifier pour être certaine que ce jour se passe comme elle le veut. Cette femme va demander de l’aide à Ali. Une relation va se construire entre ces deux septuagénaires dans un monde où la seule chose à laquelle il semble pouvoir se rattacher à cet âge, est la mort.

Le cimetière comme lieu utopique

Ce monde utopique que peint Yasmine Chouikh est un endroit où tout le monde s’accepte. Les femmes dévoilent leurs cheveux, certains se mettent à danser, rire, courir, rêver. Ce lieu libérateur permet à Ali et Djoher de passer outre les pressions sociales. Comme si à 70 ans plus qu’à 20 ans, ils ressentaient le poids de la société sur leurs épaules. Une époque où il est souvent mal vu de se remarier à cet âge et de vivre l’amour. À deux, ils franchissent les barrières qu’on leur impose et qu’ils s’infligent. À deux, ils découvrent la joie de vivre et non l’attente de la mort.

Yasmina Chouikh propose un amour mature, réfléchi, bienveillant et parfois innocent au travers des deux personnages. Une rupture avec les tabous de l’amour. Selon elle, les deux personnages ont besoin de s’accomplir personnellement avant de pouvoir s’épanouir ensemble. Grâce aux images cadrées sur les acteurs et la luminosité, on ressent directement les émotions de ces derniers. Le sonore joue également un rôle dominant. Dans les moments où on ne l’attend pas toujours, les sons du quotidien vont nous plonger dans les différentes scènes. Du bruit des insectes à celui du pinceau contre un mur. On remarque très vite sur les visages fermés des acteurs que les sourires peinent à être dessinés. Le long métrage Jusqu’à la fin des temps, mêle avec brio des scènes dures à des notes d’humour.

 Noujoud Rejbi et Amelie Perardot