OPINION. Déclaré au soir des attentats du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a fait du chemin.  L’interdiction de circulation des personnes et de séjour, la fermeture provisoire de lieux de réunions, l’installation de bracelet électronique… Des mesures controversées et maintenant banalisées par une intégration dans la loi, au grand dam des défenseurs des droits de l’homme.

 

Intégrer l’État d’urgence dans le droit commun, c’était l’objectif du projet de loirenforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme”. Au préalable adopté par une large majorité des députés à l’Assemblée Nationale le 3 octobre 2017 et par les sénateurs deux semaines plus tard, sa mise en application est inquiétante. La loi du 30 octobre a intégré des mesures exceptionnelles dans le droit commun. C’est la fin d’un état d’urgence déjà prolongé six fois de trop.

Les dispositifs exceptionnels accordés à la police, par un juge administratif et par le Conseil d’État, censés être temporaires afin de lutter contre un danger imminent, sont devenus légaux et applicables en temps “normal”. Le contrôle d’un magistrat était requis pour protéger les citoyens des tentatives d’abus policier. Il se voit maintenant relégué à un contrôle a posteriori des faits. La garantie d’un état de droit et d’une stricte séparation des pouvoirs passe pourtant par une autorité judiciaire forte, et non par les décisions d’un préfet.

Une compagnie de CRS, en novembre à Metz – Clément Di Roma

Le Conseil Constitutionnel a déjà censuré l’article de la loi relative à l’état d’urgence qui autorisait l’extension des zones sensibles et des contrôles d’identité et fouilles par les préfets dans ces zones, le 1er décembre dernier. En seulement un an, 5.000 arrêtés préfectoraux ont été émis pour autoriser ces contrôles, sans qu’aucune circonstance particulière ne soit constatée. Des milliers de fouilles et de contrôles d’identité ont ainsi été réalisés sur des zones dites “sensibles”, sans possibilité d’en évaluer l’efficacité.

Des mesures contraires à la constitution

À l’origine d’une QPC – question prioritaire de constitutionnalité -, la Ligue des Droits de l’Homme considérait que la généralisation de ces contrôles avait porté atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d’aller et venir des individus, reconnue en 1979 comme valeur constitutionnelle. Ainsi, cette mesure, la plus employée dans le cadre de l’état d’urgence, a été déclarée contraire à la Constitution – par le CC. par les sages?

Une censure qui illustre la nature liberticide de ces exceptions, aujourd’hui poussées dans le droit et normalisées à outrance, à défaut d’être abrogées. Une nouvelle preuve que l’état d’urgence est contraire aux libertés individuelles, deux ans après sa mise en place. Mais alors, pourquoi l’intégrer dans le droit commun ?

La “suprématie du sécuritaire et la méfiance” – Bernard Leclerc

Bernard Leclerc, Président de la Ligue des Droits de l’Homme à Metz, dénonce une “politique du soupçon qui fait basculer le droit”, “une terrible dégradation des libertés” et explique que l’esprit de ces mesures traduit une “suprématie du sécuritaire et de la méfiance”.

Avec l’entrée dans le droit commun de l’état d’urgence, le militant dénonce une réorganisation de la justice. “Jusqu’ici, l’autorité judiciaire était gardienne des libertés publiques. Et maintenant c’est le préfet, qui est dans une logique de prévention, à cause de la peur et du soupçon”.

Motivations politiques

Terrain sensible, rares sont les politiques qui s’attaquent ou s’opposent aux mesures sécuritaires, de peur de se voir reprocher les conséquences d’un éventuel prochain attentat. L’état d’urgence est abrogé et son intégration dans le droit rend le gouvernement Philippe  immune aux critiques. Il n’est ainsi pas question de freiner la course à l’armement juridique contre le terrorisme, au contraire.

Le gouvernement s’est plongé dans une politique ultra-sécuritaire, terrifié par de potentiels reproches post-attentats. Tout en feintant la compréhension des risques pour les droits français, pour la vie privée et à la liberté de circuler, l’État s’enfonce en réalité dans un engrenage paranoïaque.

Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur – Wikimedia Commons

Dans une France secouée par des violences et abus policiers fréquents, étendre le pouvoir des forces de l’ordre est une résolution peu justifiable. En mai dernier, un rapport accablant d’Amnesty International pointait déjà du doigt l’État pour son utilisation de ces mesures sécuritaires dans le cadre de manifestations. – à préciser 

Au 1er janvier 2017, le nombre de Français ayant perdu la vie dans un attentat terroriste sur le territoire national depuis 2014 a été porté à 241. Un nombre effrayant et tragique, mais qui doit être interprété avec du recul. Le terrorisme n’affecte qu’une infime partie des Français, mais pourrait avoir des conséquences liberticides pour tous.

Clément Di Roma

 

 

Pour aller plus loin

Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Thénault Sylvie, L’état d’urgence (1955-2005). De l’Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d’une loi,
Le Mouvement Social. Beaud, Olivier, and Bargues, Cécile. 2016. L’état d’urgence : une étude constitutionnelle, historique et critique.  Philippe Cossalter,  Légalité de crise et état d’urgence